Qu’est-ce qu’un CRA ?

Les Centres de rétentions administratives (CRA) : des prisons pour enfermer les personnes sans papiers

Les Centres de rétention administrative (ou CRA), sont des lieux d’enfermement et de privation de liberté qui permettent à l’État français d’enfermer chaque année près de 50 000 personnes sans papiers pendant qu’il organise leur expulsion. Depuis la loi Asile et Immigration adoptée en 2018, iels peuvent y être maintenu·es jusqu’à trois mois.
Des personnes qui ne peuvent légalement pas être expulsées sont également enfermées dans ces prisons : celles qui ont fait des demandes d’asile mais qui sont « dublinées » (c’est à dire condamnées à être renvoyées dans un autre pays européen), celles qui sont malades, en souffrance psychique, ou encore des familles avec enfants.

Le projet gouvernemental d’ouvrir de nouvelles places de CRA participe au durcissement de la répression envers les personnes étrangères sans carte de résident ni permis de séjour. Il existe 28 CRA en France depuis l’ouverture du second CRA de Lyon en janvier 2022. D’ici 2025, trois nouveaux centres devraient être construits à Bordeaux, à Olivet, près d’Orléans, et au Mesnil-Amelot en région parisienne. Deux autres centres doivent être agrandis à Coquelles près de Calais et à Lesquin près de Lille. En tout, le gouvernement a pour objectif de disposer de près de 2 200 places pour enfermer, soit un doublement par rapport à 2017 (1069 places).

Lorsque les places sont insuffisantes dans les CRA, les préfectures peuvent créer par arrêtés des locaux de rétention administrative (LRA), souvent une simple pièce dans les commissariats de gendarmerie ou de la police aux frontières (PAF). Les arrêtés peuvent être renouvelés tous les jours, et ce indéfiniment. Par ailleurs, 30 LRA permanents existent et le nombre de personnes enfermées et déportées n’y est pas décompté. Dans ces lieux sans contrôle extérieur, les personnes ne peuvent pas exercer leurs droits aux recours administratifs et juridiques. Il existe aussi les zones « d’attentes » dans les aéroports, les ports ou encore les gares internationales où les personnes arrêtées à leur arrivée à la frontière française peuvent être enfermées durant 26 jours. Les visites sont interdites et de très jeunes mineur·es isolé·es y sont fréquemment enfermé·es, bafouant le droit international, notamment aux aéroports de Roissy et d’Orly.

Pour l’État, l’enfermement a un double objectif : celui d’avoir à disposition les personnes privées de liberté pour les déporter, mais aussi celui de punir et de soumettre une partie de la population. Il y a la volonté de marquer les corps et les esprits de celleux emprisonné⋅es. Comme à chaque point de la frontière, on rappelle aux personnes qui n’ont pas les bons papiers qu’elles ne sont jamais tranquilles, qu’elles peuvent être humiliées à tout moment, que l’État les traque, qu’il ne faut pas se rebeller face au patron. À celleux qui se font expulser, charge d’aller transmettre le mot à celleux qui veulent ou doivent venir.

Dans les CRA, comme dans tous les lieux d’enfermement, l’État exerce sa violence et son arbitraire par l’entremise de ses agent·es assermenté·es en uniforme. La police procède aux arrestations des personnes suite aux contrôles au faciès et lors de leurs convocations à la préfecture. Les personnes en transit sont contrôlées et arrêtées dans les bus, dans les trains, etc. Elles sont aussi raflées à leur domicile, sur leurs lieux de travail, devant les écoles, et jusque dans les lieux d’accueil médico-sociaux qui leur sont destinés. Ces arrestations et expulsions sont notamment motivées par une politique du chiffre, qui permet à l’État d’afficher un grand nombre d’expulsions et de montrer son empressement à réprimer les personnes étrangères.

Souvent, ces prisons sont accolées aux aéroports pour faciliter les déportations durant lesquelles les personnes peuvent être bâillonnées, scotchées, casquées et contraintes physiquement de monter dans l’avion.

Depuis 2018, six personnes sont décédées dans ces prisons. La violence de cet enfermement pousse les prisonnier·ères au suicide, notamment par l’absorption de psychotropes distribués par les médecins des CRA, et les automutilations sont fréquentes. En septembre 2018, Karim, 31 ans, s’est pendu dans sa chambre au CRA de Toulouse suite à la prolongation de son enfermement par le juge.

Au-delà de la violence intrinsèque de l’enfermement, les personnes retenues en CRA subissent :
– des violences policières : provocations, humiliations, insultes racistes, chantage, isolement, mise au mitard parfois avec entraves, violences physiques…
– des conditions de vie indignes : absence régulière de chauffage, difficulté d’accès aux produits d’hygiène, aux vêtements, nourriture insuffisante et infecte, parfois périmée. Les personnes enfermées ont faim et la PAF interdit arbitrairement de faire entrer de la nourriture fraîche que les visiteur·euses peuvent apporter.
– l’absence de soins médicaux adaptés, associée à une la distribution générale par les médecins du centre de psychotropes visant à assurer la soumission des personnes enfermées.
– un désœuvrement total car aucune activité n’est possible à l’intérieur
– une incertitude permanente concernant les dates d’une éventuelle sortie et un stress constant du fait de la possibilité d’être déporté·es à tout moment.

Des CRA à la prison et inversement :  la collaboration entre l’AP et les préfectures

Les liens entre les CRA et la prison se renforcent à cause de la collaboration croissante des préfectures et de l’administration pénitentiaire (AP) qui favorise la multiplication des passages entre ces lieux d’enfermement. Depuis 2017, le nombre de personnes enfermées dans les centres de rétention à leur sortie de prison a presque doublé. En 2019, sur l’ensemble du territoire, 14,5 % des personnes enfermées en CRA sortaient de prison et cette part montait à 25 % pour le CRA de Toulouse.

Les résistances aux déportations (refus de tests PCR, refus d’embarquer, etc), sont également de plus en plus souvent criminalisées et punies par des peines de prison, suivies d’un retour au CRA. Celleux qui cherchent à empêcher leur expulsion sont alors présenté·es à un juge ou à un procureur pour « refus de se soumettre à une mesure d’éloignement » au bout de 90 jours de rétention. Certaines prennent trois mois ferme, voire plus, d’autres une ITF (interdiction de territoire français) qui les renvoie en CRA pour trois mois de plus. Et les personnes enfermées qui ne sont pas expulsées ressortent sans pour autant que les mesures d’expulsions prises contre elles par la justice ne cessent.

La double peine, un racisme institutionnalisé

Du fait des contrôles au faciès, les personnes étrangères sont plus contrôlées et interpellées par la police (les personnes racisées sont contrôlées jusqu’à 15 fois plus que les personnes blanches). Par rapport aux personnes françaises, les personnes étrangères risquent 3 fois plus de passer en comparution immédiate, 5 fois plus d’être placées en détention provisoire, et risquent 3 fois plus la prison ferme. Elles sont donc plus judiciarisées, avec des sanctions plus sévères et représentent un quart du total des personnes emprisonnées.

Les personnes étrangères qui ont un titre de séjour à leur entrée en prison peuvent être expulsées du territoire français. D’une part, la double peine désigne les peines judiciaires d’interdiction de territoire (ITF) prononcées contre des personnes condamnées et qui constituent une deuxième peine qui vient s’ajouter à la peine de prison. Plus de 300 infractions sont passibles d’interdiction de territoire (et donc d’expulsion en plus de la peine de prison), et leur nombre augmente avec chaque loi relative à l’immigration.

D’autre part, la prison est l’occasion du tri des personnes par les préfectures, qui évaluent ce qu’elles considèrent comme « menace pour l’ordre public », mesure « préventive » sur la « dangerosité dans l’avenir ». Celles-ci ont le pouvoir discrétionnaire de ne pas renouveler le titre de séjour ou même de le retirer, et décident ainsi de l’expulsion administrative de personnes emprisonnées qui avaient des papiers.

Des prisonnier·ères parlent maintenant d’ailleurs de triple peine dans la mesure où l’enfermement au CRA peut durer jusqu’à 3 mois, ce qui correspond à une peine de prison supplémentaire, juste après la prison et en attendant l’expulsion.

Les luttes à l’intérieur des CRA

Les personnes luttent quotidiennement face à la violence de l’enfermement et contre l’humiliation de l’administration et de la PAF : résistances individuelles et collectives lors des expulsions, grèves de la faim, automutilations, refus de test Covid pour éviter l’expulsion, évasions, incendies… Mais ces luttes ne sont pas suffisamment visibles, alors qu’elles sont nombreuses et régulières dans tous les CRA. À Toulouse, comme dans tous les CRA, beaucoup de prisonnier·ères résistent aux tests PCR pour échapper à l’expulsion, au risque de se retrouver condamnées à une peine de prison puis ramenées à nouveau au CRA, plusieurs fois de suite. Des prisonnier·ères ont réussi à se faire la belle, à organiser des grèves de la faim régulièrement pour exiger leur libération et dénoncer les conditions d’enfermement dans le centre. Les personnes rapportent également comment elles s’organisent individuellement ou collectivement pour dénoncer les violences de la PAF en essayant de déposer plainte. Des personnes malades et des femmes enceintes luttent pour obtenir des soins face au refus du médecin et de l’administration.

Pour les femmes enfermées en CRA, c’est la double peine du racisme et du sexisme. Les femmes n’ont souvent pas les mêmes moyens d’action que les hommes pour résister. Il y a parfois des prisonnières enfermées avec leurs enfants, souvent très jeunes. Cela rend plus difficile la résistance aux vols par exemple ou même les grèves de la faim quand elles doivent nourrir leurs enfants. De nombreuses femmes ne peuvent d’ailleurs plus nourrir leurs enfants une fois dans le CRA car la nourriture et le stress les font arrêter de produire du lait. Elles se retrouvent obligées d’acheter la nourriture et des biberons qu’elles ne peuvent pas stériliser comme il faut. Il y a tout ce stress en plus, elles doivent faire gaffe à elles dans un endroit hostile mais elles doivent aussi faire gaffe à leurs enfants. Elles vivent dans la peur qu’on le leur retire, qu’on le leur vole, d’en être séparées. Ça se comprend qu’il y ait plus d’hésitations de leur part à s’engager dans des émeutes, dans des incendies, dans des affrontements avec la PAF.
Elles subissent des violences sexistes. Ça peut être des insultes liées à leur genre, de la drague non consentie de la part des flics. Elles doivent aussi vivre avec la possibilité et une probabilité plus élevée d’être victimes de viol, un autre moyen de silencier les paroles et de mettre la pression. Elles sont dépossédées d’un corps qu’on enferme, qu’on violente, qu’on viole. Des femmes ont raconté que face au viol subi par l’une d’entre elles, elles ont décidé de résister en restant toujours ensemble.
Il y a souvent une grande solidarité et complicité entre les femmes. Elles s’échangent les produits de première nécessité comme les serviettes hygiéniques, elles s’entraident moralement, partagent les informations sur les résistances, sur les parloirs sauvages.

Une justice d’abattage

La violence que subissent les étranger·ères n’est pas que policière ou carcérale, elle est aussi judiciaire. Chaque jour, des dizaines de personnes comparaissent devant les différentes juridictions de France, les audiences ont lieu tous les jours de l’année. À l’audience du JLD pour les étranger·ères, les personnes comparaissent systématiquement en groupe, et le délibéré est lui aussi rendu collectivement en une fois, contrairement aux audiences de droit commun.

Il est difficile pour les personnes de se défendre : la plupart du temps, les personnes ont des avocat·es commis d’office, n’ayant pas les moyens de payer un·e avocat·e de leur choix. De plus les avocat·es de l’audience du JLD ont connaissance du dossier au dernier moment et parfois ne plaident pas du tout.

Le CESEDA contribue à la hiérarchisation raciale des rapports sociaux

Le CESEDA (le Code d’entrée et de séjour des étrangers, qui régit le droit des personnes étrangères en France) est un droit d’exception, raciste et sexiste, hérité de l’idéologie coloniale et des codes d’exception tel que le Code de l’indigénat, qui organisait le contrôle des « indigènes » dans les colonies. Le CESEDA s’en inspire : limitation de circulation, enfermement administratif, déportations (vers d’autres colonies dans le cas du Code de l’indigénat).
Les étranger·ères, comme les « indigènes » à l’époque coloniale, doivent justifier de garanties de représentations (argent, hébergement, etc.) pour pouvoir circuler sur le territoire et doivent quotidiennement se confronter à la police. Au nom de l’égalité homme-femme les discours politiques stigmatisent les étrangers jugés plus sexistes et violents, mais le CESEDA est un code sexiste car il ne protège pas les femmes qui rencontrent plus de difficultés que les hommes pour régulariser leur situation.

Le droit des étranger·ères est l’instrument de légitimation des pratiques répressives de l’État pour « lutter contre l’immigration » de celleux qu’il n’aura pas choisi. Depuis les années 70 ce droit évolue sans cesse par empilements successifs, donnant un enchevêtrement inextricable de lois, de règles et de circulaires. C’est un droit d’exception : les délais de recours et d’appel sont réduits, les erreurs de procédure n’annulent rien tant qu’elles « ne font pas grief à l’intéressé », il y a deux juridictions différentes et donc deux tribunaux différents pour contester la rétention d’une part et la déportation d’autre part. La libération vis à vis de la rétention ne lève pas les interdictions de territoire ou les obligations de le quitter : l’arrestation peut toujours survenir à nouveau et ramener au CRA.

L’État bafoue la loi

En même temps, l’État montre en permanence qu’il se moque de la loi et la viole sans aucune difficulté quand cela sert ses intérêts, par exemple en enfermant des demandeur·euses d’asile. Ses décisions contraires au droit se voient très souvent avalisées par la justice judiciaire et administrative, et ce jusque dans leurs plus hautes sphères : la Cour de cassation et le Conseil d’État. De nouveaux textes viennent ensuite légaliser les pratiques illégales et durcir la loi, et ce de manière cyclique.

Ainsi, le durcissement extrême du droit d’une part et les libertés que l’État prend vis à vis de ce droit d’autre part, font que les personnes les plus vulnérables et les plus pauvres qui n’ont pas les moyens de se défendre sont broyées par cette machine à criminaliser et à invisibiliser.

Les CRA, rouage d’un système de domination capitaliste et d’exploitation coloniale

L’immigration est une variable d’ajustement pour les économies des pays riches. Avant les années 60, la France a eu massivement recours à l’immigration de travailleurs venus notamment des colonies d’Afrique pour remplir ses usines, construire ses infrastructures, etc. Depuis les années 70, les politiques anti-migratoires ont été légitimées par les crises économiques mais aussi par la stigmatisation des travailleurs africains ainsi que leurs descendant·es, les « jeunes de banlieues ». Les préjugés et les catégories raciales produites pendant la colonisation sont perpétuées, légitimant ainsi les politiques menées face à un ennemi intérieur et extérieur dont il faut se protéger : l’étranger violent, fraudeur, profiteur, qui ne peut « s’adapter à la société française ».
Par ailleurs, l’économie française s’appuie sur la main d’œuvre étrangère, notamment dans les secteurs d’emploi les plus pénibles et faiblement rémunérés. Cette exploitation des travailleur·euses sans papiers est rendue possible par la difficulté d’obtenir un titre de séjour.

Des milliers de morts et un juteux business des frontières

La militarisation des frontières et la restriction des visas sont les causes de milliers de mort·es en Méditerranée, dans la Manche, au large des îles Canaries, entre Mayotte et Les Comores, dans le Sahara, etc. Les États européens sont responsables de ces morts de masse. Des millions d’euros sont dépensés pour construire des murs, des camps et des systèmes de surveillance qui enferment et tuent les personnes exilées, en enrichissant l’industrie militaro-sécuritaire. Ce contrôle des frontières représente un business en plein essor.
Les CRA, comme toutes les prisons, et comme tous les dispositifs de contrôle des frontières, engraissent aussi les entreprises de construction des bâtiments, comme Eiffage, les entreprises de gestion de ces lieux, comme Vinci, ONET et GEPSA (Engie), les entreprises de déportation, comme Air France. Des associations répondent à des appels d’offres lancés par l’État pour obtenir des contrats et des financements (plusieurs millions d’euros) pour s’occuper de l’accompagnement des personnes enfermées. Certaines diffusent des informations sur les violences exercées à l’intérieur, tout en participant au fonctionnement normal de ces lieux. D’autres sont complices de l’État, leur travail maintient bien souvent la paix sociale en CRA et elles tirent profit de cette machine raciste à punir et expulser les étranger·ères.

Impérialisme et mécanismes de domination Nord/Sud

La Françafrique, système de soutien aux dictatures, de corruption, d’interventions militaires, de mainmise monétaire par le Franc CFA, etc., permet à la France le maintien de sa domination sur ses anciennes colonies, le pillage des matières premières, la défense des intérêts des multinationales et la préservation de sa puissance sur le plan international. Le nombre de soldats français sur le continent africain a considérablement augmenté ces dernières années sous le prétexte de « lutter contre le terrorisme », faisant de la France le pays au monde qui maintient en permanence le plus grand nombre de militaires en Afrique. Cette présence est de plus en plus contestée par les populations de pays du Sahel qui demandent le départ des troupes françaises.
Les institutions capitalistes internationales telles que le Fond Monétaire International (FMI) ou la Banque Mondiale ont mis en place des réformes structurelles dans les pays du sud afin d’ouvrir leurs marchés, ce qui profite essentiellement aux entreprises occidentales et a provoqué un déséquilibre des économies locales et une paupérisation massive. Cette oppression économique ainsi que les conflits armés, attisés notamment par la vente d’armes des puissances occidentales, ont pour conséquence l’exil des personnes et les prive de la liberté de rester. Cet exil constitue une main d’œuvre bon marché également qualifiée, formée au frais des pays d’origine, profitant en fin de compte aux pays impérialistes, ce qui représente une autre forme de pillage.