Au CRA de Toulouse, il n’y a plus de secteurs femmes et famille, toutes les cellules sont maintenant destinées aux hommes. L’objectif de l’Etat est d’enfermer systématiquement les sortants de prison et d’appliquer la double peine. Pour rappel, cela consiste à enfermer au CRA puis à expulser les personnes qui ont commis un crime ou un délit, alors qu’elles ont purgé leur peine de prison. Pour autant, les femmes et les familles ne sont pas épargnées, et si elles ne sont pas enfermées au CRA de Toulouse, elles sont assignées à résidence (AAR). La durée des AAR a augmenté avec la dernière loi Asile et Immigration de 2024, passant à 45 jours renouvelables deux fois, pour une durée totale pouvant aller jusqu’à 135 jours. Par ailleurs, l’AAR est de plus en plus utilisée par les préfectures quand l’expulsion n’a pas pu avoir lieu au terme de la durée maximale d’enfermement. Cette pratique permet de continuer à punir et torturer les personnes : n’ayant pas de titre de voyage valide ou de laissez-passer consulaire, elles restent inexpulsables.
Si les préfectures et l’administration pénitentière collaborent depuis longtemps pour expulser les sortants de prison, la loi de janvier 2024 et la circulaire Retailleau d’octobre 2024 généralisent la double peine, facilitée notamment par « la menace pour l’ordre public ». La circulaire Retailleau appelle les préfectures à retirer les titres de séjour des personnes qui représentent une « menace » et à distribuer des arrêtés d’expulsion et des OQTF. Il n’existe aucune définition de la « menace pour l’ordre public », c’est laissé à l’appréciation de l’administration qui l’utilise très largement, par exemple pour des délits mineurs, comme le vol ou la mendicité. « La menace grave pour l’ordre public » permet, elle, de supprimer toutes les protections contre l’expulsion hormis le fait d’être mineur. Ainsi, les personnes ayant des enfants ou étant en France depuis l’enfance peuvent être expulsées si la préfecture a décidé de façon totalement arbitraire que ces personnes représentent une menace pour la société française.
Par ailleurs, le Sénat vient d’adopter deux projets de lois. Sous réserve d’un vote favorable à l’Assemblée Nationale, la loi allongera la durée de la rétention administrative à 210 jours. Elle s’appliquera aux personnes condamnées à une interdiction de territoire français (ITF) pour un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement ou dont le comportement « constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public« . L’autre loi concerne « la préférence nationale », en limitant l’accès des étranger·es aux prestations sociales.
En parallèle, l’Union Européenne renforce ses frontières et la répression des personnes étrangères. Elle a adopté deux mesures, l’une concernant l’allongement de la rétention administrative de 18 à 24 mois et l’autre autorisant les Etats membres à externaliser des camps d’enfermement dans des pays hors UE, appelés « centres de retour » où seront sequestrés les demandeurs d’asile avant leur déportation.
Le témoignage de S. ci-dessous rappelle que l’Italie a déjà construit d’immenses camps en Albanie où la police italienne transfère les personnes étranger·es et les trie avant de les déporter.
Pour finir, dans un autre témoignage K. s’étonne d’entendre les médias français relayer la propagande colonialiste de Retailleau et des nostalgiques de l’Algérie française, en faisant croire que l’Algérie ne délivre aucun laissez-passer consulaire alors que des avions décollent avec des algériens expulsés depuis le CRA.
TÉMOIGNAGES
S : « Au secteur C, y’a un Guinéen, il a tout cassé, les vitres, les télés, les caméras, il a cassé toutes les cellules, on est que 4 maintenant dans le secteur C. Y’a que 2 cellules maintenant. Il a pété un plomb. Il était seul, pas de visite, rien. Il a dit qu’il ne veut pas rester ici, il veut aller en prison, c’est un peu fou. Il s’est blessé avec la vitre. Il a dit heureusement je casse des trucs comme ça, c’est mieux que de casser des bouches.
C’est fini la France, c’est la troisième fois je me retrouve au centre. Deuxième fois à Toulouse. Il y a 7 mois, je suis sorti du CRA de Toulouse, je suis restée 2 semaines à la Reynerie, ils m’ont arrêté, ils m’ont mis en prison à cause de l’interdiction définitive et quand je suis sortie de Seysses, ils m’ont ramené encore ici au CRA de Toulouse. J’ai fait 6 mois de prison pour l’interdiction définitive. Et là ils viennent de me donner un mois encore au CRA.
Je sais plus quoi dire, j’ai plus les mots. C’est un cauchemard Seysses, trois dans une cellule, force aux hommes là-bas. Ici Toulouse c’est la pire ville. Je suis sorti de la Tunisie, j’ai pas de passeport, j’ai pas de carte d’identité même si je meurs, ils peuvent pas expulser mon corps chez moi. Ils peuvent pas m’expulser, à chaque fois c’est pareil, ils savent, ils ont demandé à la Tunisie, au Maroc à l’Algérie, y’a rien et ils me ramènent encore ici. Ils font ça pour que tu craques. Il faut patienter faire le prière, je sais pas moi.
Au tribunal hier, y’avait un Algérien. Il est à Toulouse depuis qu’il a 13 ans. Il a presque 33 ans. Il a payé un avocat plus de 7000 euros. Il a sa mère et sa soeur ici, pourquoi ils le ramènent au centre ? ça leur ramène toujours du travail, voilà pourquoi. Je trouve plus les mots. J’en ai marre de la prison, ça fait presque 9 ans que j’ai quitté le pays, j’ai pas envie de retourner comme ça. En Italie quand ils savent pas leur origine ils les envoient en Albanie dans un grand centre, y’a des trucs incroyables, c’est pas une vie quand t’as pas de papier en Europe.
On vient chez eux, on est pas au paradis non plus. Hier j’ai bien parlé avec le juge, j’ai dit donnez-moi 24h et je quitte la France, laissez-moi une chance. Le policier m’a dit toi ta chance tu l’as eue déjà, tu es arrivé en France, tu n’as pas le droit d’avoir une deuxième chance. Ils provoquent, faut être fort dans la tête.. Même si vous pouvez pas venir pour une visite, parler avec vous c’est déjà beaucoup, ça fait du bien, tu remontes le moral à la personne. »
K : « J’ai une interdiction de territoire français depuis 2023. J’étais en Espagne, je suis revenu ici pour voir mon frère et ma nièce, je suis restée 3 jours, ils m’ont contrôlé j’étais en scooter, je me suis retrouvé en prison et après ici. Franchement ils ont foutu ma vie en l’air. J’étais en Espagne en train de régler ma situation, j’ai raté plein de RDV. Ok j’ai pas respecté la loi, j’étais sur le territoire français mais je comprends pas pourquoi ils font pas ce travail en prison. Comme ça à la sortie de prison soit ils te relâchent soit ils t’envoient au pays. Ils te mettent là pour galérer en plus. J’étais à la maison d’arrêt de Rodez et pour voir le consule, ils m’ont emmené à Sètes. Ils te posent des questions, ton nom où t’habites, ils prennent tes empreintes, ta photo. En tous cas où tu vas on te prend les empreintes, en garde à vue, quand tu sors de la prison, quand tu rentres ici au CRA, partout…
Je comprends pas à la télé, BFM ils disent que l’Algérie ne veut pas prendre ses ressortissants mais y’a des avions pour l’Algérie, j’ai rien compris.
Et toi t’attends, t’es dans le suspens, t’es stressé. Ça fait un mois que je suis là et ça bouge pas. Les conditions ici pour vivre c’est la catastrophe. C’est sale, y’a des gens fous, vraiment fous, t’arrives même pas à communiquer avec eux, y’a des provocations. La nourriture est dégueulasse, c’est le ramadan, hier j’ai rien mangé. Pour le ramadan, ils donnent pas de viande halal.
Avec la police moi je parle un minimum avec eux pour pas avoir de problèmes. Y’a un groupe ça va et un groupe c’est la catastrophe. Ils ont décidé d’enlever les couvertures, il fait froid la nuit. Un collègue a commencé à réclamer pendant le repas pour avoir les couvertures, on a tous réclamé. Il voulait pas rentrer au secteur, ils l’ont foutu au mitard, ils l’ont frappé de fou. Ils ont ramené ensuite les couvertures. La plupart ont pas de famille ici, les gens sont des fumeurs, ils ont pas de tabac, ils pètent les plombs, ils ont pas de fumette alors les gens craquent. Ils savent bien ça. Y’a rien qui va ici. Y’a des chambres sans eau chaude, les sanitaires ça sent la pisse. »
M : « Je veux faire une demande d’apatride, le Montenegro ne me reconnait pas. J’ai 6 enfants de nationalité française. Ça fait 20 ans que je suis en France, j’ai pas de papiers, j’ai pas de passeport. Je suis arrivé le 28 décembre au centre, je suis sorti de prison, les gendarmes m’ont ramené ici. J’ai fait 6 ans et demi de prison à Eysses Villeneuve sur Lot. la Cimade m’a dit, mon pays ne me reconnait pas, dès que je suis arrivé, ils m’ont dit ça, le chef de la prison me l’a dit. Je passe devant le juge le 27 janvier. la Cimade m’a dit c’est pas sûr qu’il te donne la liberté. Tout le monde reçoit un mois de plus. ça se passe mal ici. C’est 10 fois pire que la prison ».
J : » Je discute avec les amis dans les autres CRA, l’escorte c’est au bout du 3ème vol, ici ils scotchent pour le 2ème vol. Je veux voir le laissez-passer, sinon je pars pas. J’ai refusé le vol, je l’ai dit aux policiers, j’étais dans la voiture à l’aéroport. Ils ont appelé le pilote pour lui dire, ils ont déchiré mon billet. Y’avait quelqu’un d’autre avec moi qui voulait rentrer en Algérie, il est monté dans l’avion. J’ai demandé aux policiers de me montrer mon laissez-passer, ils m’ont dit c’est interdit. Ils m’ont ramené au centre, je sais pas si je vais avoir un autre vol. Depuis que je suis revenu au centre ils me provoquent pour que je leur réponde et après m’accuser et m’emmener en prison. Je leur ai dit je suis pas un chien. »
R : « Ça va, mais c’est dur quand même, j’arrive pas à comprendre pourquoi j’avais une résidence de 10 ans ici, ils me l’ont retirée, ma fille est née ici, pourquoi une OQTF ? Ça fait douze ans que je suis en France. » R. explique qu’on l’a accusé d’avoir fait un mariage blanc, qu’on l’a convoqué à la préfecture et qu’on lui a dit que l’obtention de son titre de séjour (qui expirait en 2028 à l’origine) était frauduleuse, et qu’on lui a mis une OQTF. Il explique également qu’il a fait 3 mois de prison suite à une plainte de sa femme qui l’a amené au pénal. A l’origine, il avait un bracelet électronique, il y a eu un problème avec le bracelet, il a été envoyé en prison.
« On m’a donné un somnifère pour dormir avec le stress, c’est pour ça que j’ai des tâches rouges, et j’ai mis de la crème […] ils donnent des médicaments comme ça ‘ils font pas chier, ils vont dormir on est tranquilles’ […] j’ai pas dormi j’étais pensif, je suis perturbé, il reste deux jours avant samedi, ça arrive »
« Il y a beaucoup d’Algériens, à croire qu’ils ont un problème avec eux »
« C’est pas facile franchement, les repas c’est pas des vrais repas, c’est industriel, parfois je mange pas pendant 2-3 jours, j’y arrive pas. »
A propos de la police : « il y a des groupes très cool et des groupes… c’est des fachos. »
« Je ne peux pas être renvoyé en Algérie, mes parents sont ici, je peux pas les laisser. C’est tranquille, j’y crois, je sais que je vais être libre, même s’ils me renvoient je reviendrai en France par bateau, j’ai pas peur de la mer, je reviendrai avec un visa. »