Compte Rendu – Audiences devant le JLD – Septembre 2025

Au tribunal judiciaire de Toulouse, tous les matins, tous les jours sans exception, se tiennent les audiences « droit des étrangers » des personnes enfermées au Centre de Rétention Administratif (CRA) de Cornebarrieu Toulouse devant le Juge des Libertés et de la Détention (JLD). Il s’agit de décider si les personnes doivent être maintenues au CRA ou libérées. Les personnes enfermées en CRA repassent devant le juge au bout de 4 jours, 30 jours, 60 jours, et 75 jours d’enfermement – soit potentiellement quatre fois durant la durée de leur détention. 

Les personnes peuvent être enfermées jusqu’à 90 jours. La libération du CRA ne lève pas les interdictions de territoire ou les obligations de le quitter : l’arrestation peut toujours survenir à tout moment et ramener au CRA. Ainsi de nombreuses personnes se retrouvent en circuit quasi fermé entre CRA et prison notamment en raison des mesures d’expulsion qui donnent aux préfectures et à la justice de nombreuses possibilités d’enfermer et d’expulser.

Nous publions un compte rendu brut – issu de notes prises lors d’un JLD fin septembre 2025 – retranscrivant ce qui a été dit, selon les termes utilisés lors des audiences. Le vocabulaire est donc celui de la juge, de la préfecture et des avocat·es, qui parlent de « retenus » pour désigner les prisonniers, de « rétention » pour les enfermements, et d’« éloignement » pour les déportations. Le choix de publier un compte rendu brut a pour objectif d’exposer la violence raciste institutionnelle et systémique à laquelle les détenus sont confrontés notamment au travers du caractère brutal, répétitif et mécanique des audiences.

Les détenus sont emmenés par la PAF (Police Aux Frontières) depuis le CRA jusqu’au tribunal en minibus. Ils sont escortés par la police, menottés dans le dos. Ils sont appelés tour à tour à la barre pour une audience très courte – ce jour-là en 1h20, sept personnes défilent devant la juge soit à peine plus de 11 min par audience. Ils n’ont quasiment pas la parole, sont méprisés par la juge, violentés physiquement et verbalement par la police, accusés par la préfecture, et dépendants de la défense que leur avocat·e commis d’office voudra bien leur accorder – bien que peu importe si la défense s’applique ou non à mettre en lumière les contradictions de l’enfermement, les décisions de justice varient très peu. Trois avocat·es différent·es plaident, avec plus ou moins d’implication. Une interprète est présente pour les personnes qui le souhaitent.

Première audience – B.A.

La juge commence à introduire le dossier avant de se rendre compte, confuse, qu’elle s’est trompée et qu’elle est en train de donner les détails d’un dossier qui n’est pas le bon – apparemment il y deux personnes qui comparaissent avec le même nom de famille aujourd’hui. Elle explique que B.A. est un ressortissant tunisien, qu’il a eu plusieurs OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), dont la dernière en octobre. Il a eu un refus de titre de séjour en février dernier. Il a été incarcéré à plusieurs reprises.

B.A. prend la parole et explique que sa copine et son grand-père sont en France – d’ailleurs, iels sont présent·es dans la salle. Il souhaite partir par ses propres moyens, en Suisse ou en Italie.

Le représentant de la préfecture prend la parole – il parle de lui en disant l' »individu ». Il affirme qu’il est connu sous quatre identités différentes et qu’il a été incarcéré à Seysses pour une histoire de stupéfiants. La préfecture demande le maintien en rétention.

L’avocate corrige l’énoncé qui a été fait du dossier en soutenant qu’il n’y a eu qu’une seule OQTF, qui date de 2022, et qu’il y a eu donc une seule mesure d’éloignement. Elle expose un problème de diligences1: la préfecture n’a pas fait les mesures nécessaires pour l’éloignement. Elle cite les différents mails qui ont été adressés au consulat de Tunisie, dans lesquels les photos ont été envoyées, mais pas d’empreintes – alors que l’accord franco-tunisien précise qu’il est nécessaire d’envoyer les empreintes. L’impératif de diligence n’est donc pas rempli, la préfecture n’a pas tout fait pour éloigner au plus vite la personne, la détention est donc illégale.

B.A. a de nouveau la parole, il explique qu’il n’arrive pas à manger ni à dormir, que c’est très compliqué, qu’il est prêt à partir et que c’est très très dur.

Deuxième audience – M.B.

La juge introduit le dossier : M.B est un ressortissant algérien. C’est la seconde demande de prolongation de son enfermement, il est donc au CRA depuis 1 mois. Il a eu plusieurs OQTF et une ITF (Interdiction de Territoire Français) de trois ans en 2023.

L’avocate soulève une atteinte aux droits. La juge parait agacée. L’avocate explique que le 11 septembre, M.B. a été sorti du centre pour un déferrement pour la mise à exécution d’une peine. Elle explique que ça a été une journée très longue, qu’il n’a pas pu manger, qu’il a été tenu dans l’ignorance et qu’il s’agit d’un incident dans la rétention, qui doit figurer dans le registre. Ensuite, et la défense semble reposer principalement sur cet argument, elle fait remarquer qu’au vu de la « crise diplomatique franco-algérienne »2, et de l’absence de laissez-passer pour l’Algérie, il n’y a pas de perspective raisonnable d’éloignement vers l’Algérie. Elle cite une jurisprudence récente qui date de septembre 2025 – du tribunal de Toulouse – qui a donné lieu à la remise en liberté des retenus au vu de cette absence de perspective raisonnable d’éloignement – au regard de la « crise diplomatique franco-algérienne ».

La préfecture avance en réponse qu’on ne peut pas affirmer qu’il ne sera pas éloigné car on ne peut pas prévoir le contexte géopolitique, et que l’individu est une menace à l’ordre public3. La préfecture demande le maintien en rétention.

M.B. prend la parole. Il dit que c’est sa troisième fois en CRA, et qu’à chaque fois il a fait trois mois. Il dit que c’est très, très dur, qu’il a déjà été en prison et qu’il a été libéré.
La juge lui rétorque « euh oui, mais vous êtes resté en France après, monsieur ». Il répond qu’il est resté car on l’a mis dans un foyer pour le soigner, qu’il sait très bien qu’il n’a pas le droit de rester en France et qu’il compte partir pendant trois ans.

Troisième audience – M.V.

La juge introduit le dossier : M.V. est un ressortissant algérien. Il est sorti de détention en prison en août, et il a une interdiction de retour de trois ans.

M.V. prend la parole, dit qu’il veut partir en Autriche. Il a un cousin là-bas et a fait une demande d’asile. Il explique qu’il est malade.

Le représentant de la préfecture répond, en ce qui concerne le côté médical, que puisqu’il est allé en hôpital psychiatrique tout est réglé, il a été traité, donc il n’y a plus de problème : son état n’est pas incompatible avec l’enfermement. Il ajoute qu’il est coupable de violences sur conjoint. La préfecture demande le maintien en rétention.

L’avocate entame la défense en évoquant la demande d’asile attestée, qui a été faite en Autriche par le retenu. Elle dit que M.V. est une personne dublinée4 qui doit être reconduite vers le pays de l’asile. Comme sa consœur plus tôt, elle fait remarquer l’insuffisance des diligences. Il n’y a pas de perspective raisonnable d’éloignement – sachant que par raisonnable on entend que l’éloignement pourrait être envisagé dans le délai de la rétention et que, au vu de la crise diplomatique qui perdure ce n’est pas le cas. Elle dit : « la rétention n’est pas une sanction, c’est un moyen pour permettre l’éloignement ». Elle cite également la jurisprudence récente de septembre 2025, du tribunal de Toulouse évoquée plus tôt, expliquant que les jurisprudences commencent à noter qu’il existe une crise diplomatique. Elle dénonce les saisines absurdes de la préfecture qui tente de contourner le problème et prolonger la durée de rétention en entamant des démarches auprès du consulat du Maroc alors que rien n’aurait pu indiquer une nationalité marocaine. Elle ajoute que le retenu présente une particulière vulnérabilité, qu’il a subi des faits en détention – dont elle ne donnera pas le détail – qui l’ont fragilisé et qu’il a déposé plainte en raison de ces faits, ce qui selon ses mots « demande beaucoup de courage ».

L’un des policiers présents perturbe l’audience avec le son au volume très élevé de son téléphone. L’avocate lui jette un regard rapide, agacée.

Le représentant de la préfecture reprend la parole, avance qu’il y a beaucoup de choses qui ont été dites et qu’il n’est pas possible de répondre à tout, mais qu’il tient à souligner que c’est toujours la même chose qui est dit à propos de l’Algérie, et que ça n’a pas de sens.

Quatrième audience – A.A.

La juge introduit le dossier : A.A. est un ressortissant tunisien. Il est né en 2006 (il a donc 19 ans). C’est la première demande de prolongation de son enfermement (4 jours après son incarcération au CRA).

L’avocate entame la défense en faisant remarquer que le retenu doit être informé de ses droits, et notamment du droit d’entrer en contact avec son consulat. Or, les coordonnées du consulat n’ont pas été communiquées au retenu par la préfecture, ce qui constitue un grief.
Elle soulève également un vice de procédure en ce qui concerne les pièces justificatives : l’audition n’a pas été communiquée. L’audition est pourtant nécessaire pour vérifier la situation personnelle de l’accusé. L’absence d’une retranscription de l’audition rend la requête irrecevable, puisqu’il n’est pas possible d’apprécier son parcours administratif, la proportionnalité de la requête ni de vérifier que les déclarations de la préfecture sont conformes avec les propos de l’accusé. Le principe du contradictoire n’a pas été respecté. Elle dit : « à aucun moment on a invité la personne à se prononcer ni à s’exprimer sur une mesure prise à son encontre ».
Elle poursuit en introduisant son propos sur la vulnérabilité du retenu avec un : « alors là, c’est fort de café ». Elle démontre qu’il n’y a pas eu le temps d’avoir un examen de vulnérabilité, le compte rendu de l’examen indiquant qu’il a commencé à 9:47 et la décision que le retenu n’était pas en situation de vulnérabilité étant déjà rédigée à 9:50. On a donc rédigé la décision avant d’examiner son état de vulnérabilité : la décision était déjà prise. Elle dit: « On se moque de qui? Visiblement de Monsieur A. ». Elle ajoute que le retenu a été pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance en tant que mineur non accompagné par le passé, et qu’il a bénéficié d’un contrat jeune majeur – alors, selon ses ses mots « qu’on sait à quel point c’est dur de bénéficier de ce contrat, même pour des français ». Il a également eu un contrat d’engagement dans un centre de formation, il a été apprenti. Il a des bulletins de paie. Son employeur, au sein de la boulangerie où il était apprenti, était satisfait. Il a sollicité un droit au séjour – que le préfet a refusé car il a considéré que c’était une menace à l’ordre public à cause d’un rappel à la loi. Pourtant il justifiait d’une résidence, de démarches, de preuves d’intégration. L’avocate remarque qu’il aurait pu être assigné à résidence. Elle dit: « si monsieur n’a pas des garanties de représentation, personne n’en a ». Elle estime que le placement en rétention est disproportionné. Par ailleurs, les diligences, ici aussi sont insuffisantes. Le protocole franco-tunisien exige que soient envoyées au consulat les photos et les empreintes par voie postale, en version originale – et non par mail, comme l’a fait la préfecture.

Le représentant de la préfecture répond que « ce n’est pas indiqué qu’on doit lui communiquer le numéro de la préfecture, il doit le connaître – en tant que ressortissant ». Il ne se donne pas la peine de répondre au reste car « il y a trop de choses qui ont été dites ». Il ajoute simplement que l’individu représente une menace à l’ordre public, il a commis des faits de violences conjugales. Il conclut d’un ton ironique « on voit bien que l’intéressé s’intègre parfaitement ». La préfecture demande le maintien en rétention.

A.A. a la parole, et dit : « Pour les violences, je suis désolé, je regrette ce que j’ai fait ».

Cinquième audience – M.B.

La juge introduit le dossier : M.B. est un ressortissant algérien. C’est la première demande de prolongation de son enfermement, il a été placé en septembre au CRA. Il a eu une OQTF en avril 2024.

Le représentant de la préfecture prend la parole et anticipant les arguments de la défense, assure que la préfecture a bien fait les diligences. Il affirme que le retenu est marié et qu’il a trois enfants, que sa femme et ses enfants sont en Algérie (à ce moment-là le détenu fait « non » de la tête) et qu’il est donc « incompréhensible » qu’il soit présent en France. Il ajoute qu’il a fait de la prison pour un refus d’obtempérer, pour de la conduite sans permis, pour arnaque et pour vol et qu’on voit qu’il y a « un parcours de délinquance », que c’est une menace à l’ordre public. La préfecture demande le maintien en rétention.

L’avocat soulève un défaut de contradictoire et un défaut de diligence. Il explique que sa famille n’est pas en Algérie, mais en Espagne et que le risque de fuite n’est pas justifié. En ce qui concerne la menace à l’ordre public, il argue qu’il ne s’agit pas de faits récents et que sa peine a déjà été purgée en prison.

M.B. prend la parole et dit « Je ne suis jamais allé en prison avant. Je ne suis pas un délinquant. » Il dit qu’il est arrivé en France à 37 ans et qu’il est vétérinaire.
A ce moment-là, la juge l’interrompt : « Ah oui, j’ai vu que vous étiez vétérinaire !? Vous pouvez m’en dire plus ?  » d’un air très surpris. Il explique qu’il a fait des études, qu’au vu de la corruption dans son pays, au bout de 10 ans, il n’y arrivait pas, il s’est dit qu’il fallait qu’il tente sa chance ailleurs et qu’il est allé en France, en Espagne, en Belgique, puis est retourné en France.

Sixième audience – A.F.

La juge introduit le dossier : A.F. est un ressortissant algérien. C’est la troisième demande de prolongation de son enfermement.

A.F. prend la parole : « Je suis là pour rien. Ça fait deux mois que je suis au centre. J’ai ma vie ici, en France, je travaille. Ça fait quinze ans que je suis en France. On m’a fait rentrer au centre après un contrôle d’identité. J’ai jamais eu de problème. J’ai une attestation d’hébergement et de travail. »

Le représentant de la préfecture indique à nouveau que sa famille est en Algérie. Il déclare ironiquement : « Il dit ne pas comprendre pourquoi il est là ? Eh bien, écoutez… Il n’a pas de papiers, il le sait, et il n’a pas fait de démarches. »
Il ajoute que le retenu déclare être suivi par un psychiatre, mais n’apporte aucun élément de preuve pour soutenir cette déclaration. La préfecture demande le maintien en rétention.

L’avocat répond qu’il a fait des démarches et est inséré socialement. Il dit : « La vérité c’est que parfois, la préfecture, elle s’obstine. On peut justifier de tous les éléments, et pourtant, ce n’est pas facile. Il a tous les éléments pour être régularisé sans aucune difficulté s’il sort demain ».

Septième audience – N.B.

La juge introduit le dossier : N.B. est algérien. C’est la seconde demande de prolongation de son enfermement. Il est arrivé en France en 2022. Sa demande d’asile a été rejetée. En mai 2025, il a eu une OQTF.

N.B. dit qu’il veut repartir en Espagne.

La préfecture assure avoir bien fait les diligences, avoir relancé le consulat algérien. Il dit: « l’intéressé est connu sous plusieurs alias », qu’il « n’a pas de ressources licites », et qu’il « est célibataire sans enfant ». Il dit qu’il représente une menace pour l’ordre public et que la préfecture demande le maintien en rétention. Comme pour tous les autres.

L’avocat prend à peine la peine de plaider.

N.B. reprend la parole et dit qu’il est malade, qu’il a besoin de son médecin en Espagne. La juge lui demande: « Vous souffrez de quoi? », d’un air impatient. Il explique – et montre – qu’il a des problèmes de dos, et de jambes. La juge lui dit: « Vous savez que vous pouvez rencontrer aussi un médecin au CRA? ». N.B. explique qu’il a déjà vu le médecin du CRA, qui ne donne que des dolipranes.

Sur les 7 personnes présentes ce jour-là, 7 demandes de maintien en rétention sont demandées. 5 des détenus sont algériens, 2 sont tunisiens. D’après le rapport annuel de la CIMADE sur les centres et locaux de rétention administratives de 2024, 31,9% des personnes enfermées en France hexagonale sont de nationalité algérienne (ce qui constitue la nationalité la plus représentée), et 12,1% sont de nationalité tunisienne (2e nationalité la plus représentée)2.

Pour plus d’infos sur les étapes et les procédures d’enfermement voir notre brochure : https://toulouseanticra.noblogs.org/files/2025/02/brochure-enfermement-au-cra-A5.pdf

1 Les diligences correspondent à toutes les démarches que la préfecture doit effectuer pour justifier qu’elle cherche à expulser la personne (demandes de laissez-passer consulaires, demandes de vols…) et donc justifier le maintien en détention. 

2 L’ Algérie ne délivre plus de laissez-passer consulaire depuis plusieurs mois. Les laissez-passer sont indispensables pour expulser les personnes si celles-ci n’ont pas de titre de voyage valide. Malgré cela les préfectures continuent de séquestrer les personnes Algériennes. Au CRA de Toulouse la majorité des prisonniers sont Algériens et peuvent être enfermés jusqu’à 90 jours notamment en mettant une « menace à l’ordre public » dans leur dossier.

3 La menace à l’ordre public est devenue centrale dans la loi de 2024. La préfecture ou le ministère de l’intérieur indique qu’il y a menace à l’ordre public dans la décision d’expulsion. Il n’existe aucune définition juridique de la menace à l’ordre public, c’est laissé à l’appréciation de l’administration qui l’utilise très largement, de façon arbitraire notamment pour des délits mineurs, comme le vol.

4 L’adjectif « dubliné » désigne une personne « demandeur·se d’asile » en Europe selon le règlement européen « Dublin » du 26 juin 2013. Une personne « demandeur·se d’asile » est généralement désignée comme « dublinée » lorsque ses empreintes ont été enregistrées dans un pays (et placées dans la base de données européenne Eurodac) mais qu’elle dépose une demande d’asile dans un autre pays européen.

Week-end anticolonial

En hommage aux martyrs Algériens du 17 octobre 1961 et en soutien à toutes celles et ceux qui luttent encore contre les États coloniaux, racistes et impérialistes ici comme ailleurs.

VENDREDI 17 OCTOBRE 2025
Marche anticoloniale – 18h30 – départ parvis Marengo Toulouse

SAMEDI 18 OCTOBRE
Hangar de la Cépière, 8 rue Bagnolet, Toulouse

Hier comme aujourd’hui : à bas le colonialisme !
Honorons la mémoire des martyrs du 17 octobre 1961

Le 17 octobre 1961, à l’appel de la Fédération de France du FLN, des dizaines de milliers d’Algériens et d’Algériennes entreprennent une marche pacifique dans Paris. L’objectif est de boycotter le couvre-feu illégal et raciste imposé aux seul·es « français·es musulman·es d’Algérie » et de sensibiliser l’opinion publique française à l’indépendance de l’Algérie. Cette manifestation, sauvagement réprimée par la police du sinistre préfet de Paris, Maurice Papon, sous les ordres du gouvernement de Michel Debré, un farouche opposant à l’indépendance de l’Algérie, se termine dans le sang. Les victimes se comptent par centaines, disparues, noyées dans la Seine. Les jours qui suivent, plus de 10 000 Algérien·nes sont raflé·es, interné·es et matraqué·es. S’en suivent tortures et exécutions.

Ce massacre d’État a été occulté et n’a jamais été officiellement reconnu par l’État français, comme tous les crimes coloniaux perpétrés pendant 132 ans en Algérie.

Plus largement, l’absence de condamnation claire et officielle du colonialisme est le reflet des politiques actuelles dans les territoires d’outre-mer et de la politique impérialiste de la France.

À bas le colonialisme et l’impérialisme français !

L’État français maintient sa présence néocoloniale, notamment militaire, soutient des régimes corrompus partout où ses intérêts économiques et stratégiques sont en jeu, continue de piller le sous-sol du continent africain. Ainsi, Macron a officialisé le soutien de la France à la colonisation du Sahara Occidental par le Maroc durant l’été 2024. De la même manière, l’État réaffirme sans cesse sa domination coloniale aux Antilles, à la Réunion ou encore à Mayotte où la répression est permanente, comme avec la déportation de milliers de comorien·nes vers les autres îles de l’archipel.

En mai 2024 en Kanaky, une vaste révolte a ébranlé le pays contre l’adoption de la loi sur le dégel du corps électoral à l’Assemblée nationale visant à renforcer plus de 170 ans de colonisation de peuplement française sur l’île. Face à cette mobilisation légitime, l’État a emprisonné et déporté des dizaines de Kanak en métropole. Aujourd’hui, l’accord de Bougival proposé par le gouvernement français vise à nier le droit à l’autodétermination du peuple Kanak sur leur terre. Un projet fermement rejeté par le Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS).

La France complice du génocide en Palestine
Depuis deux ans, Israël mène un génocide dans la bande de Gaza qui a déjà fait des centaines de milliers de victimes palestiniennes, des millions de déplacé·es et détruit la quasi-totalité des infrastructures de l’enclave palestinienne. Parallèlement, l’État sioniste poursuit sa politique coloniale, d’occupation et de nettoyage ethnique dans toute la Palestine, en particulier en Cisjordanie et à Jérusalem. Alors que le gouvernement israélien a annoncé sa volonté d’occuper totalement Gaza, les États occidentaux, dont la France, continuent d’être des soutiens économiques et politiques de cet État génocidaire.

Rendre hommage aux victimes du 17 octobre 1961, c’est rendre hommage au peuple algérien et c’est soutenir toutes celles et ceux qui luttent encore contre les États coloniaux, racistes et impérialistes ici comme ailleurs. L’Algérie a vaincu, la Palestine, la Kanaky, le Sahara Occidental et tous les peuples en résistance vaincront !

Afa Tolosa • Asso 31 • Attac Toulouse • CGT Educaction31 • Collectif Populaire contre l’Extrême droite • Collectif Vietnam Dioxine 31 • Comité de Soutien à la Palestine 31 • CPES Mirail • CREA • INSA en lutte Toulouse • Jeunesse Active Sahraouie • Le poing levé • LJR • Nous Toustes 31 • NPA 31 • Nta Rajel ? • PCR Toulouse • RETSER 31 • Révolution Permanente • Secours Rouge Toulouse • Solidaires31 • Solidarité Palestine Toulouse • Sud Education 31-65-82 • Toulouse Anti CRA • Tsedek ! • UCL Toulouse • Union Etudiante • Watizat Toulouse

Prise de parole du collectif Toulouse Anti CRA lors de la mobilisation nationale du 18 septembre 2025

La journée de mobilisation nationale du 18 septembre 2025 a rassemblé près de 40 000 personnes à Toulouse. Le collectif Toulouse Anti CRA était présent dans un grand cortège anti raciste, anti impérialiste et antisioniste, auprès du comité Vérité et Justice pour Bilal, d’AutonoMIE, de la Caselle, de l’AFA Tolosa, de la CREA Tolosa, de Secours Rouge, du Comité Soutien Palestine 31, de l’AG du Social, des grévistes de l’UCRM, et de RETSER31.

Depuis plus de quarante ans, l’État français durcit sa politique contre les personnes étrangères. Les lois racistes s’enchaînent et renforcent la répression et la criminalisation des immigré·es. Ces lois, accompagnées de discours racistes, sécuritaires et islamophobes, alimentent la haine et la suspicion envers les immigré·es, qui sont désigné·es comme des menaces potentielles. 

La dernière loi Asile et Immigration de 2024 a multiplié les obstacles à tous les niveaux : l’accès à la procédure d’asile a été durci, tout comme les conditions pour le renouvellement et l’obtention des titres de séjour. 

Par exemple, il faut désormais, en plus de justifier d’un bon niveau de français, souscrire un « contrat d’engagement au respect des principes de la République », un concept aux contours suffisamment flous qui renforce le pouvoir discrétionnaire des préfectures. De la même manière, la notion de « menace à l’ordre public » n’a aucune définition juridique : elle est laissée à l’appréciation de l’administration qui l’utilise très largement, et de façon totalement arbitraire, même pour des délits mineurs. Elle permet de placer les personnes en CRA avec ce motif. 

La circulaire Retailleau d’octobre 2024 appelle les préfectures à retirer les titres de séjour ou à ne pas les renouveler pour les personnes qui ont commis une infraction, peu importe le niveau de gravité, en utilisant la «menace pour l’ordre public».

Toutes ces mesures racistes permettent de créer une main d’œuvre jetable et expulsable. Les personnes sans papiers sont poussées à s’invisibiliser, à accepter n’importe quelles conditions de travail, à vivre dans la peur et sans droit.

Les centres de rétention administrative sont au cœur de la politique répressive contre les personnes sans papiers. Chaque année, entre 40 000 et 50 000 personnes sont séquestrées dans les centres de rétention dont plus de la moitié dans le département colonial de Mayotte. Rappelons que les CRA, dans leur forme actuelle, sont un héritage direct de la colonisation. Dans ces prisons, les personnes sans papiers subissent des violences et des conditions dégradantes, qui relèvent de la torture. Ce sont des lieux d’enfermement où les personnes peuvent mourir par privation de soin ou poussées au suicide.

La France et l’Europe ont mis en place des accords impérialistes avec les pays d’origine et de transit pour bloquer l’immigration et opèrent un chantage économique et aux visas avec ces États. Les laissez-passer constituent alors le nerf de la guerre pour procéder aux expulsions. Par exemple, en ce moment l’Algérie ne délivre plus de laissez-passer aux préfectures et malgré cela les personnes algériennes sont quand même traquées et gardées enfermées.

Pour finir, on peut rappeler que les luttes contre les politiques anti-migratoires sont indissociables des luttes anti-impérialistes. Le renforcement de la France en Kanaky, les discriminations à Mayotte et dans ses colonies en général, et la complicité de la France dans la colonisation de la Palestine par l’État sioniste, sont l’application de la politique coloniale française. 

Cette politique va de pair avec les violences faites aux immigrés, la fermeture des frontières et le business généré. La déshumanisation des personnes musulmanes, arabes, noires, est un continuum colonial raciste et islamophobe qui autorise le génocide des Palestiniens et les milliers de migrants qui sont tués en mer, à la rue et dans les prisons.

Il est urgent de nous mobiliser massivement contre ces politiques, pour la régularisation de tous les sans-papiers, pour les droits des mineurs isolés, pour l’abolition des centres de rétention et contre l’impérialisme.

Solidarité avec tous les immigrés, à bas le racisme d’État et l’impérialisme !

Révolte de prisonniers et violences policières au centre de rétention de Toulouse

Témoignages de prisonniers

« Les gens ont pété le plombs, ils ont jeté les plateaux de repas, ils ont cassé des vitres, ils ont bouché les caméras. On n’en peut plus ici, même un chien il mange pas cette nourriture, dans le secteur E, y’a pas de télé pour passer le temps, on peut rien faire ici, il fait chaud. Le centre est plein.

Si quelqu’un t’envoie un colis, la police le renvoie à l’expéditeur. Ils cherchent des prétextes pour faire chier. Les gens n’ont pas de visites, pas de clopes, les flics leur balancent des mots racistes. Y’a un groupe de fachos qui nous disent « pourquoi vous êtes ici, rentrez chez vous ». Nous les Algériens on est des otages, y’a pas de laissez-passer de l’Algérie et on reste quand même enfermés.

Les ERIS* sont venus avec des tasers et des matraques, sans pitié, pour rien gratuitement, ils ont réveillé les gens avec des coups de taser et des coups de matraque, ils nous ont poussé dans la cour, les mains sur la tête, ils nous ont mis par terre allongé les mains sur la tête. Un copain diabétique a fait un malaise, il est à l’hopital. Au secteur E, ils ont pris cher, ils les ont frappé avec les tasers, ils les ont mis au mitard et en gav. Ils ont éteint les caméras, on sait dans ce cas que ça va mal se passer »

*équipes régionales d’intervention et de sécurité

L’assemblée nationale a voté l’allongement de la durée de rétention à 7 mois.

La durée maximale a d’abord été de 6 jours et passe aujourd’hui à 210 jours.
La durée de rétention pourra encore être rallongée car l’Union Européenne prévoit l’enfermement jusqu’à 24 mois.

L’allongement s’appliquera pour l’instant aux personnes condamnées à une interdiction de territoire français (ITF) pour un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement ou dont le comportement « constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public« .

La « menace à l’ordre public » a été inscrite dans la loi Asile et Immigration de 2024, c’est le fer de lance du gouvernement contre l’immigration. Elle permet de placer les personnes en CRA avec ce motif. Il n’existe aucune définition juridique de la « menace pour l’ordre public », c’est laissé à l’appréciation de l’administration qui l’utilise très largement de façon totalement arbitraire même pour des délits mineurs.

La « menace grave pour l’ordre public » permet, elle, de supprimer toutes les protections contre l’expulsion sauf le fait d’être mineur. Cela signifie que les personnes qui ont des enfants et conjoint.es français.es ou sont en France depuis l’enfance peuvent être expulsées si la préfecture l’a décidé de façon totalement arbitraire.

Idem, la loi 2024 a rallongé la durée des obligations de quitter le territoire français (OQTF) à 3 ans et a fait disparaître aussi les protections qui existaient contre les OQTF afin d’enfermer et de déporter encore plus.

La circulaire Retailleau d’octobre 2024 vient renforcer la loi de 2024, elle appelle les préfectures à retirer les titres de séjour ou à ne pas les renouveler pour les personnes qui ont commis une infraction, peu importe le niveau de gravité, en utilisant la «menace pour l’ordre public».

Les personnes qui ne peuvent pas être expulsées (par exemple si la préfecture n’obtient pas de laisser-passez consulaire du pays d’origine) sont quand même enfermées et maintenues en CRA. A l’issue de la durée maximale d’enfermement, les préfectures et les juges peuvent décider de prolonger la torture et de les assigner à résidence jusqu’ à 135 jours.

Pour l’État, l’enfermement a un double objectif : déporter les personnes qui n’ont pas les bons papiers mais aussi les maltraiter et les punir, et leur rappeler qu’elles ne seront jamais tranquilles, et pourront être humiliées et violentées à tout moment.

À bas les frontières, les CRA et le racisme d’État !

L’enfermement administratif : dispositif colonial

Podcast de la table ronde organisée par le collectif Toulouse Anti CRA dans le cadre d’une action en soutien aux prisonnier·es du centre de rétention (CRA) de Toulouse (24 mai 2025)

Textes et podcast relayés par Enquête Critique et Spectre.


L’idée de cette table ronde a été de réfléchir à l’enfermement administratif (détention, internement ou rétention) comme un dispositif de répression du racisme d’État en montrant les liens dans le temps et l’espace. 
On a d’abord parler de la question de l’emprisonnement colonial et la détention administrative des prisonniers palestiniens puis de l’enfermement administratif en Algérie coloniale et montrer le continuum colonial avec l’enfermement, les déportations et les assignations à résidence des personnes étrangères en France aujourd’hui. Enfin, montrer rapidement le lien entre l’immigration et l’impérialisme autour de la question de l’externalisation des frontières et des déportations. 

Discussion avec Tom, militant anti-impérialiste et antisioniste et avec des membres du collectif Toulouse Anti CRA, collectif anticarcéral et antiraciste créé en février 2020 qui milite contre les centres de rétention administrative et contre le racisme d’État.

Écouter le podcast sur Spectre : https://spectremedia.org/enquete-critique/?playing=2263

Lire les interventions écrites sur le site Enquête Critique : https://enquetecritique.org/projets/prison-et-enfermements/article/l-enfermement-administratif-dispositif-colonial]

Ressources
– Sylvie Thénault, « Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale, camps, internements, assignations à résidence »
– Marc Bernardot,« La tradition d’internement en France »
– FASTI –« Abrogeons le CESEDA »
 Centres et locaux de rétention administrative – Rapport national et local des associations 2024
 MIGREUROP – Réseau euro-africain d’associations de défense des droits
 ANAFE – Défense des droits des personnes étrangères aux frontières
 Toulouse Anti CRA, brochures citées à retrouver dans la rubrique Brochures :
> Enfermement au CRA, étapes et procédures
> La répression coloniale de l’État français contre les étranger·es à Mayotte
> Contre les prisons et les frontières, luttes contre les CRA, paroles de prisonnier·es de Toulouse

Soirée en soutien aux prisonnier.es du CRA de Toulouse

– 17h Table ronde
L’enfermement administratif : dispositif colonial
// en Algérie coloniale et rétention des étranger·es aujourd’hui en France // détention des palestinien·nes sous l’occupation israélienne
avec Toulouse Anti CRA & militant·es anti-impérialistes et antisionistes

– 19h Repas vegan
– 20h DJ set – BOTCHO – afro rave
17h-22h
La Chapelle – 36 rue Danielle Casanova
Participation libre (espèces uniquement) – accès PMR

Manifestation pour la libération des prisonniers politiques et du peuple sahraoui

Du 17 au 20 avril 2025 la Marche pour la Liberté passera par Toulouse. Partie d’Ivry le 30 mars et traversant la France puis l’Espagne en direction de la prison de Kénitra au Maroc, où elle arrivera le 2 juin 2025, elle a pour objectif de faire connaître la cause sahraouie et celle des prisonniers politiques.

Texte d’appel : https://iaata.info/Manifestation-pour-la-liberation-des-prisonniers-politiques-et-du-peuple-7544.html

« Je comprends pas à la télé, BFM disent que l’Algérie ne veut pas prendre ses ressortissants mais y’a des avions pour l’Algérie. »

Au CRA de Toulouse, il n’y a plus de secteurs femmes et famille, toutes les cellules sont maintenant destinées aux hommes. L’objectif de l’Etat est d’enfermer systématiquement les sortants de prison et d’appliquer la double peine. Pour rappel, cela consiste à enfermer au CRA puis à expulser les personnes qui ont commis un crime ou un délit, alors qu’elles ont purgé leur peine de prison. Pour autant, les femmes et les familles ne sont pas épargnées, et si elles ne sont pas enfermées au CRA de Toulouse, elles sont assignées à résidence (AAR). La durée des AAR a augmenté avec la dernière loi Asile et Immigration de 2024, passant à 45 jours renouvelables deux fois, pour une durée totale pouvant aller jusqu’à 135 jours. Par ailleurs, l’AAR est de plus en plus utilisée par les préfectures quand l’expulsion n’a pas pu avoir lieu au terme de la durée maximale d’enfermement. Cette pratique permet de continuer à punir et torturer les personnes : n’ayant pas de titre de voyage valide ou de laissez-passer consulaire, elles restent inexpulsables.

Si les préfectures et l’administration pénitentiaire collaborent depuis longtemps pour expulser les sortants de prison, la loi de janvier 2024 et la circulaire Retailleau d’octobre 2024 généralisent la double peine, facilitée notamment par « la menace pour l’ordre public ». La circulaire Retailleau appelle les préfectures à retirer les titres de séjour des personnes qui représentent une « menace » et à distribuer des arrêtés d’expulsion et des OQTF. Il n’existe aucune définition de la « menace pour l’ordre public », c’est laissé à l’appréciation de l’administration qui l’utilise très largement, par exemple pour des délits mineurs, comme le vol ou la mendicité. « La menace grave pour l’ordre public » permet, elle, de supprimer toutes les protections contre l’expulsion hormis le fait d’être mineur. Ainsi, les personnes ayant des enfants ou étant en France depuis l’enfance peuvent être expulsées si la préfecture a décidé de façon totalement arbitraire que ces personnes représentent une menace pour la société française.  

Par ailleurs, le Sénat vient d’adopter deux projets de lois. Sous réserve d’un vote favorable à l’Assemblée Nationale, la loi allongera la durée de la rétention administrative à 210 jours. Elle s’appliquera aux personnes condamnées à une interdiction de territoire français (ITF) pour un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement ou dont le comportement « constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public« . L’autre loi concerne « la préférence nationale », en limitant l’accès des étranger·es aux prestations sociales.

En parallèle, l’Union Européenne renforce ses frontières et la répression des personnes étrangères. Elle a adopté deux mesures, l’une concernant l’allongement de la rétention administrative de 18 à 24 mois et l’autre autorisant les États membres à externaliser des camps d’enfermement dans des pays hors UE, appelés « centres de retour » où seront séquestrés les demandeurs d’asile avant leur déportation.
Le témoignage de S. ci-dessous rappelle que l’Italie a déjà construit d’immenses camps en Albanie où la police italienne transfère les personnes étranger·es et les trie avant de les déporter.

Pour finir, dans un autre témoignage K. s’étonne d’entendre les médias français relayer la propagande colonialiste de Retailleau et des nostalgiques de l’Algérie française, en faisant croire que l’Algérie ne délivre aucun laissez-passer consulaire alors que des avions décollent avec des algériens expulsés depuis le CRA.

TÉMOIGNAGES

S : « Au secteur C, y’a quelqu’un qui a tout cassé, les vitres, les télés, les caméras, il a cassé toutes les cellules, on est que 4 maintenant dans le secteur C. Y’a que 2 cellules maintenant. Il a pété un plomb. Il était seul, pas de visite, rien. Il a dit qu’il ne veut pas rester ici, il veut aller en prison, c’est un peu fou. Il s’est blessé avec la vitre. Il a dit heureusement je casse des trucs comme ça, c’est mieux que de casser des bouches.

C’est fini la France, c’est la troisième fois je me retrouve au centre. Deuxième fois à Toulouse. Il y a 7 mois, je suis sorti du CRA de Toulouse, je suis restée 2 semaines à la Reynerie, ils m’ont arrêté, ils m’ont mis en prison à cause de l’interdiction définitive et quand je suis sortie de Seysses, ils m’ont ramené encore ici au CRA de Toulouse. J’ai fait 6 mois de prison pour l’interdiction définitive. Et là ils viennent de me donner un mois encore au CRA.

Je sais plus quoi dire, j’ai plus les mots. C’est un cauchemard Seysses, trois dans une cellule, force aux hommes là-bas. Ici Toulouse c’est la pire ville. Je suis sorti de la Tunisie, j’ai pas de passeport, j’ai pas de carte d’identité même si je meurs, ils peuvent pas expulser mon corps chez moi. Ils peuvent pas m’expulser, à chaque fois c’est pareil, ils savent, ils ont demandé à la Tunisie, au Maroc à l’Algérie, y’a rien et ils me ramènent encore ici. Ils font ça pour que tu craques. Il faut patienter faire le prière, je sais pas moi.
Au tribunal hier, y’avait un Algérien. Il est à Toulouse depuis qu’il a 13 ans. Il a presque 33 ans. Il a payé un avocat très cher. Il a sa mère et sa soeur ici, pourquoi ils le ramènent au centre ? ça leur ramène toujours du travail, voilà pourquoi. Je trouve plus les mots. J’en ai marre de la prison, ça fait presque 9 ans que j’ai quitté le pays, j’ai pas envie de retourner comme ça. En Italie quand ils savent pas leur origine ils les envoient en Albanie dans un grand centre, y’a des trucs incroyables, c’est pas une vie quand t’as pas de papier en Europe.
On vient chez eux, on est pas au paradis non plus. Hier j’ai bien parlé avec le juge, j’ai dit donnez-moi 24h et je quitte la France, laissez-moi une chance. Le policier m’a dit toi ta chance tu l’as eue déjà, tu es arrivé en France, tu n’as pas le droit d’avoir une deuxième chance. Ils provoquent, faut être fort dans la tête.. Même si vous pouvez pas venir pour une visite, parler avec vous c’est déjà beaucoup, ça fait du bien, tu remontes le moral à la personne. »

K : « J’ai une interdiction de territoire français depuis 2023. J’étais en Espagne, je suis revenu ici pour voir mon frère et ma nièce, je suis restée 3 jours, ils m’ont contrôlé j’étais en scooter, je me suis retrouvé en prison et après ici. Franchement ils ont foutu ma vie en l’air. J’étais en Espagne en train de régler ma situation, j’ai raté plein de RDV. Ok j’ai pas respecté la loi, j’étais sur le territoire français mais je comprends pas pourquoi ils font pas ce travail en prison. Comme ça à la sortie de prison soit ils te relâchent soit ils t’envoient au pays. Ils te mettent là pour galérer en plus. J’étais à la maison d’arrêt de Rodez et pour voir le consule, ils m’ont emmené à Sètes. Ils te posent des questions, ton nom où t’habites, ils prennent tes empreintes, ta photo. En tous cas où tu vas on te prend les empreintes, en garde à vue, quand tu sors de la prison, quand tu rentres ici au CRA, partout…
Je comprends pas à la télé, BFM ils disent que l’Algérie ne veut pas prendre ses ressortissants mais y’a des avions pour l’Algérie, j’ai rien compris.
Et toi t’attends, t’es dans le suspens, t’es stressé. Ça fait un mois que je suis là et ça bouge pas. Les conditions ici pour vivre c’est la catastrophe. C’est sale, y’a des gens fous, vraiment fous, t’arrives même pas à communiquer avec eux, y’a des provocations. La nourriture est dégueulasse, c’est le ramadan, hier j’ai rien mangé. Pour le ramadan, ils donnent pas de viande halal.
Avec la police moi je parle un minimum avec eux pour pas avoir de problèmes. Y’a un groupe ça va et un groupe c’est la catastrophe. Ils ont décidé d’enlever les couvertures, il fait froid la nuit. Un collègue a commencé à réclamer pendant le repas pour avoir les couvertures, on a tous réclamé. Il voulait pas rentrer au secteur, ils l’ont foutu au mitard, ils l’ont frappé de fou. Ils ont ramené ensuite les couvertures. La plupart ont pas de famille ici, les gens sont des fumeurs, ils ont pas de tabac, ils pètent les plombs, ils ont pas de fumette alors les gens craquent. Ils savent bien ça. Y’a rien qui va ici. Y’a des chambres sans eau chaude, les sanitaires ça sent la pisse. »

« Au mitard ils frappent trop, ils te scotchent pour pas que tu bouges. »

« Quand quelqu’un fait quelque chose, ils punissent tout le monde, l’autre jour ils ont interdit de laver son linge, tout le monde a pêté les plombs, a crié, on peut plus aller à la bagagerie, ils arrêtent les visites, ils interdisent tout, comme ça tu craques, tu vas le voir, tu lui dit ‘pourquoi t’as fait ça’ et après ça créé une embrouille ». A propos de personnes qui ont cassé dans le CRA il y a quelques temps : « les 3 ils sont allés en garde à vue, après ils sont revenus… jusqu’à maintenant on est punis, jusqu’à maintenant ! Ils ont passé devant le juge et tout, heureusement ils ont été relaxés »

« Tu serres ici, tu serres, c’est une galère de fou. Ils ont ramené un collègue à moi, il lui ont enlevé ses papiers je sais pas pourquoi, il a 4 enfants ou 3 enfants. Il travaille ici et tout, comme ils disent ‘il est intégré’, mais ils l’ont ramené ici, tu comprend pas les gens ils sont intégrés tu les ramène ici, ils sont pas intégrés tu les ramène ici, ils laissent chance à personne. Ils ont ramené un handicapé, vraiment un handicapé, il a passé 3 jours ici. Soit ils l’ont relâché soit ils l’ont mis dans un centre de santé, il est vraiment handicapé il est resté 3 jours ici, j’ai pas compris pourquoi ils l’ont ramené ici. Il lui faut une aide médicale avec lui, une aide soignante quelque chose comme ça, je comprend pas il est resté, en plus il a dormi sur la chaise, laisse tomber. »

M : « Je veux faire une demande d’apatride, le Montenegro ne me reconnait pas. J’ai 6 enfants de nationalité française. Ça fait 20 ans que je suis en France, j’ai pas de papiers, j’ai pas de passeport. Je suis arrivé le 28 décembre au centre, je suis sorti de prison, les gendarmes m’ont ramené ici. J’ai fait 6 ans et demi de prison à Eysses Villeneuve sur Lot. la Cimade m’a dit, mon pays ne me reconnait pas, dès que je suis arrivé, ils m’ont dit ça, le chef de la prison me l’a dit. Je passe devant le juge le 27 janvier. La Cimade m’a dit c’est pas sûr qu’il te donne la liberté. Tout le monde reçoit un mois de plus. ça se passe mal ici. C’est 10 fois pire que la prison ».

J :  » Je discute avec les amis dans les autres CRA, l’escorte c’est au bout du 3ème vol, ici ils scotchent pour le 2ème vol. Je veux voir le laissez-passer, sinon je pars pas. J’ai refusé le vol, je l’ai dit aux policiers, j’étais dans la voiture à l’aéroport. Ils ont appelé le pilote pour lui dire, ils ont déchiré mon billet. Y’avait quelqu’un d’autre avec moi qui voulait rentrer en Algérie, il est monté dans l’avion. J’ai demandé aux policiers de me montrer mon laissez-passer, ils m’ont dit c’est interdit. Ils m’ont ramené au centre, je sais pas si je vais avoir un autre vol. Depuis que je suis revenu au centre ils me provoquent pour que je leur réponde et après m’accuser et m’emmener en prison. Je leur ai dit je suis pas un chien. »

R :  « Ça va, mais c’est dur quand même, j’arrive pas à comprendre pourquoi j’avais une résidence de 10 ans ici, ils me l’ont retirée, ma fille est née ici, pourquoi une OQTF ? Ça fait douze ans que je suis en France. » R. explique qu’on l’a accusé d’avoir fait un mariage blanc, qu’on l’a convoqué à la préfecture et qu’on lui a dit que l’obtention de son titre de séjour (qui expirait en 2028 à l’origine) était frauduleuse, et qu’on lui a mis une OQTF. Il explique également qu’il a fait 3 mois de prison suite à une plainte de sa femme qui l’a amené au pénal. A l’origine, il avait un bracelet électronique, il y a eu un problème avec le bracelet, il a été envoyé en prison.

« On m’a donné un somnifère pour dormir avec le stress, c’est pour ça que j’ai des tâches rouges, et j’ai mis de la crème […] ils donnent des médicaments comme ça ‘ils font pas chier, ils vont dormir on est tranquilles’ […] j’ai pas dormi j’étais pensif, je suis perturbé, il reste deux jours avant samedi, ça arrive »

 « Il y a beaucoup d’Algériens, à croire qu’ils ont un problème avec eux »

« C’est pas facile franchement, les repas c’est pas des vrais repas, c’est industriel, parfois je mange pas pendant 2-3 jours, j’y arrive pas. »

A propos de la police : « il y a des groupes très cool et des groupes… c’est des fachos. »

« Je ne peux pas être renvoyé en Algérie, mes parents sont ici, je peux pas les laisser. C’est tranquille, j’y crois, je sais que je vais être libre, même s’ils me renvoient je reviendrai en France par bateau, j’ai pas peur de la mer, je reviendrai avec un visa. »