« On m’a traumatisé pendant 7 mois pour une journée en Belgique ! »

Témoignage d’une personne qui habite Lille et qui a été enfermée 7 mois dans le centre fermé pour femmes de Holsbeek en Belgique

Les centres fermés en Belgique sont l’équivalent des CRA en France. « L’inconnue issue de la détention : la durée de détention ne peut en principe excéder 2 mois, prolongeables une fois à certaines conditions, puis à nouveau et ce jusqu’à 18 mois maximum. En pratique cependant, ces délais légaux, déjà très longs, ne sont pas respectés : une spécialité de l’administration belge: « remettre les compteurs à zéro », et donc le renouvellement du titre de détention, s’il y a demande d’asile ou en cas de tentative d’expulsion échouée. Par conséquent, pas de limite dans le temps ! Plus qu’une zone de non droit, c’est un régime d’exception qui s’exerce dans les centres fermés où tout semble possible pour qui les contrôle, où toute procédure ne convenant pas à l’Office peut être détournée, modifiée ou utilisée pour servir les intérêts de politiques migratoires toujours plus sécuritaires. »
Lire la suite sur le site du collectif Getting The Voice Out qui lutte contre les centres fermés en Belgique.

Le témoignage de D.
« J’avais un appartement ici à Lille mais avec le confinement, je l’ai laissé et un ami m’a dit il y a du boulot en Belgique, tu peux être nourrie, logée, j’ai 2 enfants à nourrir.
La police m’a arrêtée le premier jour en Belgique et m’a enfermée dans le centre fermé de Holsbeek. J’ai passé 7 mois là-bas. Il y avait une femme qui est restée enfemée 10 mois.

On est 2 par chambres avec des heures pour manger comme la prison, on va dire. On a 30 mn d’internet par jour, c’était très très dur… On te met quelqu’un dans la chambre qui est alcolique ou drogué, des gens malades qui n’ont pas toute leur tête, je dormais que d’un œil tous les soirs. On a juste un bout de terrain pour sortir, ça s’appelle le jardin du centre, c’est petit, c’était la misère. Comme des vraies prisonnières, comme si on avait fait quelque chose de mal.

On nous regardait comme des chiens parce qu’on est sans papiers, ce regard là je l’ai jamais oublié. C’est là où je me suis dit j’avais mes papiers, comment j’ai pu en arriver là.

Quand tu es malade là-bas, y’a que de l’aspirine, pour n’importe quelle maladie. Je suis malade, j’ai un seul poumon. Même le médecin avait pitié de moi, il a dit pourquoi on vous a enfermé ici, c’est pas ta place ici mais le médecin travaille pour le centre, il m’a dit je peux rien pour toi. On a appelé un médecin de dehors, elle a écrit pour qu’on me libère mais ça n’a rien changé. Quand le médecin me consultait je lui disais faut changer mes heures de médicaments car j’ai besoin de manger après et il n’y a rien à manger à 22h. On mange à 17h30, j’avais faim toute la nuit. Quand tu vis pas ça, tu n’y crois pas mais c’est réel.

La France n’a pas donné son accord pour me laisser sortir. Ils pensaient qu’ils allaient pourvoir m’expulser mais ils ont vu qu’ils pouvaient pas me renvoyer dans mon pays d’origine. J’ai demandé un 9Ter (titre pour étrangers malades) car je suis malade et c’est pour ça qu’ils m’ont libéré au bout de 7 mois, on m’a traumatisé pendant 7 mois pour une journée en Belgique ! Ya des filles qui sont encore là-bas.

Pour gagner du crédit  on nettoie les toilettes, ya 12 toilettes à nettoyer pour 6€ ça rempli la carte de crédit, tu dois travailler 2 jours pour avoir du crédit et appeler ta famille, pour avoir de l’eau, du café, ça coute 4€…

La sécurité qui surveille le centre, on les appelle comme ça. Ya des sécurité à qui je parle et d’autres non. Ils nous disent vous avez tout ce que vous voulez ici. Comment un être humain peut dire ça, lui tous les soirs il rentre chez lui et c’est grâce à nous qu’il a son salaire et ils sont pas capables de nous respecter. »

juillet 2023

Offensive coloniale à Mayotte

L’opération « Wuambushu » à Mayotte prévue en avril après le ramadan a pour objectif la déportation de milliers de comorien.nes en 2 mois. Près d’un millier de gendarmes mobiles, de policiers et de CRS 8 vont débarquer en renfort pour détruire 10% des cases et vont expulser plus de 250 personnes par jour vers les autres îles de l’archipel des Comores.
Les structures de soins doivent se tenir prêtes à soigner en urgence, les écoles prêtent à voir disparaitre des enfants, et en parallèle, le conseil départemental de Mayotte a voté l’interdiction de l’accès à la Protection maternelle et infantile (PMI) aux personnes étrangères non couvertes par la sécurité sociale.

Domination coloniale et françafrique
Mayotte est restée illégalement territoire français à l’indépendance des îles des Comores en 1974. L’ONU considère comme nul et non avenu le referendum de 1976, condamne la présence de la France à Mayotte et demande son retrait. Au fil des ans, une vingtaine de résolutions de l’ONU ont suivi dans ce sens. En parallèle, l’ingérence de la France après l’indépendance des Comores, avec notamment l’intervention du mercenaire Bob Denard (assassinats de présidents, coups d’État…) va être à l’origine de la déstabilisation et de la paupérisation des Comores qui pousseront les comorien.nes au fil des ans à émigrer (1).

Le visa Balladur responsable de milliers de morts
Seulement 75 km séparent Mayotte de l’île de Ndzouani aux Comores.
Depuis 1995, la France a instauré un visa obligatoire pour les Comorien.nes qui veulent rejoindre Mayotte. C’est la fin de la libre circulation au sein de l’archipel, c’est la création d’une immigration dite « irrégulière ». Avant qu’il soit instauré, les familles étaient éparpillées dans l’archipel et le cabotage d’une île à l’autre était quotidien.
Depuis l’instauration de ce visa plus de 20 000 personnes sont décédées en tentant la traversée. Les personnes se rendent à Mayotte dans des embarcations de fortune, les kwassa. 15 à 20% des étrangers à Mayotte seraient en situation dite irrégulière, situation créée par la fermeture des frontières en 1995. Près de la moitié de la population de Mayotte ne possède pas la nationalité française, mais un tiers des étrangers sont nés à Mayotte et 95% des étrangers sont comoriens.

A Mayotte l’expulsion est toujours industrielle
En dehors de l’opération « Wuambushu » , l’État fixe à la préfecture des objectifs d’expulsion de 30 000 personnes par an, c’est à dire près de 10% de la population de Mayotte (280 000 habitants officiellement). Ces expulsions de masse s’apparentent à des transferts forcés de population qui constituent un crime contre l’humanité, selon le code pénal.
Mayotte, représente la moitié des expulsions et enfermements dans les CRA du territoire français. Et celles qui ne sont pas expulsées constituent une main d’œuvre exploitée.

Plus de 2000 enfants ont été enfermés au CRA de Mayotte en 2020 (plus de 3000 en 2019), c’est à dire plus de 15 fois plus que dans l’hexagone, sans compter les enfants enfermés en locaux de rétention administratif (LRA), dont les chiffres ne sont pas communiqués.

Il n’y a qu’une seule préfecture (Mamoudzou) qui traite l’ensemble des demandes de titre de séjour, et des demandes d’asile. Les délais de traitement sont très longs pour les demandes de titre, entre 18 mois et 2 ans.

Omniprésence de la police et des contrôles
A Mayotte, les agents interpellateurs de la police aux frontières (PAF) sont partout, les arrestations sont massives. La pression exercée par la police est telle que des mineurs n’osent plus aller à l’école, des personnes ne vont pas se faire soigner à cause des contrôles à proximité de l’hôpital, etc. Pour faire des vérifications d’identité, les flics s’assoient sur les lois, rentrent dans les maisons sans autorisation, sortent les personnes à moitié nues, etc.

Le CRA de Pamandzi
Il n’y a pas de statistiques détaillées qui proviendraient des associations à l’intérieur des CRA comme c’est le cas ailleurs en France. Pour Mayotte, on ne dispose que des chiffres transmis par la PAF.  L’enfermement au CRA à Mayotte représente à lui seul la moitié de l’enferment dans les CRA en France. Par exemple en 2019, il y a eu près de 27 000 enfermements à Mayotte sur 53 000 au total.
En 2021 : 26485 pour Mayotte uniquement. Cela signifie que 62,5 % des placements en rétention décidés par l’administration française en 2021 l’ont été pour Mayotte par la mise en place de l’opération Shikandra de lutte contre l’immigration clandestine depuis 2019.

Les procédures d’expulsions se font le jour même de l’interpellation L’immense majorité des personnes étrangères est expulsée dans la journée, la durée moyenne de rétention est de 17 heures, ne laissant ni le temps ni la possibilité d’exercer ses droits. D’ailleurs, parmi la petite minorité qui est vue par l’association qui traite les dossiers juridiques dans le CRA, (1600 personnes sur 14000 en 2020, 3500 sur 27000 en 2019) et qui ont donc le temps d’exercer leurs droits, les deux-tiers sont libérés par les juges administratifs et judiciaires, où par la préfecture elle-même.

Régime dérogatoire et pratiques illégales
Il y a 3 niveaux de discriminations pour Mayotte : le droit d’exception qui est régi par le CESEDA (code d’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) comme pour l’ensemble de la France, le régime dérogatoire qui est propre à Mayotte qui diminuent les droits des étranger·es et des Mahorais .e.s (régime dérogatoire article 73 de la constitution) et viennent se rajouter les pratiques illégales de l’administration

Pratiques illégales ordinaires de l’administration
La loi interdit l’enfermement administratif des mineurs non accompagnés et leur expulsion.
– Tous les jours, des mineurs non-accompagnés sont placés au CRA comme majeurs après que l’administration leur attribue une date fictive de naissance et considère les actes de naissance des comoriens comme faux ou falsifiés.
– Toutes les semaines, d’autres mineurs sont rattachés arbitrairement à un tiers lors des interpellations maritimes et terrestres, pour permettre leur rétention et leur expulsion.
– De plus en plus de femmes sortant de la maternité sont enfermées au CRA avec leur nourrisson. En 2020 un nourrisson a été enlevé à sa mère qui venait d’être arrêtée et donné à une passante qui l’a finalement déposé devant le CRA (rapport rétention Cimade).
– Régulièrement des mineurs français en possession d’une preuve de leur nationalité, sont placés en rétention pour les expulser illégalement avec leur parent étranger.
– La préfecture n’applique pas l’effet suspensif des référés liberté, pourtant inscrit dans la loi (qui bloquent normalement l’expulsion jusqu’à décision du juge)
– La préfecture ne respecte pas les injonctions au retour du juge des référés (quand il enjoint l’État à ramener sur le territoire des personnes expulsées illégalement) et préfère payer les amendes qui en découlent, ce qui rend les expulsions expéditives sans aucun recours effectif.
– Le greffe du CRA expulse des personnes malgré les mises en attente de la préfecture ou les décisions du TA. Un retard de 5 ans accumulé par la préfecture dans les dossiers qui met les personnes en situations irrégulières. Il arrive donc fréquemment que des personnes françaises ou ayant un titre de séjour ou des demandeurs d’asile se retrouvent au CRA

Droit dérogatoire
Le CESEDA, code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile est déjà un code d’exception. Le droit des étrangers pour Mayotte est dérogatoire de ce droit général des étrangers : il y a des spécificités pour Mayotte qui diminuent les droits des étrangers et donc des comoriens.
Ce régime dérogatoire est un héritage de la colonisation : la constitution de 1958.
– Il réduit  le droit du sol, le droit à la régularisation, le droit d’asile et le droit à l’obtention du DCEM, Document de Circulation pour Étranger Mineur.
– Il n’y a pas d’Aide Médicale de l’État (AME) à Mayotte ni  d’accès aux soins pour les sans-papiers.
– Concernant les LRA, le CESEDA stipule un certain nombre d’équipements mais pas pour Mayotte. Le CRA ne suffisant pas en capacité à l’enfermement, création de LRA. en 2020 et 2021, les arrêtés de création de LRA sont quotidiens ou quasi quotidiens, et transforment en LRA pour une journée un local, une salle. Les personnes enfermées en LRA sont privées d’accès à leur droit : accès impossible à une association, un conseil voire un téléphone. Beaucoup de parents d’enfants français ont été expulsés illégalement depuis des LRA.

Inégalités des droits
Le régime dérogatoire permet l’inégalité des mahorais français par rapport aux français de métropole. Les droits sociaux des mahorais sont très inférieurs à ceux des habitants de la métropole ou des autres colonies.
– Le SMIC et le RSA sont bien inférieurs (actuellement 7,91€ au lieu de 10,48€ en métropole et autres DOM) (actuellement de 282€ au lieu de 565€ en métropole, inférieur de 50%)
– Il n’y a pas de Complémentaire santé solidarité à Mayotte

Inégalités et pauvreté
Plus de 90% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, sur une île où les prix sont plus élevés : le coût de la vie est élevé car la plupart des produits sont importés. Il y a surtout des inégalités de revenus en fonction de la couleur de la peau :  en moyenne les revenus sont de 200€ mensuels pour les étrangers, 300€ pour les français originaires de Mayotte, 1400€ pour les français non originaires de Mayotte. C’est typiquement une structure sociale inégalitaire issue de l’histoire coloniale. La grande majorité de la population vit dans des logements précaires ou insalubres, il s’agit souvent d’abris de fortune, sans accès à l’eau, à l’énergie et sans assainissement.
Les étranger.es, les comorien.nes essentiellement, sont pointés comme la source de tous les problèmes par l’État français et les élites mahoraises.

La chasse aux étrangers s’organise
Des milliers d’habitations sont détruites chaque année laissant les personnes à la rue. Depuis 2016, des collectifs se sont organisés pour déloger et agresser leurs voisins qui sont des étrangers avec ou sans papiers et qui habitent un terrain qu’ils louent. Ces collectifs ont été escortés par les flics. Depuis l’État a pris le relai de ces meutes xénophobes en démantelant lui-même les quartiers pauvres. Les personnes construisent des bangas sur des terrains et ensuite la préfecture décide que tout un quartier est insalubre et vient le détruire sans respecter évidemment la Loi Elan qui veut qu’on reloge les personnes.

Pourquoi l’État français tient tant à conserver Mayotte ?
Il s’agit d’enjeux économiques et géostratégiques : Mayotte est sur la route du Cap par laquelle est acheminée le pétrole du moyen orient vers les pays occidentaux, le canal du Mozambique. Des découvertes d’importantes réserves de pétrole et de gaz dans le canal du Mozambique, c’est à dire entre le Mozambique et Madagascar, conserver Mayotte permet également à la France d’agrandir sa zone économique exclusive en mer (1)

(1) : L’œuvre négative du colonialisme français à Mayotte : Un îlot de pauvreté dans un océan de misère

« Ici je pense tous les jours où je vais mettre un drap pour me pendre »

Le témoignage de B. illustre les violences médicales et psychologiques ainsi que le déni de soin que subissent quotidiennement les personnes enfermées dans les centres de rétention. Ce n’est pas le premier témoignage de refus de soin et de maintien d’une personne enceinte en rétention à Toulouse, lire ici le récit de V enfermée malgré l’incompatibilité de son état avec l’enfermement. Il s’ajoute à une longue liste de témoignages de détresses psychologiques, d’usage de psychotropes distribués par le médecin du centre pour assommer les personnes ou d’absence de soins dans des cas de blessures graves.  Les tentatives de suicide sont nombreuses. Ici le récit concernant une personne qui s’est suicidée à  Bordeaux suite à l’absorption  d’anxiolytiques et de somnifères distribués par le médecin.

B. mentionne aussi son interdiction de territoire français (ITF) à vie et son enfermement en CRA alors qu’elle n’est pas expulsable. Cela répond à la même logique selon laquelle les Algérien·nes continuent d’être enfermé·es  en ce moment alors que l’Algérie ne délivre explicitement aucun laisser-passer. Le CRA n’est pas qu’un rouage de la logique de déportation des étranger·es, mais c’est aussi un outil de répression envers celleux qui ne peuvent pas être expulsée·es. Il s’agit de les obliger à s’invisibiliser, à se soumettre aux conditions de travail les plus pourries, voire à partir sans faire de bruit lorsque les patrons refusent de payer les personnes embauchées au black.

Mais partout les prisonnier·es se mutinent et résistent malgré tout ! Récemment, il y a eu des évasions (à Sète et à Oissel), des grèves de la faim à Holsbeek en Belgique, de la résistance collective à Toulouse… Partout dans le monde, à bas les frontières, feu aux CRA et crève la taule !

« Je suis Rrom avec une carte « gens du voyage », je suis en France depuis que je suis petite, depuis que j’ai 4 ans, ils veulent m’expulser en Bosnie mais je ne connais personne là-bas. Le seul pays que je connais c’est la France. Je suis sortie de prison de Marseille, ils m’ont mise ici, c’était ma phobie de venir ici, c’est pire que la prison.

On devient fous ici, quand on sort d’ici on peut exploser dehors et faire n’importe quoi tellement ça rend fou ici. Ils m’ont mis une interdiction à vie (Interdiction de Territoire Français – ITF). Pourquoi à vie ? Même les gens qui tuent on leur donne pas une interdiction à vie. Ils m’enferment ici pour me punir en plus de la prison. Il restait 3 mois en prison que j’ai pas fait, ils veulent me les faire payer ici. Ils m’ont enlevé mes enfants, y’en a un en foyer et 2 dans des familles d’accueil, je ne peux même pas leur parler. C’est compliqué, je ne sais pas comment faire, je n’ai pas eu d’aides pour tout ça.

Je suis ici depuis presque un mois, il y a une fille de 21 ans, elle ne parle pas français, elle est enceinte de 5 mois, elle est malade, elle vomit, elle saigne, je peux pas la laisser comme ça, ça me fait de la peine. J’ai appelé la sage-femme de l’hopital pour qu’elle appelle le médecin du CRA. Je ne sais pas ce qu’il a fait.
Ils l’ont emmené à l’hopital parce qu’elle avait un RDV d’avant, ils ont dit qu’elle a le diabète, ils l’ont ramenée au centre, ils vont l’expulser le 12 avil. C’est pas possible de laisser une femme enceinte dans ce centre.
C’est invivable ici, j’ai demandé de voir un psychologue, je me sens pas bien, il va pas venir, je sais pas pourquoi, ils font n’importe quoi avec les gens.

J’ai peur la nuit ici, il y a du bruit. Ils veulent que les gens se suicident, depuis que je suis ici j’ai des idées noires tous les jours, ils vont me rendre folle. J’ai passé 24 mois en prison, j’avais des idées noires quand je pensais à mes enfants, à ma mère mais ici c’est tous les jours les idées noires, je pense tous les jours où je vais mettre un drap pour me pendre. »

Plusieurs milliers de personnes ont manifesté samedi 18 mars contre les violences d’Etat, le racisme sytémique et les frontières

Beaucoup de monde mobilisé ce jour à Toulouse, contre les violences d’Etat, le racisme systémique, les frontières et notamment contre le projet de loi Darmanin anti-immigration

L’organisation a été portée par des collectifs féministes, anticolonialistes, antifascistes, antiracistes, des réseaux de soutien aux personnes sans-papiers, des collectifs en lutte contre les violences et crimes d’État et contre les frontières.

 

Prise de parole du collectif Toulouse Anti CRA :

Il y a les violences d’État que subissent les personnes étrangères. Elles sont traquées partout : aux frontières, au travail, dans la rue. Elles doivent quotidiennement se confronter à la police et aux politiques racistes mises en place depuis des années contre les immigrées. Ces violences d’État sont héritées des pratiques coloniales et du code de l’indigénat : la limitation de circulation, l’enfermement administratif et les déportations.

Les personnes sans papiers peuvent être arrêtés et se retrouver en centres de rétention administrative, les CRA. Le CRA de Toulouse Cornebarrieu est situé au bord des pistes de l’aéroport et 126 personnes peuvent y être enfermées. Dans ces prisons pour étrangers et étrangères, les personnes sont enfermées jusqu’à 3 mois en vue d’être expulsées. Mais toutes les personnes ne sont pas expulsables, et l’enfermement poursuit aussi un autre objectif qui est de punir et soumettre une partie de la population, de mater les personnes afin qu’elles s’invisibilisent et qu’elles ne se rebellent pas face aux patrons qui les exploitent.

Il y a près de 50 000 personnes enfermées par an sur l’ensemble du territoire, dont plus de la moitié à Mayotte, territoire colonial et lointain où la violence d’État se déchaîne.

À l’intérieur des CRA, les personnes ont faim, elles subissent quotidiennement des provocations, des humiliations, des insultes racistes, des refus de soin, et des violences policières. Des personnes se suicident, les CRA tuent. En septembre 2018, Karim, 31 ans, s’est pendu dans sa chambre au CRA de Toulouse suite à la prolongation de son enfermement par le juge.

Les prisonnières et prisonniers des CRA luttent quotidiennement contre l’enfermement et contre l’expulsion, que ce soit par des évasions, des incendies, des grèves de la faim et des refus de vol. Les personnes qui se rebellent et luttent sont régulièrement envoyés à la maison d’arrêt de Seysses après un passage au commissariat. Les allers-retours entre CRA et prison sont en augmentation. À Toulouse, de nombreuses personnes se retrouvent en circuit fermé entre le CRA et Seysses.

Depuis plusieurs années, l’État renforce la double peine, où il s’agit d’expulser un maximum de personnes qui ont été condamné à de la prison. Les personnes étrangères, plus contrôlées, plus judiciarisées et condamnées à des peines plus sévères représentent 25% des prisonnières et prisonniers. Cette justice de classe et de race qui enferme les pauvres, les personnes racisées et les personnes étrangères s’appuie sur un arsenal juridique de plus en plus répressif et une augmentation des lieux d’enfermement.

L’État est en train de construire de nouveaux CRA partout sur le territoire, en 2027 le nombre de places aura triplé en 10 ans. Il construit aussi partout de nouvelles prisons, avec 15 000 nouvelles places d’ici 2027. Il y a à Toulouse le projet d’une nouvelle maison d’arrêt, à Muret, en plus de celle de Seysses.

Ces violences d’État s’exercent aussi aux frontières. La France et l’Europe sont responsables de milliers de morts chaque année en Méditerranée, dans la manche, au large de Mayotte. C’est l’occasion d’un business juteux pour les multinationales du militaire et du sécuritaire. L’Europe renforce en ce moment ses dispositifs anti-migratoires.

En France, le projet de loi raciste de Darmanin sur l’immigration est discuté au parlement. L’objectif est de durcir la condition des immigré·es, de renforcer l’exploitation des travailleurs et travailleuses avec des titres de séjour précaires. Cette loi permettra de réprimer et de criminaliser davantage celles et ceux qui ne seront plus utiles aux patrons, qui ne se soumettront pas aux « valeurs de la République » ou qui représenteront une « menace à l’ordre public » selon les préfectures. Au final, cette loi permettra d’enfermer davantage en CRA et d’expulser encore plus facilement. Mais Il s’agit de la 30e loi anti-immigration en 40 ans et ce n’est pas seulement contre elle mais contre toute la politique migratoire de l’État qu’il faut lutter.

Solidarité avec toutes les personnes immigrées ! Solidarités avec les prisonniers et prisonnières en lutte dans toutes les prisons !

Rassemblement devant le CRA de Toulouse

Dans le cadre des mobilisations nationales contre la loi raciste de Darmanin, qui prévoit d’exploiter d’avantage les travailleur·euses sans papiers, d’enfermer et d’expulser plus les étranger·es, des manifestations contre les CRA se sont déroulées dans plusieurs villes, le week-end du 18 février : Lyon, Paris, Marseille, Bordeaux, Nantes, Strasbourg.

A Toulouse, une trentaine de personnes se sont rassemblées devant le CRA de Cornebarrieu pour faire entendre leur solidarité avec les personnes qui y sont enfermées et qui subissent le racisme et les violences d’État. Elles ont passé de la musique et échangé par dessus les murs avec les prisonniers de plusieurs secteurs avant l’arrivée des gendarmes.

A l’intérieur, quand les prisonniers sont sortis dans les cours de promenade pour crier avec les manifestant·es et danser sur la musique, les flics sont ensuite venus équipés de matraques et de gaz pour les empêcher de communiquer avec l’extérieur et les faire entrer dans le bâtiment.

Solidarité avec les prisonnier·es en lutte !
Solidarité avec toustes les immigré·es !
A bas les CRA et les frontières !

Enfermement et soin sont incompatibles. Réponse à la lettre ouverte du médecin du CRA de Lyon Saint Exupéry.

Nous relayons cet article des camarades de Lyon Anti CRA. La maltraitance du corps médical est la même dans tous les centres de rétention de France, les prisonnier-es en témoignent régulièrement depuis des années.

TW : violence médicales, tentatives de suicide.

Il y a quelques semaines, le médecin du CRA de Lyon a démissionné en publiant une lettre ouverte (https://www.rue89lyon.fr/2022/12/20/demission-medecin-centre-retention-lyon-fabrique-violence/) expliquant qu’il ne pouvait plus exercer son métier à cause des « conditions dégradées » dans le centre ces derniers mois. Pourtant cela fait des années que des prisonnier-es du CRA de Lyon témoignent de violences de la part du corps médical. En dénonçant uniquement un manque de moyen et une dégradation de ses conditions de travail, il masque le véritable problème : soin et enfermement sont incompatibles.

Ce témoignage a été beaucoup diffusé par les associations et les médias. De nombreux autres récits – qui contredisent celui-ci – ont été publiés par le passé, sans retenir la même attention, parce que c’étaient ceux des prisonnier-es elleux-mêmes, dont la parole est systématiquement délégitimée ou ignorée par rapport à celle des institutions, dont le corps médical. Accorder plus d’importance à ce témoignage d’un médecin qu’à celle des premier-es concerné-es participe à l’invisibilisation des prisonnier-es, de leur parole et de leurs luttes.

Ce témoignage sert un discours qui légitime l’incarcération en affirmant que les problèmes dans les centres de rétention (et autres prisons) seraient dus uniquement à de mauvaises conditions d’enfermement ou à un manque de moyens et non à l’enfermement en lui-même. Dans les CRA, les médecins n’ont pas vocation à améliorer les conditions de vie des détenu-es, ils font partie du système de maintien de l’ordre. La dégradation des conditions de santé des prisonnier-es est un outil de l’État pour réprimer et contrôler les personnes étranger-es, et les médecins à l’intérieur des CRA en sont l’instrument (voir l’article : https://abaslescra.noblogs.org/le-juge-le-flic-et-le-medecin/).

Au CRA de Lyon, que ce soit dans l’ancien CRA ou dans le nouveau ouvert en 2022, les prisonnier-es ont toujours dénoncé de mauvais traitements par les médecins. Ces derniers n’ont jamais réagi pendant des années et ont participé activement aux violences qui y ont lieu quotidiennement.

Le 16 mars 2019, des détenu-es en grève de la faim écrivaient dans un communiqué (https://crametoncralyon.noblogs.org/nouvelle-greve-de-la-faim-au-centre-de-retention-de-lyon-et-appel-a-soutien-17-03-2019/) :

« ils nous donnent des médicaments donnés pour les gens vraiment fous sans ordonnance sans rien (comme Diazépam, Lyrica, Valium, Prazépam, Tercian, Zopiclone, Théralène, Subutex) et même les infirmières elles sont courant de tout. Les gens ils font la grève mais elles leur donnent des médicaments pour les intoxiquer même y en a des pères de famille ils se charclent ici il a des points de suture ils l’ont laissé comme ça au confinement sans qu’on le soigne y a quelqu’un aussi il a une maladie du foie il obligé qui soigne »

En avril 2019, Yanis, détenu au CRA, dénonçait aussi le recours systématique à des traitements lourds pour mieux contrôler les prsionnier-es (https://crametoncralyon.noblogs.org/temoignage-de-yanis-detenu-au-cra-de-st-exupery-avril-2019/) :

« Concernant les soins, il n’y a pas de soins ici, c’est … C’est de la merde. Ya que du Diazepam et tout. Yen a, jsais pas moi, concernant… moi j’ai consulté le médecin l’autre jour, elle m’a donné du Diazepam, moi j’ai, je suis un peu stressé, elle m’a dit « deux Diazepam ».
Et deux Diazepam je sais pas pourquoi elle m’a donné ce médicament là parce que c’est … C’est un anti-dépresseur ou quelque chose comme ça. Moi c’est pas une dépression c’est un petit stress passagère. Mais c’est…
Mais je savais pas pourquoi elle m’a donné ce médicament là, mais du coup ya une euh… une grande euh… Une grande euh… C’est la majorité qui prend ces médicaments là… C’est parce que c’est… C’est exprès qu’ils font ça ou je sais pas… […] Je sais pas pour calmer les gens peut-être, je sais pas… »

À l’automne 2020, un prisonnier tabassé par les flics racontait comment le médecin avait minimisé ses blessures pour couvrir ses agresseurs (https://crametoncralyon.noblogs.org/jai-peur-franchement-vous-me-faites-peur-je-pense-il-suffit-quon-vous-donne-quelques-droits-la-et-vous-allez-commencer-a-tuer-des-gens-vous-temoignage-de-x-tabass/) :

« Pour moi, c’est pas un médecin. C’est pas un médecin. Il m’a dit « ouais, je vois, t’as une cicatrice sur ton front, t’as des bleus sur la tête », mais  il y avait le policier à côté de lui, mais franchement, vous prenez les gens pour quoi ? Je lui ai dit, « toi t’es pas un médecin en fait, tu viens me voir au mitard, tu me dis montre tes bras, montre tes jambes, mais déjà, quand tu viens me voir, devrait pas y avoir la police à côté de toi là, et la vérité, je lui ai dit, t’es pas un médecin toi, t’es un policier, t’es plus qu’un policier ». C’est plus qu’un policier lui, je sais, je suis parti à l’infirmerie le lendemain, je suis allé voir l’infirmière pour porter plainte, tout ça, ils m’ont donné 0 jours d’ITT, j’ai montré à l’infirmière, regarde, hier j’étais pas bleu comme ça, j’étais pas gonflé comme ça ». Elle m’a dit, « ouais, c’est vrai, je vais parler avec le médecin ». Ils m’ont pas appelé. »

En novembre 2020, en pleine épidémie de covid (plusieurs dizaines de prisonnier-es testé-es positifs), les détenu-es dénonçaient l’absence totale de mesures sanitaires, face à quoi le médecin n’a rien fait :

« J’ai dit je suis malade je tousse, ça fait trois jours j’ai la gorge… les gens qui ont le coronavirus ils étaient avec moi, je suis malade. Ils me donnent pas de rendez-vous, non. Ils me parlent mal, même le médecin ici il parle mal, il me dit on n’a pas ça, on n’a pas ça. Si tu parles mal avec lui il va appeler la police. La police va t’amener à l’isolement. » (https://crametoncralyon.noblogs.org/greve-de-la-faim-au-cra-de-lyon-les-prisonniers-denoncent-leur-situation-alors-que-11-personnes-ont-ete-testees-positives-au-covid-19-temoignage/)

« J’ai demandé le médecin, ils veulent pas. le médecin il est venu me voir parce que comme j’ai un accident, une fracture au niveau du cou, ils m’ont bandé sur un tabouret fixe (?). c’est la même chose, la fracture elle est comme avant. j’ai demandé le médecin, il n’y a pas. j’ai demandé les secours, il n’y a rien. j’ai appelé la police, ils ont dit « tu peux pas te déplacer, tu es au centre de rétention ». j’ai appelé les pompiers et là… je sens qu’ils m’écoutent. après ils m’ont emmené au mitard. » (https://crametoncralyon.noblogs.org/voila-comment-on-traite-les-gens-on-est-isoles-cest-vrai-quil-y-a-des-cameras-mais-dans-les-chambres-il-y-en-a-pas-dans-les-chambres-il-y-a-que-des-agressions-temoignage-de-x/)

« Ceux qui ont envie de faire le test, il faut qu’ils aillent demander. C’est pas tout le monde qui le demande ; le médecin, il demande rien lui. Nous, on a demandé au médecin qu’est ce qui se passe, pourquoi ils font pas quelque chose pour nous sortir de cette situation. Ils disent que pour le moment, ils peuvent rien faire et qu’ils vont réfléchir s’il y a plus de cas. Mais là, les cas ils augmentent tout les jours. Ça veut dire que nous tout le monde va être contaminé. Parce qu’en plus, on est 4-5 personnes dans les chambres, c’est pas possible. » (https://crametoncralyon.noblogs.org/parce-que-nous-on-est-la-on-est-dans-la-realite-du-virus-le-virus-il-circule-on-est-la-dedans-et-personne-ne-nous-aide-personne-ne-fait-rien-pour-nous-aider-temoignage-de-d-enferme-au-cra-de/)

Ou encore ce témoignage d’un prisonnier dénonçant la réaction du médecin suite à la tentative de suicide d’un co-détenu :

« Le médecin il s’en bat les couilles ! je lui ai dit t’es payé pour ça, il m’a dit « tu me parles pas comme ça. moi suis pas payé pour ça, je suis pas payé pour la merde pour le covid et tout. il m’a dit j’ai mon salaire normal je me casse pas les couilles ». je l’appelle il me dit comme ça « tu me casses pas les couilles ». la dernière fois j’ai appelé la police, j’ai appelé le médecin, « ramène moi un médicament ». ils ont appelé, il était chez lui, il a dit quoi ? il a dit « lui il casse les couilles tous les jours, ramène-le à l’isolement ». ils m’ont ramené à l’isolement. » (https://crametoncralyon.noblogs.org/on-compte-sur-vous-pour-fermer-ce-centre-cest-catastrophe-on-est-trop-touches-temoignage-de-x-prisonnier-au-cra-de-lyon-14-11-20/)

En plus des risques sur la santé physique liés au covid, l’inaction et le mépris des médecins face à l’épidémie dans le CRA ont eu un impact très violent sur la santé mentale des personnes enfermées (stress, peur d’attraper le virus, isolement…).

Si à l’époque les nombreux cas de covid au CRA avaient attiré l’attention des médias et des associations pour quelques temps, ensuite les violences médicales ont continué, dans l’indifférence totale.

En juin 2021, des prisonnier-es en grève de la faim témoignaient (https://crametoncralyon.noblogs.org/ils-shootent-la-plupart-des-personnes-covid-maltraitance-et-violences-policieres-au-cra-de-lyon-temoignages-des-prisonnier%c2%b7es-3-7-06/) :

«  Bah le médecin vous savez, ils sont pas avec nous. Donc du coup, eux ils sont dans leur bureau, ils savent vraiment pas ce qui se passe, ils sont dans leur coin. sauf quand quelqu’un est malade, mal aux dents, n’importe quoi, c’est doliprane quoi. Après ils essaient de donner aussi des… je vais pas vous mentir hein, ils donnent aussi beaucoup des… ce qu’ils prescrivent aussi beaucoup c’est des… comment ils appellent ça déjà? des calmants, anxiolytiques, voilà. Ils shootent la plupart des personnes. »

«  ça se passe mal, ils nous traitent comme des animaux. Ils nous mettent la pression, ils nous narguent, ils nous disent : comme mon ami il a la dent cassée, il est dans sa chambre dans l’isolement [car il est positif au covid], il va mourir, il a parlé avec les flics ils ont dit : « prend un doliprane et allonge toi », il a parlé avec le médecin il a dit « prend un doliprane ». On est malmenés quoi ! on est pas des êtres humains, on est du bétail, on est du bétail voilà. Y’a un copain aussi là il est malade, il est trop malade, il est au mitard ça fait cinq jours.
– Pourquoi il est au mitard depuis 5 jours?
– Parce que il est tombé de son lit, il s’est cassé le bras et y’a eu du sang, ils ont dit : « t’as fait exprès », et ils l’ont mis au mitard. »

Le déménagement dans le nouveau CRA neuf en janvier 2022 n’a amélioré en rien la santé des prisonnier-es, comme avait témoigné l’un d’eux en mai dernier (https://crametoncralyon.noblogs.org/temoignage-de-x-on-dit-le-pays-des-droits-de-lhomme-quand-on-se-donne-cette-etiquette-il-y-a-un-degre-de-respecter-les-humains/) :

« Au niveau médical, j’ai eu un début de, je sais pas, parce que je l’avais jamais eu dehors, un début de problème cardiaque. Je faisais déjà de la tension, a plus de 17° de tension, déjà ce n’était pas très bon, pendant plus de 2 semaines. […] Dejà même si c’est dehors, pour un être humain, faire de la tension à plus de 17° pendant 2 semaines, c’est un risque de danger, ça peut causer un problème cardiaque. Et pour celà, au moins on doit avoir un suivi médical, un peu ordonné. Et là, sans toutefois me faire des examens, on me propose de me mettre sous traitement. Et quand je demande pour voir le traitement, c’est des somnifères qu’on me donne ! Et quand tu refuses ça devient un problème ! (inaudible). Tu dois au moins me faire des examens,  me mettre sous traitement, avec un suivi médical bien ordonné qu’on peut défendre. Mais pas me dire directement on va te mettre sous traitement et quand tu regarde ce que tu m’as donné c’est ce que tu donnes, le même traitement, à tout le monde qui est au centre. On retrouve particulièrement les mêmes problèmes, parce que quand tu regardes les comprimés qu’on donne à d’autre gars, tu reviens avec quelque chose qu’il a eu, c’est pratiquement les mêmes comprimés qui sont donnés chaque fois. »

En mai 2021, notre collectif avait déjà alerté de nombreuses structures et associations  (https://crametoncralyon.noblogs.org/il-est-impossible-de-soigner-dans-les-lieux-denfermement/) sur ces pratiques médicales abusives, tout en rappelant l’incompatibilité entre soin et enfermement :

« Au lieu de les accompagner et de leur apporter les soins nécessaires, par définition incompatibles avec l’enfermement, les unités médicales au sein des CRA minimisent les souffrances psychiques et physiques exprimées, et participent ainsi à renforcer la vulnérabilité des personnes concernées. Déjà soumises à la violence administrative et policière inhérente à l’enfermement, les prisonnièr-es sont donc également confronté-es à une violence médicale plus difficile à dénoncer. »

La lettre ouverte du médecin démissionnaire du CRA de Lyon n’apprend donc rien de nouveau sur les mauvais traitements subis par les prisonnier-es. En revanche, elle passe sous silence l’hypocrisie du corps médical qui s’est rendu complice et acteur de ces violences pendant des années.
Cette lettre est dégueulasse. Elle légitime en de nombreux points le discours étatique, par exemple en reprenant l’idée raciste et classiste que les prisonnier-es du CRA seraient des personnes dangereuses et violentes, et donc qu’iels seraient en partie responsables de leurs mauvaises conditions de détention.

En se focalisant davantage sur les supposées violences des détenu-es que sur celles structurelles de la détention, cela le conduit à remettre en question la relative « libre circulation » au sein du CRA et à déplorer le fait qu’il n’y ait pas de surveillants, comme en prison, pour « pacifier » la détention. En prenant pour exemple les prisons, il invisibilise et nie là encore la réalité vécue par de nombreuses personnes enfermées dans ces prisons, où, en plus de la violence des matons, les conditions médicales sont tout aussi violentes, comme le documente depuis des années le journal anticarcéral l’Envolée (https://lenvolee.net/).

L’enfermement en soi, ainsi que la menace de déportation, ont des conséquences désastreuses sur la santé des personnes, car ces institutions traumatisent, usent de violences physiques et psychologiques, torturent, sont la cause de tentatives de suicide.  Pour nous il ne peut pas y avoir de « relations normalisées » dans une institution raciste dont la raison d’être sont l’enfermement et l’expulsion, pas plus « qu’attendre sereinement son expulsion » n’est possible ou souhaitable. Les prisonnier-es ne cessent de résister et iels ont raison.

Sous couvert de critiquer le système carcéral, ce genre de discours ne fait que le renforcer, en prétendant qu’il pourrait y avoir une « bonne » manière d’enfermer.

Répétons-le encore une fois : soin et enfermement sont incompatibles. Les CRA et les prisons tuent.

Pour un droit à la santé pour toustes,
Abolition des CRA et de toutes les prisons !

Le collectif Lyon Anticra

Rassemblement devant le CRA de Toulouse ce 18 décembre en solidarité avec les personnes enfermées, contre les frontières et les prisons

Ce dimanche, une vingtaine de personnes se sont rassemblées devant le centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu, à côté de l’aéroport, à l’occasion de la mobilisation nationale pour les droits des personnes sans papier et contre les politiques migratoires répressives de l’État français.
On voulait faire entendre notre solidarité avec les personnes qui y sont enfermées et qui subissent le racisme et les violences d’État et des flics qui les gardent. Encore la semaine dernière, des prisonniers du CRA ont dénoncé une énième fois l’agression de l’un d’eux par les agents de la PAF.

Et pendant ce temps, le ministre de l’intérieur Darmanin prépare une nouvelle loi anti-migrant·es qui prévoit encore plus de contrôles, d’enfermements et d’expulsions.

On a crié des slogans et passé de la musique. On a pu entendre les prisonniers crier en réponse à l’intérieur. Dans au moins un des secteurs, les personnes sont sorties dans la cour pour crier en réponse. Par téléphone, d’autres expliquaient que les flics essayaient de les faire rentrer dans les bâtiments pour ne pas qu’ils puissent nous entendre, ou les empêchaient de sortir dans les cours de promenade. Pendant ce temps, une dizaine de keufs à moitié équipés se rassemblaient à l’entrée du CRA pour nous surveiller. On est finalement reparti.es sans se faire inquiéter, et content.es d’avoir pu échanger par dessus les barbelés avec les prisonnier.es.

Continuons à manifester notre solidarité, multiplions les actions devant les CRA et les prisons ! À bas l’État, les flics et les frontières !
Ni prison, ni expulsion !

Violences policières au CRA de Toulouse

Nous relayons le témoignage d’un prisonnier du centre de rétention administrative de Cornebarrieu Toulouse qui relate les violences policières qu’ils ont subi, lui et un camarade. Celui-ci, en plus d’avoir été tabassé, a reçu une plainte des flics contre lui. Un procédé habituel dans les CRA qui sert à couvrir les flics, à obtenir des primes, à dissuader celleux qui oseraient résister à leurs provocations racistes et leurs humiliations quotidiennes.

« On était en train de manger à la cantine, le policier a insulté un jeune, il a insulté sa mère, on a dit au policier pourquoi tu l’insultes, il est jeune, tu insultes la daronne, ça se fait pas.

Il a pris mon copain, il l’a monté à la salle d’attente, il l’a tapé devant moi, je suis témoin, il lui a mis des tartes, des coups, il lui a mis des coups dans les yeux, il a eu du sang dans les yeux après. Il a un certificat médical. Y’a les vidéos aussi. Il a demandé à porter plainte. Et Le policier a porté plainte avant.

Ils ont emmené mon copain en garde à vue, ensuite, ils l’ont ramené à 1 heure du matin ici au centre et juste après, ils l’ont transféré au centre de Perpignan. Moi aussi il m’a frappé, il m’a insulté. J’ai pas porté plainte, je suis témoin pour mon copain pour sa plainte »

« Il y a beaucoup de pression ici » : pressions policières, judiciaires et tentatives de suicide au CRA de Bordeaux

Après une semaine pendant laquelle trois personnes ont tenté de se suicider au CRA de Bordeaux1, nous recevons un appel le samedi 9 juillet 2022 pour nous avertir à propos de deux nouvelles tentatives effectuées par la même personne.

Premier appel : « *** a mangé une batterie de téléphone. La police a dit « tu vas voir, on va te renvoyer chez toi ». Il s’est énervé, et il a mangé une batterie. Ils l’ont envoyé à l’hôpital. J’attends qu’il revienne, on vous rappelle. »

Plus tard sur le répondeur : « Je vous appelle de la part de ***. Ça fait la deuxième fois qu’il avale une batterie de téléphone [il a déjà tenté de se suicider de cette manière il y a quelque jours. Ce matin encore il a essayé de se suicider, de se pendre avec une corde parce qu’il ya les personnes de la police ici, euh… Ben malheureusement […] il a vraiment besoin d’aide parce qu’il y a vraiment beaucoup de pression ici sur les gens, les policiers, le juge, le menacent de trois ans de prison etc etc. Même moi voilà, j’ai mon passeport, j’ai donné à la police mon passeport, j’ai une fille française, elle a 8 ans, il y a beaucoup de pression ici et j’ai pas envie de me séparer de ma fille. »

Quand on rappelle : « *** vient de rentrer de l’hôpital. On lui a proposé de l’opérer [pour retirer la batterie dans son estomac] mais il a refusé. Je ne sais pas le pouvoir que vous avez mais lui il va pas bien. Il est tout blanc. Ça fait trois ans qu’il est en France, il a pas envie de retourner dans son pays, il a des problèmes avec des gens là bas, et puis c’est la misère. Ici il a un travail. […]

Moi je suis arrivé ici le 20 juin et j’ai déjà vu trois tentatives de suicide. Il y en a un autre qui avait arrêté de manger, il avalait des pièces de monnaie. J’ai pas envie de mourir, mais je me dis que peut-être que le prochain ce sera moi, que je vais finir par avoir envie de me suicider. […]

Il a une batterie dans l’estomac. Si elle ne sort pas de son estomac d’ici 48h il va mourir. Ça va percer son estomac. […] Le juge le menace de 3 ans de prison, ça fait 6 jours qu’il ne mange pas. Nous on vous appelle pour que vous soyez pas surpris s’il meurt. La police dit que son vol c’est demain.

[…] Ici la nourriture est dégueulasse, on peut quasiment rien manger. Parfois ils nous emmènent la gamelle, c’est des trucs périmés. En visites on ne peut pas nous apporter à manger, mais on peut nous emmener des clopes. Alors nous on ne peut pas manger mais on peut fumer. Ça veut dire quoi ça ? On nous traite comme des chiens. Envoie des journalistes, moi je veux parler à la télé, à la radio, de ce qu’on vit ici. C’est pas normal. On est tous des êtres humains ! »

Dimanche 10 juillet, *** n’a pas été renvoyé : « *** a mal, il ne mange pas, il vomit. C’est la deuxième batterie qu’il avale en une semaine. Et hier, il y a un gars, il s’est lacéré le ventre avec une lame de rasoir, les policiers ils ont rien dit, je me suis pris la tête avec eux. Il y en a ils sont gentils, mais ya un groupe, j’ai jamais vu ça, on dirait des fachos. […] Ils ont ramené quelqu’un hier aussi avec la gale. Tout le monde gratte et ils s’en foutent. »


1 : « Le centre de rétention administrative est situé au sous-sol du commissariat. Il est confiné, très exigu et les personnes qui y sont enfermées développent très rapidement des troubles psychiques dus aux conditions particulièrement anxiogènes de leur enfermement. Au-delà d’un certain nombre, les personnes se retrouvent très à l’étroit : la cour est très petite… La lumière naturelle est rare : la seule source étant un puits de jour au cœur de la courette grillagée (20m²). L’ensemble du CRA est éclairé aux néons qui restent parfois allumés la nuit… » – (Rapport rétention Cimade 2019)

« S’il y a un truc que j’ai bien compris, c’est que quand t’es ici, t’as pas de droits »

Témoignage, le 21  juin 2022

« Je me suis fait taper par la police. T’entends pas comment je parle ? J’ai demandé pour voir le docteur, parce que j’ai mal aux dents. Ils m’ont dit non, ils m’ont dit de rentrer dans ma chambre. J’ai dit que je rentre pas dans ma chambre si je vois pas le docteur, je suis malade. Il m’a dit non, c’est moi qui commande ici, c’est moi qui décide. Il me dit que si je rentre pas dans ma chambre, il me met au mitard. Ils m’ont pris, ils étaient 10. Pas 3, 10 ! Ils m’ont tapé, frappé avec, tu vois leurs grosses chaussures là ? Ils m’ont étranglé jusqu’à ce que je vomisse. Je dis la vérité wallah, il y a des témoins et tout ! Devant tout le monde, devant la caméra. Même le docteur, il a tout vu, il n’a rien dit. Le matin je suis allé voir le médecin. Il a fait quoi le docteur ? Il m’a donné un doliprane ! J’ai des bleus, j’ai mal partout.

Mon avocat, je l’ai appelé au moins 10 fois, il m’a dit d’aller voir la CIMADE. Mais à la CIMADE ils m’ont dit que je pouvais porter plainte mais que ça ne servait à rien 1. Mais si c’est un avocat qui connaît son travail, les policiers ils ont pas le droit de faire ça, ils peuvent pas me taper comme ça, même une gifle ils ont pas le droit ! Pourquoi ils laissent faire ça ? Il faut que je sorte d’ici. Si je sors, je pourrai porter plainte.

S’il y a un truc que j’ai bien compris, c’est que quand t’es ici, t’as pas de droits, et eux ils ont le droit de faire tout. »


1 : Porter plainte pour les prisonnier·x·es du CRA, ça veut dire aller au commissariat, accompagné·x·e par des flics, pour demander à des flics d’ouvrir une enquête sur les violences d’autres flics. Comme en tôle, se défendre c’est aussi s’exposer à des plaintes en retour des flics de la PAF, qui peuvent avoir gain de cause, ce qui participe aux allers-retours CRA/prison