Acharnement de la préfecture et des juges sur une femme enceinte de 5 mois enfermée depuis 60 jours au CRA de Toulouse

V. est enceinte de 5 mois, elle est enfermée au centre de rétention de Cornebarrieu Toulouse depuis bientôt 60 jours. Elle habite Nice et a été transférée au CRA de Toulouse sans raison puisqu’il en existe un à Marseille. Elle est donc loin de sa famille et de ses 4 enfants. Elle a fait 3 hémorragies, elle a été emmenée à l’hôpital en urgence à deux reprises et ramenée au CRA à chaque fois. V. a grandi en France et ne connait pas son pays d’origine. Elle n’est pas expulsable mais la préfecture et les juges s’acharnent pour garder une femme enceinte de 5 mois enfermée dans des conditions dégueulasses et qui génèrent un stress intense.

Fin octobre, plus de 30 prisonnier.e.s font une grève de la faim suite à l’annonce du nouveau confinement en France et de la fermeture totale des frontières extérieures, V. témoigne :

« On fait la grève de la faim parce que nous sommes ici, ils nous font la misère ici quand on reste ici pour rien…
Le confinement il n’y a plus rien. Nous sommes dans la merde, il n’y a plus personne, plus de visite, plus rien maintenant.
Chaque fois qu’on passe au tribunal, c’est négatif c’est négatif parce que les juges du tribunal sont tous racistes, même la préfecture elle est raciste.
Moi ici je suis enceinte de 5 mois, je me stresse, même je suis partie deux fois à l’hôpital. 24h après qu’ils m’aient apporté à l’hôpital, que j’ai saigné, j’ai perdu du sang et tout, et ils font rien.
Normalement nous on doit être dehors, avec notre famille, avec nos enfants.
Moi j’ai 4 enfants, tous mineurs, de 6 ans jusqu’à 1 an ici en France, ils sont nés en France, je suis enceinte de 5 mois, c’est n’importe quoi en fait.
On a droit à notre liberté, normalement c’est les droits de l’homme, la liberté »

Elle témoigne des conditions indignes d’enfermement et du racisme du médecin du CRA, qui est médecin généraliste et non pas gynécologue, et qui préconise l’enfermement depuis le début. Ce même médecin a pour pratique de shooter les personnes enfermées à coup de somnifères et d’anxiolytiques, ou de refuser des soins, de nombreux témoignages à ce sujet sont disponibles sur ce blog.

Témoignage recueilli par Luttes Labo
« ça fait trois jours que j’ai des contractions, au centre il n’y a pas de gynécologue ni de sage femmes, rien. Juste un docteur russe mais qui est raciste comme jamais. Tout le monde ici le déteste… il ne se comporte pas bien avec eux.
Dans les chambres il fait froid, les toilettes c’est comme les gardes à vue.
On sait pas pourquoi on est ici et pourquoi ils nous prolongent encore, qu’est-ce qu’ils font de nous en fait ? Si on demande le transfert, ils veulent pas parce qu’ils sont racistes au tribunal. On veut sortir, être proche de notre famille.

Je suis partie avant-hier au tribunal parce que j’ai fait 28 jours et tout le monde, a repris 30 jours, il y avait 8 personnes, il y a même pas le motif. Je sais pas ce que je fous ici en fait.

Le 27 novembre, V. nous raconte :
C’est la troisième hémorragie que je fais, j’ai saigné, je suis partie à l’hôpital. L’hôpital il dit que c’est normal. Et avant-hier y’a une sage-femme de l’hôpital qui me téléphone et me dit oui vous avez fait une hémorragie il faut que je vous suis c’est très urgent. Elle voulait venir aujourd’hui mais le problème c’est que y’avait quelqu’un contaminé de ces patients. Elle essaie de voir si c’est positif ou négatif. Si c’est négatif elle viendra la semaine prochaine. Je suis restée même pas 3 heures à l’hôpital. Il y avait deux sages-femmes une qui me dit elle va pas bien, elle a des contractions et une autre non elle est bien elle a rien.
On est onze ici, dans huit jours j’ai une audience…après je pense que je vais sortir… je sais pas combien de temps ils peuvent me garder »

Une sage-femme de la PMI se déplace au CRA de Toulouse le 1er décembre pour voir V. et établit un certificat médical indiquant l’incompatibilité de son état avec l’enfermement. Dans la journée une demande de mise en liberté est effectuée et rejetée aussitôt par ordonnance par le juge des libertés et de la détention (JLD). L’ordonnance du juge spécifie que l’enfermement pour V. est une opportunité car elle est ainsi mise à l’abri au CRA, sous prétexte qu’elle n’aurait pas d’hébergement. Ce qui est faux, V. habite Nice avec sa famille et peut fournir des attestations. Ainsi, le juge feint de prendre le CRA pour un centre d’hébergement d’urgence ! De plus, son état de santé ne justifierait pas une hospitalisation selon lui et il estime que le CRA a un service de santé adéquat pour le suivi d’une grossesse ! Le certificat de la sage-femme de la PMI contredit les décisions du médecin du CRA.

Le 1er décembre :
« La sage-femme de la PMI est venue, elle m’a vue, elle a vu que j’ai des contractions, elle a dit je dois pas rester ici, je risque d’accoucher prématuré, elle m’a fait un certificat médical, je l’ai donné à la Cimade, ils ont envoyé ça au juge et là il a refusé, j’ai reçu le papier du juge : Cour d’appel de Toulouse, Juge des libertés et de la détention, ordonnance demande de mise en liberté présentée par un étranger au centre de rétention administrative… »

Le 4 décembre, suite à la demande de mise en liberté, le juge de la Cour d’appel libère V. après 60 jours d’enfer.

Acharnement judiciaire et politique du chiffre contre les prisonnier·e·s du CRA de Toulouse

Lors du premier confinement, les CRA avaient été vidés en grande partie, sans pour autant être fermés. Pour ce second confinement, ils sont pleins, avec des cas de covid et des clusters.

A Toulouse, les avocat·e·s avaient effectué·e·s des demandes de mise en liberté (DML) en mars 2020, qui avaient abouties pour un grand nombre d’entre elles. Cette fois-ci, une soixantaine de personnes étaient enfermées au moment où de nouvelles DML ont été faites, début novembre 2020. Les juges des libertés et de la détention (JLD) les ont rejetées, les recours en appel ont été rejetés également, mais cette fois par ordonnance, donc sans audience ! Dans son ordonnance, le juge d’appel considère que la perspective d’expulsion reste « raisonnable » et que la libération n’est pas « pertinente » car le nombre d’admission en 2020 à Toulouse a diminué. La situation de chacun·e étant sans lien avec les statistiques d’enfermement, c’est un aveu de fait d’une politique du chiffre des juges.

A la date du 6 novembre 2020, et depuis le 17 mars, date du début du premier confinement, sur les 444* personnes enfermées au CRA de Toulouse, seules 22 ont été expulsés en dehors de l’Union Européenne, ce qui représente moins de 5 % des personnes emprisonnées ! 29 ressortissant·e·s de l’U.E. ont par ailleurs été expulsé·e·s. Au CRA de Toulouse, depuis le 27 mars, il n’y a eu aucune expulsion vers l’Algérie ou le Maroc, mais les personnes sont quand même enfermées.

Le rôle « officiel » du CRA étant de permettre l’expulsion, ces chiffres montrent encore une fois que l’État cherche à enfermer coûte que coûte, pour punir et soumettre les personnes sans papiers, au point de mettre en danger leur santé et leur vie. En effet, les conditions sanitaires sont toujours aussi dégueulasses, alors même que l’État s’alarme de l’aggravation de la pandémie.

Les visites sont rendues impossibles : des personnes en visite ont été verbalisées 135 € une fois arrivés au CRA par une Police aux Frontières (PAF) que ça faisait rire, sous prétexte que le motif du déplacement n’était pas « impérieux ». Pourtant, les colis sont indispensables aux prisonnier·e·s, l’OFII rationne voire ne distribue pas les produits d’hygiène, les vêtements, etc., sans parler de la nourriture infecte et inadaptée.

Des personnes enfermées au CRA de Toulouse témoignent. Elles relatent leurs conditions d’enfermement et ne comprennent pas ce qu’elles font dans cet enfer :

T : « Y’a eu 3 personnes positives au Covid, on est inquiets, ils les ont libérées, dans ce secteur on est 20, les appels des avocats ont été rejetés pour tout le monde. ça fait 35 jours que je suis là. Ils peuvent aller jusqu’à 60 ou 90 jours. y’en a un qui a fait une tentative de suicide il s’est fracassé la tête sur le carrelage ».

G : « j’ai voulu me tuer y’a 5 jours ici, j’ai jeté ma tête contre le carrelage, j’ai eu des points de sutures…En prison aussi j’ai voulu me tuer. J’ai 60 ans… J’ai mal à la jambe, je suis tombé du 3ème étage, ça fait 8 mois que j’attends qu’on me fasse un scanner à l’hôpital, même à la prison ils m’ont donné des médicaments pour calmer la douleur, j’arrive pas à marcher, je marche même pas 10 mètres et je tombe. Je veux un spécialiste pour ma jambe, sinon laissez-moi sortir. J’ai parlé avec le médecin ici, il m’a dit faut un spécialiste sinon tu vas rester comme toute ta vie avec la douleur. Sans les cachets je tiens pas. Ils me donnent du Doliprane, du Valium, du Lxprim ».

L : « Ils m’ont ramené de la prison d’Avignon ici, j’ai des papiers, j’ai un appartement. Je suis ici depuis 2002, j’ai 2 enfants, une carte de séjour de 10 ans et ils m’ont mis ici. J’ai fait 2 ans de prison, ils m’ont donné une OQTF, le juge m’a dit tu dois quitter la France pendant 5 ans. Moi je veux pas aller au Maroc, j’ai mes enfants ici, je suis handicapé j’ai un seul bras, je suis diabétique. Les frontières sont fermées… »

H : « Les gens comprennent pas pourquoi ils sont enfermés si les frontières sont fermées.  A l’audience ils disent qu’il y a des vols, mais il n’y en a pas.
La bouffe c’est de la merde, le médecin n’est pas là quand on a besoin de lui, tous ceux qui ont fait la prison disent c’est mieux qu’ici. »
Y’a pas d’avions mais on est là, ils nous forcent à passer 2 mois ici. Quelqu’un a été expulsé à 5 heures du matin, il a refusé le premier vol, il était ici depuis 20 ans en France. Il a pas de papiers mais il travaille, il envoyait de l’argent au pays, son patron est venu le voir jusqu’ici… Il a tué personne, il travaille, pourquoi ils l’ont expulsé ? Ils l’ont expulsé vers le Bengladesh, par escale, d’ici jusqu’au Qatar et après le Bengladesh.
Ils ont expulsé un albanais, sa femme travaille ici, ses enfants sont petits et vont à l’école. Il a même pleuré quand ils sont venus le chercher, il comprend pas. Il pensait être libéré au bout de 2 mois. »

Soulagement dans le secteur à l’annonce au micro d’une sortie  : « Libéré ! Libéré! Ils viennent de libérer quelqu’un, ça fait plaisir ! Et moi ? J’ai passé toute ma vie en France, depuis petit, qu’est-ce que je fais là ? »

* chiffres de la Cimade du Cra de Cornebarrieu, Toulouse

 

Appel à un rassemblement devant le CRA de Toulouse Cornebarrieu samedi 3 octobre

Comme des centaines d’organisations, nous avons rejoint l’appel pour la Marche nationale des Sans-Papiers (1). Des actions sont organisées à travers toute la France, à partir du 19 septembre. Les marches convergeront à Paris pour une grande manifestation le 17 octobre afin d’exiger la régularisation des sans-papiers, la fermeture des centres de rétention administrative (CRA) et le logement pour tout·es.

Les étranger·e·s sans papiers sont poussé·es à s’invisibiliser, elles sont maintenu·e·s dans des conditions de vie et de travail précaires grâce à la menace permanente de l’enfermement dans les CRA et de l’expulsion. Les CRA ne sont rien d’autres que des prisons pour étranger·e·s, racisme d’État et capitalisme ont toujours fait bon ménage.

Il est essentiel de nous mobiliser car les politiques de persécution des sans-papiers sont de plus en plus féroces. l’État cible à nouveau les étranger·e·s en renforçant par exemple les conditions de la double peine, qui consiste à expulser les personnes sans papiers qui ont fait de la prison, avec pour objectif d’expulser d’avantage au nom du féminisme (2), ou encore en augmentant les expulsions pour des « motifs de trouble à l’ordre public ».

Plus généralement, l’État dans ses discours fascisants aux relents colonialistes est encore en train de cibler les quartiers populaires, les personnes racisées, les immigrés et les musulmans en les accusant d’ « ensauvagement » et de « séparatisme », concept pour lequel un projet de loi est prévu qui permettra un renforcement des politiques sécuritaires et la continuité de l’impunité des violences policières. (3)

Nous nous sommes joint·es à cette initiative d’une marche nationale car les personnes sans papiers s’organisent pour arracher leurs droits et il est urgent que tout le monde soit solidaire.

Nous soutenons les luttes que les personnes enfermées mènent à l’intérieur des CRA et qui exigent leur libération et la fermeture de tous les CRA de France.

Dans différentes villes, des rassemblements, des parloirs sauvages devant les CRA ont eu lieu et vont encore s’organiser d’ici le 17 octobre. Cette date est en hommage aux centaines d’algériens massacrés le 17 octobre 1961 par la police à Paris.

À Toulouse, les collectifs des Sans-papiers (4) soutenus par de nombreuses organisations appellent à un rassemblement le samedi 3 octobre à 15 h devant le CRA : avenue Latécoère, 31700 Cornebarrieu. Nous nous joignons à cet appel.

En solidarité avec les personnes sans-papiers emprisonnées au CRA, venez ! Notre collectif organise un covoiturage, n’hésitez pas à nous contacter au 07 51 37 96 57.

Papiers pour tout·es ou pour personne, ni prison, ni CRA, ni expulsion. À bas le racisme d’État !

(1) https://blogs.mediapart.fr/marche-des-solidarites/blog/120820/19-septembre-17-octobre-marche-nationale-des-sans-papiers

(2) https://www.lejdd.fr/Politique/tribune-le-discours-femonationaliste-indigne-de-marlene-schiappa-3980944

(3) https://bouamamas.wordpress.com/2020/08/01/546/

(4) https://www.facebook.com/events/3391445837587852/

« C’est un système raciste… Ils nourrissent leur haine sur notre dos »

Le CRA de Toulouse se remplit progressivement, les arrestations suite aux contrôles au faciès ont repris et les sortants de prison continuent d’être enfermés au CRA pour subir la double peine. On retrouve peu à peu la situation d’avant le Covid, les différents secteurs se remplissent, dont celui des femmes.

Les audiences continuent d’avoir lieu au CRA en visio depuis la pandémie, ce qui empêche la présence du public et détériore le contact que peut avoir la personne avec son avocat et le juge. La publicité des débats et le face à face ne sont plus assurés dans cette parodie de justice. L’État cherche sans doute à pérenniser ce nouveau système et limiter ainsi les moyens de la défense.

Les visites sont possibles, la PAF a installé dans les parloirs un film plastique au milieu de la table comme séparateur entre visiteur·euse·s et prisonnier·e·s. Une seule personne peut entrer dans le parloir pour chaque visite.

 

Témoignages de prisonniers

J. : « Je suis sorti de Seysses et après 2 mois dehors, 2 mois de galère à cause du Covid, pour subvenir à mes besoins j’ai squatté…Ils m’ont arrêté, garde à vue et direct le CRA. ça fait 18 ans que je suis en France, je suis père d’un enfant français…J’avais une carte de séjour à Paris et quand je suis arrivé à Toulouse, elle était périmée et ils ont commencé à me donner des récépissés. À cause d’une bêtise j’ai fait de la prison, à partir de là ils ont décidé de pas renouveler mes papiers et j’ai reçu une OQTF sans délai. Ils nous traitent pire que de la merde. Ils savent qu’ils n’ont pas de solutions avec nous…C’est de la répression, un système raciste, c’est des fachos qui tiennent le pouvoir, ils nourrissent leur haine sur notre dos, j’ai bien compris tout ça, leur racisme avec moi ça a duré trop longtemps, j’en peux plus, je l’ai dit à la juge, si vous voulez que je quitte la France, laissez-moi partir, pourquoi vous m’enfermez… La police ici c’est la hogra surtout avec les plus jeunes, ils provoquent surtout ceux qui ne sont pas en France depuis longtemps et qui ne parlent pas bien le français… »

R. :   » Ils m’ont ramené de Corse dans un petit avion de 9 places, un avion noir avec 5 policiers dedans, il venait de Paris jusqu’à Bastia pour m’amener au CRA de Toulouse. J’ai rien compris, je leur ai demandé vous êtes venus que pour moi ? Pourquoi de Corse à Toulouse ? À la sortie de la prison, 2 policiers m’attendaient pour m’emmener en avion ! J’ai été condamné à 30 mois de prison pour travail dissimulé et harcèlement, j’ai fait 21 mois ferme. Le proprio où je faisais les travaux a commencé à me galérer pour me payer et m’a mis le harcèlement sur le dos. Ça fait 25 ans que je suis en France, je travaille, j’ai une famille, des enfants et je suis enfermé ici, j’ai 44 ans… C’est dégueulasse ici, ya pas d’hygiène, la femme de ménage doit faire 17 chambres en 25 minutes, elle peut pas la pauvre, alors avec un autre gars on le fait nous-mêmes mais y’a même pas d’eau de javel et ça pue, la nourriture est dégueulasse, je dépense beaucoup d’argent aux distributeurs et je paye pour ceux qui n’ont pas d’argent, on peut pas bouffer sinon…Les jeunes sont shootés aux médicaments, le médecin les bourrent ils sont comme des momies…On peut pas acheter de shampoing, de savon, de quoi se raser, l’OFFI ne veut pas, elle donne des dosettes de shampoing…

M. :  « J’habite l’Espagne depuis 6 ans, je suis arrivé en France en 1987, j’ai vécu à Paris 15 ans puis Toulouse… Ils peuvent pas m’expulser. J’ai déjà été enfermé ici dans le centre à Toulouse. Là ça fait 10 mois que je suis enfermé depuis mai 2019, j’ai fait 3 mois de prison à Albi parce-que je vendais des cigarettes… Ensuite pour une bagarre, j’ai été arrêté et j’ai pris 7 mois fermes, j’ai une interdiction en France* mais j’habite en Espagne… Ils m’ont sorti de Seysses plus tôt à cause du virus et j’ai été amené au CRA et ça fait 2 mois…. Ils me connaissent à Toulouse, même les policiers m’appellent pour me demander si je peux leur vendre des cartouches de cigarettes… »

(*Interdiction de Territoire Français)

Le CRA de Toulouse est pire que la prison : « On n’a rien à faire ici, on tourne en rond »

01 mars 2020

I. est venu en France par l’Italie et vit à Toulouse . C’est sa deuxième fois au Centre de Rétention Administrative, sa première fois date de fin 2018. Il est au CRA depuis plus de 20 jours. Il sort de la maison d’arrêt de Seysses pour une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) qui courait depuis sa sortie précédente du CRA. Comme le non respect de l’IRTF est un délit pénal, ils l’ont condamné pour 6 mois et incarcéré à Seysses. Il est sorti au bout de 4 mois et demi pour se retrouver ensuite au CRA de Cornebarrieu (Toulouse).

Il nous a parlé directement de psychologues : en prison il voulait en voir un mais ce n’était pas possible. Cependant, on lui a fait miroiter là-bas qu’il pourrait en voir un à sa sortie et surtout aller à l’hôpital. A sa sortie de Seysses, il n’est pas allé à l’hôpital mais s’est retrouvé directement au CRA, ce qui l’a surpris, il ne pensait pas que l’on pouvait passer d’une case à l’autre sans arrêt par l’extérieur.

Il est au CRA sans savoir s’il sera expulsé ou non. Il ne reviendra pas en France s’il est expulsé, il en a ras-le-bol. Il cogite beaucoup, il a besoin de somnifères pour dormir. Il parle beaucoup de cette situation de désœuvrement. Il nous a dit sans hésiter que le CRA est pire que la prison :« On n’a rien à faire ici, on tourne en rond. »

En ce qui concerne la nourriture, ce n’est pas halal, parfois il n’ y a pas grand-chose, à part le pain, le fromage et le beurre. Personne ne mange grand chose. Les gens ne mangent pas et les policiers s’en foutent. Ça en décourage certains de faire la grève de la faim.

Pour finir, il nous a parlé d’un flic précis, sans vouloir entrer dans les détails, qui semble sévir avec tout le monde à l’intérieur du secteur où il se trouve. Il voudra peut-être en parler plus tard ou alors après sa sortie.

Violences policières au Centre de Rétention Administrative (CRA) de Toulouse

31 janvier 2020

Une personne, qui depuis a été libérée du CRA, témoigne des violences policières qui s’y déroulent et raconte une tentative de suicide.

Les CRA sont des prisons pour les personnes qui n’ont pas les bons papiers et que l’État veut expulser. Cet enfermement peut durer jusqu’à 90 jours, le temps que se donne l’administration pour l’expulsion. Mais cela concerne aussi celles et ceux qui sont “difficilement éloignables” pour reprendre la novlangue institutionnelle. C’est le cas de J. qui est au CRA de Toulouse pour la 4ème fois, il ne peut pas être expulsé. Il est arrivé en Europe à l’âge de 8 ans, en France vers 14 ans et a vécu entre Toulouse et Perpignan.

Il fait partie de ces personnes sur lesquelles l’administration s’acharne, qui ne sont pas reconnus par leurs pays d’origine et à qui l’État français ne veut pas donner de papiers. Ils font ainsi de longs séjours entre CRA et prison, prison suite au non respect d’IRTF ou d’ITF [1].

J. a subi des violences policières. Le schéma est classique : provocations de la part du flic puis agressions physiques. “Je sais pourquoi ils font ça, ils veulent avoir des jours de congés, c’est comme ça.” Il n’est pas le premier à le dire. La gestion des situations violentes est l’occasion pour les flics d’avoir en contrepartie des temps de repos supplémentaires.

Le flic insulte J., qui lui demande pourquoi il l’agresse. En guise de réponse, il le pousse. J. lui fait remarquer qu’il y a la caméra et qu’il ira se plaindre. A ce moment, le flic le soulève du sol par le col et le cogne violemment à plusieurs reprises contre le mur : “je m’en bats les couilles de la caméra, tu la vois, là, la caméra ? Regarde-la bien, qu’est-ce que tu crois qu’il va se passer ?
Il a insulté ma mère qui est morte, c’est trop moche pour répéter ce qu’il a dit, je peux pas parler comme lui
Je suis resté les mains derrière le dos pour qu’ils voient à la caméra que j’ai rien fait, que je l’ai pas touché, que c’est lui qui m’a frappé. Et là, il m’a poussé dans les escaliers, je suis tombé, je suis blessé à la tête, je suis allé voir la Cimade pour porter plainte.

Comment les personnes enfermées et sans papiers peuvent-elles se défendre face aux violences policières et autres maltraitances à l’intérieur du CRA ? Un dépôt de plainte aboutirait-il à quelque chose, à une enquête IGPN et une condamnation des flics ? On peut rêver… Il y a aussi le risque de représailles si le plaignant est encore au CRA. J. a finalement choisi de ne pas porter plainte, il craint d’ailleurs d’être déferré vers la prison de Seysses. “Je dois rester tranquille, penser à mon avenir, ils me cherchent peut-être pour que je retourne en prison”. Il a bien raison de s’en inquiéter, il peut se retrouver en garde à vue suite à une embrouille et passer en comparution immédiate juste avant l’expiration de son délai de rétention. Il y a une recrudescence du nombre de personnes déférées du CRA vers la prison ces derniers mois à Toulouse. C’est une tendance qui se retrouve aussi sur tout le territoire national.

On assiste à une augmentation des violences policières au CRA de Toulouse, tandis que de nouvelles équipes sont arrivées pour agrandir les effectifs de la PAF. Comme quoi, encore une fois, les violences policières ne sont pas un « dysfonctionnement » dû au manque de personnel ou aux conditions de travail, comme on peut l’entendre souvent, mais relèvent bien d’un système où les ardeurs racistes et brutales sont de mises.

J. a également été témoin d’une tentative de suicide en décembre. Il s’agissait d’un jeune qui a depuis été expulsé. Il a vu depuis le couloir le camarade dans sa chambre qui essayait de se pendre aux barreaux de la fenêtre, il avait fabriqué une corde avec des lambeaux de draps découpés puis tressés. J. a appelé au secours. Le camarade a été mis à l’isolement 5 jours. Quand il est revenu du mitard, il a raconté à J. qu’il a eu des injections. “Après il avait peur de tout, il tremblait tout le temps, il avait même peur de l’eau”. Ainsi, le « mode thérapeutique » choisi pour une personne en situation de souffrance psychique et qui a besoin de soins est la mise à l’isolement sécuritaire prolongé, avec ce qui semble être des injections non consenties.

Au CRA, il existe des chambres d’isolement sanitaire, censées être meublées (table, chaise et TV) et des chambres d’isolement sécuritaire, dépourvues de mobilier hormis une paillasse fixée au sol et un combiné toilette/douche. Selon le règlement, les mises à l’isolement sécuritaire doivent être les plus courtes possibles, ne doivent pas dépasser 24h et ne peuvent pas servir de mesure disciplinaire. Or les personnes qui font des tentatives de suicide ou se mutilent sont isolées dans ces pièces, parfois attachées pour de longues durées. L’État n’en est plus à une violence près contre les étranger·es. Comme disait l’autre jour un prisonnier du CRA, “même leurs chiens sont mieux traités que nous

[1] Interdiction de Retour sur le Territoire Français – Interdiction de Territoire Français