Compte Rendu – Audiences devant le JLD – Septembre 2025

Au tribunal judiciaire de Toulouse, tous les matins, tous les jours sans exception, se tiennent les audiences « droit des étrangers » des personnes enfermées au Centre de Rétention Administratif (CRA) de Cornebarrieu Toulouse devant le Juge des Libertés et de la Détention (JLD). Il s’agit de décider si les personnes doivent être maintenues au CRA ou libérées. Les personnes enfermées en CRA repassent devant le juge au bout de 4 jours, 30 jours, 60 jours, et 75 jours d’enfermement – soit potentiellement quatre fois durant la durée de leur détention. 

Les personnes peuvent être enfermées jusqu’à 90 jours. La libération du CRA ne lève pas les interdictions de territoire ou les obligations de le quitter : l’arrestation peut toujours survenir à tout moment et ramener au CRA. Ainsi de nombreuses personnes se retrouvent en circuit quasi fermé entre CRA et prison notamment en raison des mesures d’expulsion qui donnent aux préfectures et à la justice de nombreuses possibilités d’enfermer et d’expulser.

Nous publions un compte rendu brut – issu de notes prises lors d’un JLD fin septembre 2025 – retranscrivant ce qui a été dit, selon les termes utilisés lors des audiences. Le vocabulaire est donc celui de la juge, de la préfecture et des avocat·es, qui parlent de « retenus » pour désigner les prisonniers, de « rétention » pour les enfermements, et d’« éloignement » pour les déportations. Le choix de publier un compte rendu brut a pour objectif d’exposer la violence raciste institutionnelle et systémique à laquelle les détenus sont confrontés notamment au travers du caractère brutal, répétitif et mécanique des audiences.

Les détenus sont emmenés par la PAF (Police Aux Frontières) depuis le CRA jusqu’au tribunal en minibus. Ils sont escortés par la police, menottés dans le dos. Ils sont appelés tour à tour à la barre pour une audience très courte – ce jour-là en 1h20, sept personnes défilent devant la juge soit à peine plus de 11 min par audience. Ils n’ont quasiment pas la parole, sont méprisés par la juge, violentés physiquement et verbalement par la police, accusés par la préfecture, et dépendants de la défense que leur avocat·e commis d’office voudra bien leur accorder – bien que peu importe si la défense s’applique ou non à mettre en lumière les contradictions de l’enfermement, les décisions de justice varient très peu. Trois avocat·es différent·es plaident, avec plus ou moins d’implication. Une interprète est présente pour les personnes qui le souhaitent.

Première audience – B.A.

La juge commence à introduire le dossier avant de se rendre compte, confuse, qu’elle s’est trompée et qu’elle est en train de donner les détails d’un dossier qui n’est pas le bon – apparemment il y deux personnes qui comparaissent avec le même nom de famille aujourd’hui. Elle explique que B.A. est un ressortissant tunisien, qu’il a eu plusieurs OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), dont la dernière en octobre. Il a eu un refus de titre de séjour en février dernier. Il a été incarcéré à plusieurs reprises.

B.A. prend la parole et explique que sa copine et son grand-père sont en France – d’ailleurs, iels sont présent·es dans la salle. Il souhaite partir par ses propres moyens, en Suisse ou en Italie.

Le représentant de la préfecture prend la parole – il parle de lui en disant l' »individu ». Il affirme qu’il est connu sous quatre identités différentes et qu’il a été incarcéré à Seysses pour une histoire de stupéfiants. La préfecture demande le maintien en rétention.

L’avocate corrige l’énoncé qui a été fait du dossier en soutenant qu’il n’y a eu qu’une seule OQTF, qui date de 2022, et qu’il y a eu donc une seule mesure d’éloignement. Elle expose un problème de diligences1: la préfecture n’a pas fait les mesures nécessaires pour l’éloignement. Elle cite les différents mails qui ont été adressés au consulat de Tunisie, dans lesquels les photos ont été envoyées, mais pas d’empreintes – alors que l’accord franco-tunisien précise qu’il est nécessaire d’envoyer les empreintes. L’impératif de diligence n’est donc pas rempli, la préfecture n’a pas tout fait pour éloigner au plus vite la personne, la détention est donc illégale.

B.A. a de nouveau la parole, il explique qu’il n’arrive pas à manger ni à dormir, que c’est très compliqué, qu’il est prêt à partir et que c’est très très dur.

Deuxième audience – M.B.

La juge introduit le dossier : M.B est un ressortissant algérien. C’est la seconde demande de prolongation de son enfermement, il est donc au CRA depuis 1 mois. Il a eu plusieurs OQTF et une ITF (Interdiction de Territoire Français) de trois ans en 2023.

L’avocate soulève une atteinte aux droits. La juge parait agacée. L’avocate explique que le 11 septembre, M.B. a été sorti du centre pour un déferrement pour la mise à exécution d’une peine. Elle explique que ça a été une journée très longue, qu’il n’a pas pu manger, qu’il a été tenu dans l’ignorance et qu’il s’agit d’un incident dans la rétention, qui doit figurer dans le registre. Ensuite, et la défense semble reposer principalement sur cet argument, elle fait remarquer qu’au vu de la « crise diplomatique franco-algérienne »2, et de l’absence de laissez-passer pour l’Algérie, il n’y a pas de perspective raisonnable d’éloignement vers l’Algérie. Elle cite une jurisprudence récente qui date de septembre 2025 – du tribunal de Toulouse – qui a donné lieu à la remise en liberté des retenus au vu de cette absence de perspective raisonnable d’éloignement – au regard de la « crise diplomatique franco-algérienne ».

La préfecture avance en réponse qu’on ne peut pas affirmer qu’il ne sera pas éloigné car on ne peut pas prévoir le contexte géopolitique, et que l’individu est une menace à l’ordre public3. La préfecture demande le maintien en rétention.

M.B. prend la parole. Il dit que c’est sa troisième fois en CRA, et qu’à chaque fois il a fait trois mois. Il dit que c’est très, très dur, qu’il a déjà été en prison et qu’il a été libéré.
La juge lui rétorque « euh oui, mais vous êtes resté en France après, monsieur ». Il répond qu’il est resté car on l’a mis dans un foyer pour le soigner, qu’il sait très bien qu’il n’a pas le droit de rester en France et qu’il compte partir pendant trois ans.

Troisième audience – M.V.

La juge introduit le dossier : M.V. est un ressortissant algérien. Il est sorti de détention en prison en août, et il a une interdiction de retour de trois ans.

M.V. prend la parole, dit qu’il veut partir en Autriche. Il a un cousin là-bas et a fait une demande d’asile. Il explique qu’il est malade.

Le représentant de la préfecture répond, en ce qui concerne le côté médical, que puisqu’il est allé en hôpital psychiatrique tout est réglé, il a été traité, donc il n’y a plus de problème : son état n’est pas incompatible avec l’enfermement. Il ajoute qu’il est coupable de violences sur conjoint. La préfecture demande le maintien en rétention.

L’avocate entame la défense en évoquant la demande d’asile attestée, qui a été faite en Autriche par le retenu. Elle dit que M.V. est une personne dublinée4 qui doit être reconduite vers le pays de l’asile. Comme sa consœur plus tôt, elle fait remarquer l’insuffisance des diligences. Il n’y a pas de perspective raisonnable d’éloignement – sachant que par raisonnable on entend que l’éloignement pourrait être envisagé dans le délai de la rétention et que, au vu de la crise diplomatique qui perdure ce n’est pas le cas. Elle dit : « la rétention n’est pas une sanction, c’est un moyen pour permettre l’éloignement ». Elle cite également la jurisprudence récente de septembre 2025, du tribunal de Toulouse évoquée plus tôt, expliquant que les jurisprudences commencent à noter qu’il existe une crise diplomatique. Elle dénonce les saisines absurdes de la préfecture qui tente de contourner le problème et prolonger la durée de rétention en entamant des démarches auprès du consulat du Maroc alors que rien n’aurait pu indiquer une nationalité marocaine. Elle ajoute que le retenu présente une particulière vulnérabilité, qu’il a subi des faits en détention – dont elle ne donnera pas le détail – qui l’ont fragilisé et qu’il a déposé plainte en raison de ces faits, ce qui selon ses mots « demande beaucoup de courage ».

L’un des policiers présents perturbe l’audience avec le son au volume très élevé de son téléphone. L’avocate lui jette un regard rapide, agacée.

Le représentant de la préfecture reprend la parole, avance qu’il y a beaucoup de choses qui ont été dites et qu’il n’est pas possible de répondre à tout, mais qu’il tient à souligner que c’est toujours la même chose qui est dit à propos de l’Algérie, et que ça n’a pas de sens.

Quatrième audience – A.A.

La juge introduit le dossier : A.A. est un ressortissant tunisien. Il est né en 2006 (il a donc 19 ans). C’est la première demande de prolongation de son enfermement (4 jours après son incarcération au CRA).

L’avocate entame la défense en faisant remarquer que le retenu doit être informé de ses droits, et notamment du droit d’entrer en contact avec son consulat. Or, les coordonnées du consulat n’ont pas été communiquées au retenu par la préfecture, ce qui constitue un grief.
Elle soulève également un vice de procédure en ce qui concerne les pièces justificatives : l’audition n’a pas été communiquée. L’audition est pourtant nécessaire pour vérifier la situation personnelle de l’accusé. L’absence d’une retranscription de l’audition rend la requête irrecevable, puisqu’il n’est pas possible d’apprécier son parcours administratif, la proportionnalité de la requête ni de vérifier que les déclarations de la préfecture sont conformes avec les propos de l’accusé. Le principe du contradictoire n’a pas été respecté. Elle dit : « à aucun moment on a invité la personne à se prononcer ni à s’exprimer sur une mesure prise à son encontre ».
Elle poursuit en introduisant son propos sur la vulnérabilité du retenu avec un : « alors là, c’est fort de café ». Elle démontre qu’il n’y a pas eu le temps d’avoir un examen de vulnérabilité, le compte rendu de l’examen indiquant qu’il a commencé à 9:47 et la décision que le retenu n’était pas en situation de vulnérabilité étant déjà rédigée à 9:50. On a donc rédigé la décision avant d’examiner son état de vulnérabilité : la décision était déjà prise. Elle dit: « On se moque de qui? Visiblement de Monsieur A. ». Elle ajoute que le retenu a été pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance en tant que mineur non accompagné par le passé, et qu’il a bénéficié d’un contrat jeune majeur – alors, selon ses ses mots « qu’on sait à quel point c’est dur de bénéficier de ce contrat, même pour des français ». Il a également eu un contrat d’engagement dans un centre de formation, il a été apprenti. Il a des bulletins de paie. Son employeur, au sein de la boulangerie où il était apprenti, était satisfait. Il a sollicité un droit au séjour – que le préfet a refusé car il a considéré que c’était une menace à l’ordre public à cause d’un rappel à la loi. Pourtant il justifiait d’une résidence, de démarches, de preuves d’intégration. L’avocate remarque qu’il aurait pu être assigné à résidence. Elle dit: « si monsieur n’a pas des garanties de représentation, personne n’en a ». Elle estime que le placement en rétention est disproportionné. Par ailleurs, les diligences, ici aussi sont insuffisantes. Le protocole franco-tunisien exige que soient envoyées au consulat les photos et les empreintes par voie postale, en version originale – et non par mail, comme l’a fait la préfecture.

Le représentant de la préfecture répond que « ce n’est pas indiqué qu’on doit lui communiquer le numéro de la préfecture, il doit le connaître – en tant que ressortissant ». Il ne se donne pas la peine de répondre au reste car « il y a trop de choses qui ont été dites ». Il ajoute simplement que l’individu représente une menace à l’ordre public, il a commis des faits de violences conjugales. Il conclut d’un ton ironique « on voit bien que l’intéressé s’intègre parfaitement ». La préfecture demande le maintien en rétention.

A.A. a la parole, et dit : « Pour les violences, je suis désolé, je regrette ce que j’ai fait ».

Cinquième audience – M.B.

La juge introduit le dossier : M.B. est un ressortissant algérien. C’est la première demande de prolongation de son enfermement, il a été placé en septembre au CRA. Il a eu une OQTF en avril 2024.

Le représentant de la préfecture prend la parole et anticipant les arguments de la défense, assure que la préfecture a bien fait les diligences. Il affirme que le retenu est marié et qu’il a trois enfants, que sa femme et ses enfants sont en Algérie (à ce moment-là le détenu fait « non » de la tête) et qu’il est donc « incompréhensible » qu’il soit présent en France. Il ajoute qu’il a fait de la prison pour un refus d’obtempérer, pour de la conduite sans permis, pour arnaque et pour vol et qu’on voit qu’il y a « un parcours de délinquance », que c’est une menace à l’ordre public. La préfecture demande le maintien en rétention.

L’avocat soulève un défaut de contradictoire et un défaut de diligence. Il explique que sa famille n’est pas en Algérie, mais en Espagne et que le risque de fuite n’est pas justifié. En ce qui concerne la menace à l’ordre public, il argue qu’il ne s’agit pas de faits récents et que sa peine a déjà été purgée en prison.

M.B. prend la parole et dit « Je ne suis jamais allé en prison avant. Je ne suis pas un délinquant. » Il dit qu’il est arrivé en France à 37 ans et qu’il est vétérinaire.
A ce moment-là, la juge l’interrompt : « Ah oui, j’ai vu que vous étiez vétérinaire !? Vous pouvez m’en dire plus ?  » d’un air très surpris. Il explique qu’il a fait des études, qu’au vu de la corruption dans son pays, au bout de 10 ans, il n’y arrivait pas, il s’est dit qu’il fallait qu’il tente sa chance ailleurs et qu’il est allé en France, en Espagne, en Belgique, puis est retourné en France.

Sixième audience – A.F.

La juge introduit le dossier : A.F. est un ressortissant algérien. C’est la troisième demande de prolongation de son enfermement.

A.F. prend la parole : « Je suis là pour rien. Ça fait deux mois que je suis au centre. J’ai ma vie ici, en France, je travaille. Ça fait quinze ans que je suis en France. On m’a fait rentrer au centre après un contrôle d’identité. J’ai jamais eu de problème. J’ai une attestation d’hébergement et de travail. »

Le représentant de la préfecture indique à nouveau que sa famille est en Algérie. Il déclare ironiquement : « Il dit ne pas comprendre pourquoi il est là ? Eh bien, écoutez… Il n’a pas de papiers, il le sait, et il n’a pas fait de démarches. »
Il ajoute que le retenu déclare être suivi par un psychiatre, mais n’apporte aucun élément de preuve pour soutenir cette déclaration. La préfecture demande le maintien en rétention.

L’avocat répond qu’il a fait des démarches et est inséré socialement. Il dit : « La vérité c’est que parfois, la préfecture, elle s’obstine. On peut justifier de tous les éléments, et pourtant, ce n’est pas facile. Il a tous les éléments pour être régularisé sans aucune difficulté s’il sort demain ».

Septième audience – N.B.

La juge introduit le dossier : N.B. est algérien. C’est la seconde demande de prolongation de son enfermement. Il est arrivé en France en 2022. Sa demande d’asile a été rejetée. En mai 2025, il a eu une OQTF.

N.B. dit qu’il veut repartir en Espagne.

La préfecture assure avoir bien fait les diligences, avoir relancé le consulat algérien. Il dit: « l’intéressé est connu sous plusieurs alias », qu’il « n’a pas de ressources licites », et qu’il « est célibataire sans enfant ». Il dit qu’il représente une menace pour l’ordre public et que la préfecture demande le maintien en rétention. Comme pour tous les autres.

L’avocat prend à peine la peine de plaider.

N.B. reprend la parole et dit qu’il est malade, qu’il a besoin de son médecin en Espagne. La juge lui demande: « Vous souffrez de quoi? », d’un air impatient. Il explique – et montre – qu’il a des problèmes de dos, et de jambes. La juge lui dit: « Vous savez que vous pouvez rencontrer aussi un médecin au CRA? ». N.B. explique qu’il a déjà vu le médecin du CRA, qui ne donne que des dolipranes.

Sur les 7 personnes présentes ce jour-là, 7 demandes de maintien en rétention sont demandées. 5 des détenus sont algériens, 2 sont tunisiens. D’après le rapport annuel de la CIMADE sur les centres et locaux de rétention administratives de 2024, 31,9% des personnes enfermées en France hexagonale sont de nationalité algérienne (ce qui constitue la nationalité la plus représentée), et 12,1% sont de nationalité tunisienne (2e nationalité la plus représentée)2.

Pour plus d’infos sur les étapes et les procédures d’enfermement voir notre brochure : https://toulouseanticra.noblogs.org/files/2025/02/brochure-enfermement-au-cra-A5.pdf

1 Les diligences correspondent à toutes les démarches que la préfecture doit effectuer pour justifier qu’elle cherche à expulser la personne (demandes de laissez-passer consulaires, demandes de vols…) et donc justifier le maintien en détention. 

2 L’ Algérie ne délivre plus de laissez-passer consulaire depuis plusieurs mois. Les laissez-passer sont indispensables pour expulser les personnes si celles-ci n’ont pas de titre de voyage valide. Malgré cela les préfectures continuent de séquestrer les personnes Algériennes. Au CRA de Toulouse la majorité des prisonniers sont Algériens et peuvent être enfermés jusqu’à 90 jours notamment en mettant une « menace à l’ordre public » dans leur dossier.

3 La menace à l’ordre public est devenue centrale dans la loi de 2024. La préfecture ou le ministère de l’intérieur indique qu’il y a menace à l’ordre public dans la décision d’expulsion. Il n’existe aucune définition juridique de la menace à l’ordre public, c’est laissé à l’appréciation de l’administration qui l’utilise très largement, de façon arbitraire notamment pour des délits mineurs, comme le vol.

4 L’adjectif « dubliné » désigne une personne « demandeur·se d’asile » en Europe selon le règlement européen « Dublin » du 26 juin 2013. Une personne « demandeur·se d’asile » est généralement désignée comme « dublinée » lorsque ses empreintes ont été enregistrées dans un pays (et placées dans la base de données européenne Eurodac) mais qu’elle dépose une demande d’asile dans un autre pays européen.

L’assemblée nationale a voté l’allongement de la durée de rétention à 7 mois.

La durée maximale a d’abord été de 6 jours et passe aujourd’hui à 210 jours.
La durée de rétention pourra encore être rallongée car l’Union Européenne prévoit l’enfermement jusqu’à 24 mois.

L’allongement s’appliquera pour l’instant aux personnes condamnées à une interdiction de territoire français (ITF) pour un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement ou dont le comportement « constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public« .

La « menace à l’ordre public » a été inscrite dans la loi Asile et Immigration de 2024, c’est le fer de lance du gouvernement contre l’immigration. Elle permet de placer les personnes en CRA avec ce motif. Il n’existe aucune définition juridique de la « menace pour l’ordre public », c’est laissé à l’appréciation de l’administration qui l’utilise très largement de façon totalement arbitraire même pour des délits mineurs.

La « menace grave pour l’ordre public » permet, elle, de supprimer toutes les protections contre l’expulsion sauf le fait d’être mineur. Cela signifie que les personnes qui ont des enfants et conjoint.es français.es ou sont en France depuis l’enfance peuvent être expulsées si la préfecture l’a décidé de façon totalement arbitraire.

Idem, la loi 2024 a rallongé la durée des obligations de quitter le territoire français (OQTF) à 3 ans et a fait disparaître aussi les protections qui existaient contre les OQTF afin d’enfermer et de déporter encore plus.

La circulaire Retailleau d’octobre 2024 vient renforcer la loi de 2024, elle appelle les préfectures à retirer les titres de séjour ou à ne pas les renouveler pour les personnes qui ont commis une infraction, peu importe le niveau de gravité, en utilisant la «menace pour l’ordre public».

Les personnes qui ne peuvent pas être expulsées (par exemple si la préfecture n’obtient pas de laisser-passez consulaire du pays d’origine) sont quand même enfermées et maintenues en CRA. A l’issue de la durée maximale d’enfermement, les préfectures et les juges peuvent décider de prolonger la torture et de les assigner à résidence jusqu’ à 135 jours.

Pour l’État, l’enfermement a un double objectif : déporter les personnes qui n’ont pas les bons papiers mais aussi les maltraiter et les punir, et leur rappeler qu’elles ne seront jamais tranquilles, et pourront être humiliées et violentées à tout moment.

À bas les frontières, les CRA et le racisme d’État !

L’enfermement administratif : dispositif colonial

Podcast de la table ronde organisée par le collectif Toulouse Anti CRA dans le cadre d’une action en soutien aux prisonnier·es du centre de rétention (CRA) de Toulouse (24 mai 2025)

Textes et podcast relayés par Enquête Critique et Spectre.


L’idée de cette table ronde a été de réfléchir à l’enfermement administratif (détention, internement ou rétention) comme un dispositif de répression du racisme d’État en montrant les liens dans le temps et l’espace. 
On a d’abord parler de la question de l’emprisonnement colonial et la détention administrative des prisonniers palestiniens puis de l’enfermement administratif en Algérie coloniale et montrer le continuum colonial avec l’enfermement, les déportations et les assignations à résidence des personnes étrangères en France aujourd’hui. Enfin, montrer rapidement le lien entre l’immigration et l’impérialisme autour de la question de l’externalisation des frontières et des déportations. 

Discussion avec Tom, militant anti-impérialiste et antisioniste et avec des membres du collectif Toulouse Anti CRA, collectif anticarcéral et antiraciste créé en février 2020 qui milite contre les centres de rétention administrative et contre le racisme d’État.

Écouter le podcast sur Spectre : https://spectremedia.org/enquete-critique/?playing=2263

Lire les interventions écrites sur le site Enquête Critique : https://enquetecritique.org/projets/prison-et-enfermements/article/l-enfermement-administratif-dispositif-colonial]

Ressources
– Sylvie Thénault, « Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale, camps, internements, assignations à résidence »
– Marc Bernardot,« La tradition d’internement en France »
– FASTI –« Abrogeons le CESEDA »
 Centres et locaux de rétention administrative – Rapport national et local des associations 2024
 MIGREUROP – Réseau euro-africain d’associations de défense des droits
 ANAFE – Défense des droits des personnes étrangères aux frontières
 Toulouse Anti CRA, brochures citées à retrouver dans la rubrique Brochures :
> Enfermement au CRA, étapes et procédures
> La répression coloniale de l’État français contre les étranger·es à Mayotte
> Contre les prisons et les frontières, luttes contre les CRA, paroles de prisonnier·es de Toulouse

Soirée en soutien aux prisonnier.es du CRA de Toulouse

– 17h Table ronde
L’enfermement administratif : dispositif colonial
// en Algérie coloniale et rétention des étranger·es aujourd’hui en France // détention des palestinien·nes sous l’occupation israélienne
avec Toulouse Anti CRA & militant·es anti-impérialistes et antisionistes

– 19h Repas vegan
– 20h DJ set – BOTCHO – afro rave
17h-22h
La Chapelle – 36 rue Danielle Casanova
Participation libre (espèces uniquement) – accès PMR

« Je comprends pas à la télé, BFM disent que l’Algérie ne veut pas prendre ses ressortissants mais y’a des avions pour l’Algérie. »

Au CRA de Toulouse, il n’y a plus de secteurs femmes et famille, toutes les cellules sont maintenant destinées aux hommes. L’objectif de l’Etat est d’enfermer systématiquement les sortants de prison et d’appliquer la double peine. Pour rappel, cela consiste à enfermer au CRA puis à expulser les personnes qui ont commis un crime ou un délit, alors qu’elles ont purgé leur peine de prison. Pour autant, les femmes et les familles ne sont pas épargnées, et si elles ne sont pas enfermées au CRA de Toulouse, elles sont assignées à résidence (AAR). La durée des AAR a augmenté avec la dernière loi Asile et Immigration de 2024, passant à 45 jours renouvelables deux fois, pour une durée totale pouvant aller jusqu’à 135 jours. Par ailleurs, l’AAR est de plus en plus utilisée par les préfectures quand l’expulsion n’a pas pu avoir lieu au terme de la durée maximale d’enfermement. Cette pratique permet de continuer à punir et torturer les personnes : n’ayant pas de titre de voyage valide ou de laissez-passer consulaire, elles restent inexpulsables.

Si les préfectures et l’administration pénitentiaire collaborent depuis longtemps pour expulser les sortants de prison, la loi de janvier 2024 et la circulaire Retailleau d’octobre 2024 généralisent la double peine, facilitée notamment par « la menace pour l’ordre public ». La circulaire Retailleau appelle les préfectures à retirer les titres de séjour des personnes qui représentent une « menace » et à distribuer des arrêtés d’expulsion et des OQTF. Il n’existe aucune définition de la « menace pour l’ordre public », c’est laissé à l’appréciation de l’administration qui l’utilise très largement, par exemple pour des délits mineurs, comme le vol ou la mendicité. « La menace grave pour l’ordre public » permet, elle, de supprimer toutes les protections contre l’expulsion hormis le fait d’être mineur. Ainsi, les personnes ayant des enfants ou étant en France depuis l’enfance peuvent être expulsées si la préfecture a décidé de façon totalement arbitraire que ces personnes représentent une menace pour la société française.  

Par ailleurs, le Sénat vient d’adopter deux projets de lois. Sous réserve d’un vote favorable à l’Assemblée Nationale, la loi allongera la durée de la rétention administrative à 210 jours. Elle s’appliquera aux personnes condamnées à une interdiction de territoire français (ITF) pour un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement ou dont le comportement « constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public« . L’autre loi concerne « la préférence nationale », en limitant l’accès des étranger·es aux prestations sociales.

En parallèle, l’Union Européenne renforce ses frontières et la répression des personnes étrangères. Elle a adopté deux mesures, l’une concernant l’allongement de la rétention administrative de 18 à 24 mois et l’autre autorisant les États membres à externaliser des camps d’enfermement dans des pays hors UE, appelés « centres de retour » où seront séquestrés les demandeurs d’asile avant leur déportation.
Le témoignage de S. ci-dessous rappelle que l’Italie a déjà construit d’immenses camps en Albanie où la police italienne transfère les personnes étranger·es et les trie avant de les déporter.

Pour finir, dans un autre témoignage K. s’étonne d’entendre les médias français relayer la propagande colonialiste de Retailleau et des nostalgiques de l’Algérie française, en faisant croire que l’Algérie ne délivre aucun laissez-passer consulaire alors que des avions décollent avec des algériens expulsés depuis le CRA.

TÉMOIGNAGES

S : « Au secteur C, y’a quelqu’un qui a tout cassé, les vitres, les télés, les caméras, il a cassé toutes les cellules, on est que 4 maintenant dans le secteur C. Y’a que 2 cellules maintenant. Il a pété un plomb. Il était seul, pas de visite, rien. Il a dit qu’il ne veut pas rester ici, il veut aller en prison, c’est un peu fou. Il s’est blessé avec la vitre. Il a dit heureusement je casse des trucs comme ça, c’est mieux que de casser des bouches.

C’est fini la France, c’est la troisième fois je me retrouve au centre. Deuxième fois à Toulouse. Il y a 7 mois, je suis sorti du CRA de Toulouse, je suis restée 2 semaines à la Reynerie, ils m’ont arrêté, ils m’ont mis en prison à cause de l’interdiction définitive et quand je suis sortie de Seysses, ils m’ont ramené encore ici au CRA de Toulouse. J’ai fait 6 mois de prison pour l’interdiction définitive. Et là ils viennent de me donner un mois encore au CRA.

Je sais plus quoi dire, j’ai plus les mots. C’est un cauchemard Seysses, trois dans une cellule, force aux hommes là-bas. Ici Toulouse c’est la pire ville. Je suis sorti de la Tunisie, j’ai pas de passeport, j’ai pas de carte d’identité même si je meurs, ils peuvent pas expulser mon corps chez moi. Ils peuvent pas m’expulser, à chaque fois c’est pareil, ils savent, ils ont demandé à la Tunisie, au Maroc à l’Algérie, y’a rien et ils me ramènent encore ici. Ils font ça pour que tu craques. Il faut patienter faire le prière, je sais pas moi.
Au tribunal hier, y’avait un Algérien. Il est à Toulouse depuis qu’il a 13 ans. Il a presque 33 ans. Il a payé un avocat très cher. Il a sa mère et sa soeur ici, pourquoi ils le ramènent au centre ? ça leur ramène toujours du travail, voilà pourquoi. Je trouve plus les mots. J’en ai marre de la prison, ça fait presque 9 ans que j’ai quitté le pays, j’ai pas envie de retourner comme ça. En Italie quand ils savent pas leur origine ils les envoient en Albanie dans un grand centre, y’a des trucs incroyables, c’est pas une vie quand t’as pas de papier en Europe.
On vient chez eux, on est pas au paradis non plus. Hier j’ai bien parlé avec le juge, j’ai dit donnez-moi 24h et je quitte la France, laissez-moi une chance. Le policier m’a dit toi ta chance tu l’as eue déjà, tu es arrivé en France, tu n’as pas le droit d’avoir une deuxième chance. Ils provoquent, faut être fort dans la tête.. Même si vous pouvez pas venir pour une visite, parler avec vous c’est déjà beaucoup, ça fait du bien, tu remontes le moral à la personne. »

K : « J’ai une interdiction de territoire français depuis 2023. J’étais en Espagne, je suis revenu ici pour voir mon frère et ma nièce, je suis restée 3 jours, ils m’ont contrôlé j’étais en scooter, je me suis retrouvé en prison et après ici. Franchement ils ont foutu ma vie en l’air. J’étais en Espagne en train de régler ma situation, j’ai raté plein de RDV. Ok j’ai pas respecté la loi, j’étais sur le territoire français mais je comprends pas pourquoi ils font pas ce travail en prison. Comme ça à la sortie de prison soit ils te relâchent soit ils t’envoient au pays. Ils te mettent là pour galérer en plus. J’étais à la maison d’arrêt de Rodez et pour voir le consule, ils m’ont emmené à Sètes. Ils te posent des questions, ton nom où t’habites, ils prennent tes empreintes, ta photo. En tous cas où tu vas on te prend les empreintes, en garde à vue, quand tu sors de la prison, quand tu rentres ici au CRA, partout…
Je comprends pas à la télé, BFM ils disent que l’Algérie ne veut pas prendre ses ressortissants mais y’a des avions pour l’Algérie, j’ai rien compris.
Et toi t’attends, t’es dans le suspens, t’es stressé. Ça fait un mois que je suis là et ça bouge pas. Les conditions ici pour vivre c’est la catastrophe. C’est sale, y’a des gens fous, vraiment fous, t’arrives même pas à communiquer avec eux, y’a des provocations. La nourriture est dégueulasse, c’est le ramadan, hier j’ai rien mangé. Pour le ramadan, ils donnent pas de viande halal.
Avec la police moi je parle un minimum avec eux pour pas avoir de problèmes. Y’a un groupe ça va et un groupe c’est la catastrophe. Ils ont décidé d’enlever les couvertures, il fait froid la nuit. Un collègue a commencé à réclamer pendant le repas pour avoir les couvertures, on a tous réclamé. Il voulait pas rentrer au secteur, ils l’ont foutu au mitard, ils l’ont frappé de fou. Ils ont ramené ensuite les couvertures. La plupart ont pas de famille ici, les gens sont des fumeurs, ils ont pas de tabac, ils pètent les plombs, ils ont pas de fumette alors les gens craquent. Ils savent bien ça. Y’a rien qui va ici. Y’a des chambres sans eau chaude, les sanitaires ça sent la pisse. »

« Au mitard ils frappent trop, ils te scotchent pour pas que tu bouges. »

« Quand quelqu’un fait quelque chose, ils punissent tout le monde, l’autre jour ils ont interdit de laver son linge, tout le monde a pêté les plombs, a crié, on peut plus aller à la bagagerie, ils arrêtent les visites, ils interdisent tout, comme ça tu craques, tu vas le voir, tu lui dit ‘pourquoi t’as fait ça’ et après ça créé une embrouille ». A propos de personnes qui ont cassé dans le CRA il y a quelques temps : « les 3 ils sont allés en garde à vue, après ils sont revenus… jusqu’à maintenant on est punis, jusqu’à maintenant ! Ils ont passé devant le juge et tout, heureusement ils ont été relaxés »

« Tu serres ici, tu serres, c’est une galère de fou. Ils ont ramené un collègue à moi, il lui ont enlevé ses papiers je sais pas pourquoi, il a 4 enfants ou 3 enfants. Il travaille ici et tout, comme ils disent ‘il est intégré’, mais ils l’ont ramené ici, tu comprend pas les gens ils sont intégrés tu les ramène ici, ils sont pas intégrés tu les ramène ici, ils laissent chance à personne. Ils ont ramené un handicapé, vraiment un handicapé, il a passé 3 jours ici. Soit ils l’ont relâché soit ils l’ont mis dans un centre de santé, il est vraiment handicapé il est resté 3 jours ici, j’ai pas compris pourquoi ils l’ont ramené ici. Il lui faut une aide médicale avec lui, une aide soignante quelque chose comme ça, je comprend pas il est resté, en plus il a dormi sur la chaise, laisse tomber. »

M : « Je veux faire une demande d’apatride, le Montenegro ne me reconnait pas. J’ai 6 enfants de nationalité française. Ça fait 20 ans que je suis en France, j’ai pas de papiers, j’ai pas de passeport. Je suis arrivé le 28 décembre au centre, je suis sorti de prison, les gendarmes m’ont ramené ici. J’ai fait 6 ans et demi de prison à Eysses Villeneuve sur Lot. la Cimade m’a dit, mon pays ne me reconnait pas, dès que je suis arrivé, ils m’ont dit ça, le chef de la prison me l’a dit. Je passe devant le juge le 27 janvier. La Cimade m’a dit c’est pas sûr qu’il te donne la liberté. Tout le monde reçoit un mois de plus. ça se passe mal ici. C’est 10 fois pire que la prison ».

J :  » Je discute avec les amis dans les autres CRA, l’escorte c’est au bout du 3ème vol, ici ils scotchent pour le 2ème vol. Je veux voir le laissez-passer, sinon je pars pas. J’ai refusé le vol, je l’ai dit aux policiers, j’étais dans la voiture à l’aéroport. Ils ont appelé le pilote pour lui dire, ils ont déchiré mon billet. Y’avait quelqu’un d’autre avec moi qui voulait rentrer en Algérie, il est monté dans l’avion. J’ai demandé aux policiers de me montrer mon laissez-passer, ils m’ont dit c’est interdit. Ils m’ont ramené au centre, je sais pas si je vais avoir un autre vol. Depuis que je suis revenu au centre ils me provoquent pour que je leur réponde et après m’accuser et m’emmener en prison. Je leur ai dit je suis pas un chien. »

R :  « Ça va, mais c’est dur quand même, j’arrive pas à comprendre pourquoi j’avais une résidence de 10 ans ici, ils me l’ont retirée, ma fille est née ici, pourquoi une OQTF ? Ça fait douze ans que je suis en France. » R. explique qu’on l’a accusé d’avoir fait un mariage blanc, qu’on l’a convoqué à la préfecture et qu’on lui a dit que l’obtention de son titre de séjour (qui expirait en 2028 à l’origine) était frauduleuse, et qu’on lui a mis une OQTF. Il explique également qu’il a fait 3 mois de prison suite à une plainte de sa femme qui l’a amené au pénal. A l’origine, il avait un bracelet électronique, il y a eu un problème avec le bracelet, il a été envoyé en prison.

« On m’a donné un somnifère pour dormir avec le stress, c’est pour ça que j’ai des tâches rouges, et j’ai mis de la crème […] ils donnent des médicaments comme ça ‘ils font pas chier, ils vont dormir on est tranquilles’ […] j’ai pas dormi j’étais pensif, je suis perturbé, il reste deux jours avant samedi, ça arrive »

 « Il y a beaucoup d’Algériens, à croire qu’ils ont un problème avec eux »

« C’est pas facile franchement, les repas c’est pas des vrais repas, c’est industriel, parfois je mange pas pendant 2-3 jours, j’y arrive pas. »

A propos de la police : « il y a des groupes très cool et des groupes… c’est des fachos. »

« Je ne peux pas être renvoyé en Algérie, mes parents sont ici, je peux pas les laisser. C’est tranquille, j’y crois, je sais que je vais être libre, même s’ils me renvoient je reviendrai en France par bateau, j’ai pas peur de la mer, je reviendrai avec un visa. »

« Ça fait 28 jours que je suis ici, y’a pas de laissez-passer pour l’Algérie en ce moment, pourquoi je reste ici ? »

Les ressortissant·es Algérien·nes sont maintenus enfermé·es alors que l’expulsion n’est pas possible : le consulat d’Algérie ne délivre pas de laissez-passer en ce moment, de plus l’Algérie a refusé l’entrée d’algérien·nes expulsé·es même avec un passeport.
K., prisonnier au centre de rétention de Toulouse a été arrêté suite à un contrôle, tabassé par les flics qui au final ont porté plainte contre lui pour violences, procédé habituel. Le juge l’a condamné à un an de prison ferme. A sa sortie de prison, il a été placé en CRA avec une interdiction de territoire français (ITF). En CRA Les violences physiques et psychologiques des flics de la PAF sont quotidiennes, et les placements au mitard ou en prison fréquents. Témoignage.
 Juillet 2024.

« Ça fait 28 jours que je suis ici, y’a pas de laissez-passer pour l’Algérie en ce moment, pourquoi je reste ici ? L’Algérie ne répond pas depuis le 4 juin. Ils m’ont arrêté à Portet, je travaille dans une pizzeria. Je sors du carrefour, les gendarmes m’ont dit « contrôle, vous avez une OQTF » (obligation de quitter le territoire français) « on va t’envoyer à Seysses » (maison d’arrêt), j’ai eu peur je voulais me sauver, je suis parti en courant, ils m’ont attrapé, ils m’ont mis par terre, ils m’ont frappé, ils ont mis un genoux sur mon cou. J’ai donné un coup avec mon bras au policier pour me sauver, ils ont porté plainte contre moi pour blessures, le policier a eu 8 jours de maladie, il a fait exprès pour m’envoyer à Seysses.

Le juge m’a mis un an et j’ai fait 6 mois à Seysses. Y’a beaucoup de hogra dans la prison, y’a des problèmes dans les cellules. Ici aussi, les gens rentrent dans les chambres dans la nuit pour fouiller tes affaires.

Ici y’a des policiers nickels mais ya des groupes méchants avec nous. Ils ont frappé quelqu’un qui a pris du pain pour le manger dans sa chambre. On mange à 19h et jusqu’à minuit on n’a rien, on a faim. Le policier lui a dit « vous êtes des animaux ». Les policiers sont pas contents quand on rigole entre nous, quand on fait des jeux. Ils ont mis un copain au mitard pendant 8 jours. Il est fort et quand il est ressorti il avait perdu plusieurs kilos.

ça fait 6 mois que je n’ai pas parlé avec ma famille, c’est la honte pour la famille la prison, j’ai le coeur brisé. Je n’ai pas de visites depuis 7 mois.

Je prends 4 médicaments par jour ici et en prison pour dormir, le stress, l’angoisse. Dehors je prenais rien, pas d’alcool, pas de zetla, pas de médicaments.

J’ai traversé la mer pour venir ici, zerma l’Europe c’est bien pour travailler… Je suis ingénieur en urbanisme, j’ai un Master 2, je suis en train de perdre tout ce que j’ai appris. Je voulais m’inscrire à la fac de Paris VIII ou à Bordeaux. »

Mise à jour  : K. est passé devant le JLD (Juge des libertés et de la détention) le 08 juillet. ça faisait 30 jours qu’il était déjà enfermé et n’avait toujours pas de laissez-passer de l’Algérie qui permettrait son expulsion. Le représentant de la prefecture dit à l’audience du JLD que le Consul algérien est venu voir K. au CRA pour une reconnaissance mais K. n’a vu personne. Le juge ne tient pas compte de sa réponse. C’est sa parole contre celle de la prefecture car aucune preuve n’est donnée aux prisonniers quand les représentant.es des consulats viennent les voir. L’appel du JLD a eu lieu le 9 juillet et le juge a confirmé la prolongation de K. de 30 jours sachant qu’ils ne pourraient pas le déporter. On le rappelle, l’enfermement a un double objectif, expulser les personnes sans papiers mais aussi les punir, leur faire subir la violence de l’enfermement et les décourager ainsi à rester sur le territoire français.

Mise à jour août 2024 : K. a été libéré du CRA mais mis en assignation à résidence (AAR) à Toulouse alors qu’il ny réside pas, 45 jours renouvelables 2 fois et une signature au comissariat 2 fois par semaine. Là encore cette mesure de privation de liberté relève de l’acharnement puisqu’il n’est pas expulsable, tout comme l’attribution d’une Interdiction de territoire français (ITF) aux personnes ayant fait de la prison. C’est la double peine judiciaire.

« Je suis sorti de prison, je les ai trouvés en train de m’attendre pour me ramener ici »

Le CRA de Toulouse est plein comme d’habitude et en ce moment beaucoup de personnes sortant de prison sont enfermées au CRA pour subir la double peine, c’est à dire l’enfermement et l’expulsion en plus de la peine de prison. Pour en savoir plus sur la double peine et la collaboration entre l’administration pénitentiaire et le ministère de l’intérieur, cliquez ici

Les appels sur les cabines des différents secteurs du CRA de Toulouse ne sont plus possibles depuis plusieurs semaines. L’administration a décidé de mettre fin au contrat avec le prestataire de service et donne à présent des téléphones sans caméra aux prisonnier.es. On ne peut donc plus contacter les personnes sur les cabines, cela contribue à les isoler d’avantage à rendre plus difficile le soutien qu’on peut leur apporter ainsi que la diffusion de leurs témoignages.

Par ailleurs, une nouvelle organisation a été mise en place au Palais de justice de Toulouse pour les audiences « droit des étrangers » du juge des libertés et de la détention (JLD). Les prisonnier·ères ne restent plus dans la salle pendant le délibéré. Les personnes sont ramenées au CRA puis reviennent dans l’après-midi pour entendre la décision du juge. Les flics font faire aux personnes deux allers-retours dans la journée, menottées dans le dos. Cette nouvelle organisation enlève également une occasion pour les prisonnier·ères d’échanger un peu avec les personnes en soutiens qui se rendent aux audiences.

Tout cela va dans le sens de la nouvelle loi « Asile et immigration », énième loi raciste et l’une des plus répressives du code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), qui prévoit d’ici 2025/2026 la généralisation des visio conférences des audiences et également l’externalisation des salles d’audiences. Il est question de construire des petits tribunaux spécifiques aux personnes étrangères, tout près des CRA, loin des regards, rendant ainsi plus difficile la publicité des débats. Les CRA sont souvent accolés aux aéroports ou dans des zones isolées.

Témoignages recueillis ces dernières semaines

D. est au CRA de Toulouse depuis 40 jours :
« Je suis sorti de prison, je les ai trouvés en train de m’attendre pour me ramener ici, ça fait 7 ans que je suis en France, je n’ai jamais eu ça. Ils m’ont mis une OQTF (obligation de quitter le territoire français) et une IRTF (interdiction de retour sur le territoire français).
Les policiers font chier, y’a des gentils et des méchants, les méchants veulent montrer qu’ils sont méchants, ils provoquent, ils disent « retourne chez toi » et si tu réponds tu es dans la merde »

B. est au CRA de Toulouse depuis 60 jours :
« J’ai 19 ans, je suis venu en France à 11 ans avec mon père. Je suis sorti de Seysses, j’ai fait  5 mois pour une bagarre, il ya des vidéos qui prouvent que je suis en train de séparer un ami qui se bagarre avec un autre, moi j’ai rien fait.
J’ai fait 4 gardes à vue quand j’étais mineur, je suis pas un mec qui cherche les histoires. J’étais au Havre, ils m’ont envoyé à Toulouse en 2021. Je me suis retrouvé seul à Toulouse.
Si je sors mardi, je dois refaire les papiers à l’ASE pour retrouver un appart et un travail. J’étais pendant 4 ans en appartement autonome avec l’ASE, contrat jeune majeur. 7 mois de ma vie perdue avec la prison et ici, j’ai perdu beaucoup.
Avant de rentrer en prison, j’avais ma demande pour les papiers à la préfecture.
La bouffe est dégueulasse ici, la police provoque pour qu’on les frappe et ensuite ils nous emmènent en prison, ils disent « va apprendre le français avant de venir ici », « retourne dans ton pays ».

F. est au CRA de Toulouse depuis 40 jours :
« J’ai 24 ans, je suis en France depuis mes 9 ans, avec l’ASE. Ils m’ont pas donné les papiers après. J’étais deux fois à Fleury et 3 fois dans ce centre à Toulouse.
Après, 9 mois à Seysses, quand je suis sorti, ils m’ont ramené ici. ça fat 40 jours que je suis là. Ils font tout pour qu’on reste enfermé, la prison et les centres.
Les repas c’est dégueulasse et pas halal, il fait froid, ils mettent pas de chauffage ici et la police c’est la hogra « 

 

Cet acharnement contre les personnes étrangères ne doit pas rester caché, ne laissons pas les prisonnier·ères isolé·es, soutenons leurs luttes !
À bas le racisme d’État ! Ni CRA, ni prison, ni expulsions !

Communiqué des collectifs de lutte contre les CRA et les frontières

En tant que collectifs impliqués dans la lutte contre les centres de rétention administrative (CRA) et les frontières, nous affirmons notre solidarité avec le peuple palestinien et alertons sur la récupération et l’instrumentalisation de la situation actuelle par le gouvernement français. Pour rappel, les CRA sont un produit direct de la colonisation. En France, c’est dans le contexte de la répression des personnes originaires de ses ex-colonies (à commencer par l’Algérie) qu’ils ont été créés dans leur forme actuelle.

Fidèle à sa politique colonialiste et impérialiste l’État français exprime son soutien sans faille à l’occupant israélien en Palestine, légitimant ainsi les massacres et déshumanisant les Palestinien·nes, et réprime toute forme de soutien à la résistance palestinienne en France. Dans le même temps, ilaccentue sa politique de répression et de criminalisation de toutes les personnes qu’il considère comme « illégales » sur son territoire, notamment via la loi Darmanin qui est votée en ce moment-même à l’assemblée nationale, et par tous les discours et mesures racistes, répressives, sécuritaires et islamophobes qui l’accompagnent.

Ainsi le gouvernement français, avec la complicité des médias, attise encore une fois la haine et la suspicion envers les personnes sans papiers, les personnes racisées et les personnes musulmanes, toutes désignées comme des menaces potentielles. Dans sa fabrique de la figure raciste de « l’ennemi intérieur », il prétexte l’apologie du terrorisme pour justifier ses mesures de répression, d’enfermement et d’expulsion.

La situation actuelle en Palestine lui permet de renforcer encore ces pratiques habituelles, tout en utilisant son arsenal législatif et sécuritaire pour réprimer tout soutien au peuple palestinien. Le gouvernement français a ainsi empêché Mariam Abu Daqqa, figure féministe membre du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), de se rendre en Occitanie le 16 octobre pour son cycle de conférences entamé en France sous prétexte que ces rencontres étaient « susceptibles de susciter de graves troubles à l’ordre public ». Elle a ensuite a été violemment arrêtée avant d’être expulsée au Caire. Toujours dans le cadre de sa collaboration avec l’occupant israélien l’État français maintient enfermé depuis 40 ans George Ibrahim Abdallah, militant révolutionnaire de la résistance palestinienne alors même qu’il est libérable depuis 1999. Il est le plus ancien prisonnier politique d’Europe, et continue de lutter depuis sa cellule pour la libération du peuple palestinien et contre l’impérialisme.

Plus généralement, si beaucoup de manifestations en soutien à la Palestine ont été interdites et réprimées, ce sont les personnes considérées comme étrangères qui subissent le plus violemment cette criminalisation notamment sous prétexte « d’apologie du terrorisme ». La semaine du 20 octobre, 3 personnes ont été arrêtées car elles se prenaient en photo devant la tour Eiffel avec un drapeau palestinien. N’ayant pas de papiers français, elles ont été directement envoyées au CRA de Vincennes et l’une d’entre elles a été expulsée à peine quelques jours après. Le 14 novembre, un étudiant s’est vu retirer son droit de séjour pour une inscription contre les bombardements de Gaza sur des panneaux municipaux. Il a reçu obligation de quitter le territoire (OQTF) et une interdiction de retour sur le territoire français de 3 ans, il a été enfermé au CRA de Rennes en vue de son expulsion.

Plus largement, le durcissement des dispositifs législatifs et policiers qui visent l’immigration en France, et notamment la politique mortifère et raciste de fermeture des frontières sous prétexte de « lutte contre le terrorisme », a des conséquences concrètes et dramatiques pour les personnes illégalisées qui vivent ou arrivent en France. Ces mesures ne cessent de tuer, la plupart du temps passant ces morts sous silence, à la frontière, dans les CRA, au travail, dans la rue. Encore ces dernières semaines, deux personnes ont été tuées à la frontière franco-italienne, après avoir été traquées par la police pendant plusieurs heures dans les montagnes du Briançonnais et au moins 8 personnes sont mortes à la frontière franco-britannique.

Tout cela va être renforcé par la loi Darmanin sur l’immigration. Elle permettra à l’État d’utiliser encore plus délibérément les personnes dont il ne reconnaît pas les papiers comme une main d’œuvre jetable et expulsable à merci, tout en les réduisant à vivre dans la peur, sans droits, sans accès à la santé, sans possibilité de logement décent. Darmanin a également affirmé de nombreuses fois sa volonté d’enfermer toujours plus, et d’expulser toujours plus vite. Pour cela, en plus de la simplification des procédures d’expulsion que permet la loi Darmanin, l’État prévoit le doublement du nombre de places en CRA, et donc de nombreuses nouvelles constructions.

Il est nécessaire et urgent de combattre cette politique raciste, coloniale, et islamophobe aux conséquences mortelles.

Face au génocide en cours à Gaza mené par l’occupant israélien avec la complicité de l’État français et des entreprises françaises, nous apportons notre solidarité à la résistance palestinienne et soutenons le peuple palestinien pour la fin des bombardements sur Gaza, la fin du blocus de Gaza, la fin de la politique de colonisation, d’apartheid et de nettoyage ethnique qui dure depuis 75 ans. Vive la Palestine libre !

Face à l’impérialisme, au racisme et à l’islamophobie d’État, vive les luttes internationalistes, décoloniales et antiracistes !

Calais Anti CRA, Lyon Anti CRA, Marseille Anti CRA, Progetto 20K (Vintimille), Toulouse Anti CRA

17 octobre 1961 un massacre colonial d’Etat

Manif interdite par la préfecture de Toulouse

Le massacre d’État du 17 octobre 1961 doit être l’occasion de nous rappeler que la France est toujours un état colonial qui continue d’exercer une violence économique, politique et militaire en Afrique et dans les territoires ultra marins. Cette domination de la France sur ses anciennes colonies s’exerce aussi par la fermeture de ses frontières, et la militarisation des frontières de l’Europe. Ce contrôle représente un marché en plein essor pour l’industrie militaire et sécuritaire, qui construit les murs, les camps et les systèmes de surveillance de plus en plus sophistiqués, qui enferment et tuent les personnes exilées. La France avec l’Europe a mis en place des partenariats à coup de milliards d’euros avec des pays de transit pour externaliser ses frontières, organiser et déléguer la barbarie de l’enfermement, des violences et des refoulements en mer et dans le Sahara ; l’Europe s’en lave ainsi les mains !

Le nombre de personnes qui meurent en Méditerranée, dans la Manche, au large des îles Canaries, entre Mayotte et Les Comores ne cessent d’augmenter. La France et les autres états européens sont responsables de ces morts de masse ! Mais il y a des morts qui ne comptent pas. Il y a des vies qui ne valent pas d’autres vies.

En France, le CESEDA, le Code d’entrée et de séjour des étrangers, qui régit le droit des personnes étrangères, est un droit d’exception, raciste et sexiste, hérité du Code de l’indigénat, qui organisait le contrôle des « indigènes » en Algérie et dans les autres colonies. Le CESEDA, comme le code de l’indigénat, met en place la limitation de circulation, l’enfermement administratif et les déportations des personnes étrangères.

L’enfermement administratif en France dans des prisons pour étrangers et étrangères, les CRA, c’est près de 45 000 personnes par an dont plus de la moitié à Mayotte, territoire colonial ou la violence d’État se déchaine et où sont menés de véritables transferts forcés de population.

Tout cela est rendu possible par la déshumanisation et l’infériorisation des personnes non-blanches. Cette racialisation produite pendant les colonisations, et perpétuées depuis, justifie des traitements violents dans les lieux d’enfermement, à Calais ou à la frontière franco-italienne, où les exilés sont pourchassés comme des animaux. Elle permet de désigner l’ennemi intérieur et extérieur, construit comme étant violent, violeur, fraudeur, ne pouvant s’adapter à la société française ; elle autorise une exploitation sans limites des travailleurs sans papiers et une persécution dans l’espace public des personnes racisées.

C’est pourquoi, plus que jamais, nous avons besoin de nous mobiliser et de nous organiser contre ses politiques racistes meurtrières ici en France, en soutien aux personnes sans papiers mais aussi contre le colonialisme et l’impérialisme, ces luttes sont indissociables !

A bas le colonialisme et l’impérialisme ! A bas les frontières, solidarité avec tous les immigrés et les peuples en lutte pour leur indépendance ! Vive la Palestine libre !