L’enfermement administratif : dispositif colonial

Podcast de la table ronde organisée par le collectif Toulouse Anti CRA dans le cadre d’une action en soutien aux prisonnier·es du centre de rétention (CRA) de Toulouse (24 mai 2025)

Textes et podcast relayés par Enquête Critique et Spectre.


L’idée de cette table ronde a été de réfléchir à l’enfermement administratif (détention, internement ou rétention) comme un dispositif de répression du racisme d’État en montrant les liens dans le temps et l’espace. 
On a d’abord parler de la question de l’emprisonnement colonial et la détention administrative des prisonniers palestiniens puis de l’enfermement administratif en Algérie coloniale et montrer le continuum colonial avec l’enfermement, les déportations et les assignations à résidence des personnes étrangères en France aujourd’hui. Enfin, montrer rapidement le lien entre l’immigration et l’impérialisme autour de la question de l’externalisation des frontières et des déportations. 

Discussion avec Tom, militant anti-impérialiste et antisioniste et avec des membres du collectif Toulouse Anti CRA, collectif anticarcéral et antiraciste créé en février 2020 qui milite contre les centres de rétention administrative et contre le racisme d’État.

Écouter le podcast sur Spectre : https://spectremedia.org/enquete-critique/?playing=2263

Lire les interventions écrites sur le site Enquête Critique : https://enquetecritique.org/projets/prison-et-enfermements/article/l-enfermement-administratif-dispositif-colonial]

Ressources
– Sylvie Thénault, « Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale, camps, internements, assignations à résidence »
– Marc Bernardot,« La tradition d’internement en France »
– FASTI –« Abrogeons le CESEDA »
 Centres et locaux de rétention administrative – Rapport national et local des associations 2024
 MIGREUROP – Réseau euro-africain d’associations de défense des droits
 ANAFE – Défense des droits des personnes étrangères aux frontières
 Toulouse Anti CRA, brochures citées à retrouver dans la rubrique Brochures :
> Enfermement au CRA, étapes et procédures
> La répression coloniale de l’État français contre les étranger·es à Mayotte
> Contre les prisons et les frontières, luttes contre les CRA, paroles de prisonnier·es de Toulouse

Soirée en soutien aux prisonnier.es du CRA de Toulouse

– 17h Table ronde
L’enfermement administratif : dispositif colonial
// en Algérie coloniale et rétention des étranger·es aujourd’hui en France // détention des palestinien·nes sous l’occupation israélienne
avec Toulouse Anti CRA & militant·es anti-impérialistes et antisionistes

– 19h Repas vegan
– 20h DJ set – BOTCHO – afro rave
17h-22h
La Chapelle – 36 rue Danielle Casanova
Participation libre (espèces uniquement) – accès PMR

« Je comprends pas à la télé, BFM disent que l’Algérie ne veut pas prendre ses ressortissants mais y’a des avions pour l’Algérie. »

Au CRA de Toulouse, il n’y a plus de secteurs femmes et famille, toutes les cellules sont maintenant destinées aux hommes. L’objectif de l’Etat est d’enfermer systématiquement les sortants de prison et d’appliquer la double peine. Pour rappel, cela consiste à enfermer au CRA puis à expulser les personnes qui ont commis un crime ou un délit, alors qu’elles ont purgé leur peine de prison. Pour autant, les femmes et les familles ne sont pas épargnées, et si elles ne sont pas enfermées au CRA de Toulouse, elles sont assignées à résidence (AAR). La durée des AAR a augmenté avec la dernière loi Asile et Immigration de 2024, passant à 45 jours renouvelables deux fois, pour une durée totale pouvant aller jusqu’à 135 jours. Par ailleurs, l’AAR est de plus en plus utilisée par les préfectures quand l’expulsion n’a pas pu avoir lieu au terme de la durée maximale d’enfermement. Cette pratique permet de continuer à punir et torturer les personnes : n’ayant pas de titre de voyage valide ou de laissez-passer consulaire, elles restent inexpulsables.

Si les préfectures et l’administration pénitentiaire collaborent depuis longtemps pour expulser les sortants de prison, la loi de janvier 2024 et la circulaire Retailleau d’octobre 2024 généralisent la double peine, facilitée notamment par « la menace pour l’ordre public ». La circulaire Retailleau appelle les préfectures à retirer les titres de séjour des personnes qui représentent une « menace » et à distribuer des arrêtés d’expulsion et des OQTF. Il n’existe aucune définition de la « menace pour l’ordre public », c’est laissé à l’appréciation de l’administration qui l’utilise très largement, par exemple pour des délits mineurs, comme le vol ou la mendicité. « La menace grave pour l’ordre public » permet, elle, de supprimer toutes les protections contre l’expulsion hormis le fait d’être mineur. Ainsi, les personnes ayant des enfants ou étant en France depuis l’enfance peuvent être expulsées si la préfecture a décidé de façon totalement arbitraire que ces personnes représentent une menace pour la société française.  

Par ailleurs, le Sénat vient d’adopter deux projets de lois. Sous réserve d’un vote favorable à l’Assemblée Nationale, la loi allongera la durée de la rétention administrative à 210 jours. Elle s’appliquera aux personnes condamnées à une interdiction de territoire français (ITF) pour un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement ou dont le comportement « constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public« . L’autre loi concerne « la préférence nationale », en limitant l’accès des étranger·es aux prestations sociales.

En parallèle, l’Union Européenne renforce ses frontières et la répression des personnes étrangères. Elle a adopté deux mesures, l’une concernant l’allongement de la rétention administrative de 18 à 24 mois et l’autre autorisant les États membres à externaliser des camps d’enfermement dans des pays hors UE, appelés « centres de retour » où seront séquestrés les demandeurs d’asile avant leur déportation.
Le témoignage de S. ci-dessous rappelle que l’Italie a déjà construit d’immenses camps en Albanie où la police italienne transfère les personnes étranger·es et les trie avant de les déporter.

Pour finir, dans un autre témoignage K. s’étonne d’entendre les médias français relayer la propagande colonialiste de Retailleau et des nostalgiques de l’Algérie française, en faisant croire que l’Algérie ne délivre aucun laissez-passer consulaire alors que des avions décollent avec des algériens expulsés depuis le CRA.

TÉMOIGNAGES

S : « Au secteur C, y’a quelqu’un qui a tout cassé, les vitres, les télés, les caméras, il a cassé toutes les cellules, on est que 4 maintenant dans le secteur C. Y’a que 2 cellules maintenant. Il a pété un plomb. Il était seul, pas de visite, rien. Il a dit qu’il ne veut pas rester ici, il veut aller en prison, c’est un peu fou. Il s’est blessé avec la vitre. Il a dit heureusement je casse des trucs comme ça, c’est mieux que de casser des bouches.

C’est fini la France, c’est la troisième fois je me retrouve au centre. Deuxième fois à Toulouse. Il y a 7 mois, je suis sorti du CRA de Toulouse, je suis restée 2 semaines à la Reynerie, ils m’ont arrêté, ils m’ont mis en prison à cause de l’interdiction définitive et quand je suis sortie de Seysses, ils m’ont ramené encore ici au CRA de Toulouse. J’ai fait 6 mois de prison pour l’interdiction définitive. Et là ils viennent de me donner un mois encore au CRA.

Je sais plus quoi dire, j’ai plus les mots. C’est un cauchemard Seysses, trois dans une cellule, force aux hommes là-bas. Ici Toulouse c’est la pire ville. Je suis sorti de la Tunisie, j’ai pas de passeport, j’ai pas de carte d’identité même si je meurs, ils peuvent pas expulser mon corps chez moi. Ils peuvent pas m’expulser, à chaque fois c’est pareil, ils savent, ils ont demandé à la Tunisie, au Maroc à l’Algérie, y’a rien et ils me ramènent encore ici. Ils font ça pour que tu craques. Il faut patienter faire le prière, je sais pas moi.
Au tribunal hier, y’avait un Algérien. Il est à Toulouse depuis qu’il a 13 ans. Il a presque 33 ans. Il a payé un avocat très cher. Il a sa mère et sa soeur ici, pourquoi ils le ramènent au centre ? ça leur ramène toujours du travail, voilà pourquoi. Je trouve plus les mots. J’en ai marre de la prison, ça fait presque 9 ans que j’ai quitté le pays, j’ai pas envie de retourner comme ça. En Italie quand ils savent pas leur origine ils les envoient en Albanie dans un grand centre, y’a des trucs incroyables, c’est pas une vie quand t’as pas de papier en Europe.
On vient chez eux, on est pas au paradis non plus. Hier j’ai bien parlé avec le juge, j’ai dit donnez-moi 24h et je quitte la France, laissez-moi une chance. Le policier m’a dit toi ta chance tu l’as eue déjà, tu es arrivé en France, tu n’as pas le droit d’avoir une deuxième chance. Ils provoquent, faut être fort dans la tête.. Même si vous pouvez pas venir pour une visite, parler avec vous c’est déjà beaucoup, ça fait du bien, tu remontes le moral à la personne. »

K : « J’ai une interdiction de territoire français depuis 2023. J’étais en Espagne, je suis revenu ici pour voir mon frère et ma nièce, je suis restée 3 jours, ils m’ont contrôlé j’étais en scooter, je me suis retrouvé en prison et après ici. Franchement ils ont foutu ma vie en l’air. J’étais en Espagne en train de régler ma situation, j’ai raté plein de RDV. Ok j’ai pas respecté la loi, j’étais sur le territoire français mais je comprends pas pourquoi ils font pas ce travail en prison. Comme ça à la sortie de prison soit ils te relâchent soit ils t’envoient au pays. Ils te mettent là pour galérer en plus. J’étais à la maison d’arrêt de Rodez et pour voir le consule, ils m’ont emmené à Sètes. Ils te posent des questions, ton nom où t’habites, ils prennent tes empreintes, ta photo. En tous cas où tu vas on te prend les empreintes, en garde à vue, quand tu sors de la prison, quand tu rentres ici au CRA, partout…
Je comprends pas à la télé, BFM ils disent que l’Algérie ne veut pas prendre ses ressortissants mais y’a des avions pour l’Algérie, j’ai rien compris.
Et toi t’attends, t’es dans le suspens, t’es stressé. Ça fait un mois que je suis là et ça bouge pas. Les conditions ici pour vivre c’est la catastrophe. C’est sale, y’a des gens fous, vraiment fous, t’arrives même pas à communiquer avec eux, y’a des provocations. La nourriture est dégueulasse, c’est le ramadan, hier j’ai rien mangé. Pour le ramadan, ils donnent pas de viande halal.
Avec la police moi je parle un minimum avec eux pour pas avoir de problèmes. Y’a un groupe ça va et un groupe c’est la catastrophe. Ils ont décidé d’enlever les couvertures, il fait froid la nuit. Un collègue a commencé à réclamer pendant le repas pour avoir les couvertures, on a tous réclamé. Il voulait pas rentrer au secteur, ils l’ont foutu au mitard, ils l’ont frappé de fou. Ils ont ramené ensuite les couvertures. La plupart ont pas de famille ici, les gens sont des fumeurs, ils ont pas de tabac, ils pètent les plombs, ils ont pas de fumette alors les gens craquent. Ils savent bien ça. Y’a rien qui va ici. Y’a des chambres sans eau chaude, les sanitaires ça sent la pisse. »

« Au mitard ils frappent trop, ils te scotchent pour pas que tu bouges. »

« Quand quelqu’un fait quelque chose, ils punissent tout le monde, l’autre jour ils ont interdit de laver son linge, tout le monde a pêté les plombs, a crié, on peut plus aller à la bagagerie, ils arrêtent les visites, ils interdisent tout, comme ça tu craques, tu vas le voir, tu lui dit ‘pourquoi t’as fait ça’ et après ça créé une embrouille ». A propos de personnes qui ont cassé dans le CRA il y a quelques temps : « les 3 ils sont allés en garde à vue, après ils sont revenus… jusqu’à maintenant on est punis, jusqu’à maintenant ! Ils ont passé devant le juge et tout, heureusement ils ont été relaxés »

« Tu serres ici, tu serres, c’est une galère de fou. Ils ont ramené un collègue à moi, il lui ont enlevé ses papiers je sais pas pourquoi, il a 4 enfants ou 3 enfants. Il travaille ici et tout, comme ils disent ‘il est intégré’, mais ils l’ont ramené ici, tu comprend pas les gens ils sont intégrés tu les ramène ici, ils sont pas intégrés tu les ramène ici, ils laissent chance à personne. Ils ont ramené un handicapé, vraiment un handicapé, il a passé 3 jours ici. Soit ils l’ont relâché soit ils l’ont mis dans un centre de santé, il est vraiment handicapé il est resté 3 jours ici, j’ai pas compris pourquoi ils l’ont ramené ici. Il lui faut une aide médicale avec lui, une aide soignante quelque chose comme ça, je comprend pas il est resté, en plus il a dormi sur la chaise, laisse tomber. »

M : « Je veux faire une demande d’apatride, le Montenegro ne me reconnait pas. J’ai 6 enfants de nationalité française. Ça fait 20 ans que je suis en France, j’ai pas de papiers, j’ai pas de passeport. Je suis arrivé le 28 décembre au centre, je suis sorti de prison, les gendarmes m’ont ramené ici. J’ai fait 6 ans et demi de prison à Eysses Villeneuve sur Lot. la Cimade m’a dit, mon pays ne me reconnait pas, dès que je suis arrivé, ils m’ont dit ça, le chef de la prison me l’a dit. Je passe devant le juge le 27 janvier. La Cimade m’a dit c’est pas sûr qu’il te donne la liberté. Tout le monde reçoit un mois de plus. ça se passe mal ici. C’est 10 fois pire que la prison ».

J :  » Je discute avec les amis dans les autres CRA, l’escorte c’est au bout du 3ème vol, ici ils scotchent pour le 2ème vol. Je veux voir le laissez-passer, sinon je pars pas. J’ai refusé le vol, je l’ai dit aux policiers, j’étais dans la voiture à l’aéroport. Ils ont appelé le pilote pour lui dire, ils ont déchiré mon billet. Y’avait quelqu’un d’autre avec moi qui voulait rentrer en Algérie, il est monté dans l’avion. J’ai demandé aux policiers de me montrer mon laissez-passer, ils m’ont dit c’est interdit. Ils m’ont ramené au centre, je sais pas si je vais avoir un autre vol. Depuis que je suis revenu au centre ils me provoquent pour que je leur réponde et après m’accuser et m’emmener en prison. Je leur ai dit je suis pas un chien. »

R :  « Ça va, mais c’est dur quand même, j’arrive pas à comprendre pourquoi j’avais une résidence de 10 ans ici, ils me l’ont retirée, ma fille est née ici, pourquoi une OQTF ? Ça fait douze ans que je suis en France. » R. explique qu’on l’a accusé d’avoir fait un mariage blanc, qu’on l’a convoqué à la préfecture et qu’on lui a dit que l’obtention de son titre de séjour (qui expirait en 2028 à l’origine) était frauduleuse, et qu’on lui a mis une OQTF. Il explique également qu’il a fait 3 mois de prison suite à une plainte de sa femme qui l’a amené au pénal. A l’origine, il avait un bracelet électronique, il y a eu un problème avec le bracelet, il a été envoyé en prison.

« On m’a donné un somnifère pour dormir avec le stress, c’est pour ça que j’ai des tâches rouges, et j’ai mis de la crème […] ils donnent des médicaments comme ça ‘ils font pas chier, ils vont dormir on est tranquilles’ […] j’ai pas dormi j’étais pensif, je suis perturbé, il reste deux jours avant samedi, ça arrive »

 « Il y a beaucoup d’Algériens, à croire qu’ils ont un problème avec eux »

« C’est pas facile franchement, les repas c’est pas des vrais repas, c’est industriel, parfois je mange pas pendant 2-3 jours, j’y arrive pas. »

A propos de la police : « il y a des groupes très cool et des groupes… c’est des fachos. »

« Je ne peux pas être renvoyé en Algérie, mes parents sont ici, je peux pas les laisser. C’est tranquille, j’y crois, je sais que je vais être libre, même s’ils me renvoient je reviendrai en France par bateau, j’ai pas peur de la mer, je reviendrai avec un visa. »

« Ça fait 28 jours que je suis ici, y’a pas de laissez-passer pour l’Algérie en ce moment, pourquoi je reste ici ? »

Les ressortissant·es Algérien·nes sont maintenus enfermé·es alors que l’expulsion n’est pas possible : le consulat d’Algérie ne délivre pas de laissez-passer en ce moment, de plus l’Algérie a refusé l’entrée d’algérien·nes expulsé·es même avec un passeport.
K., prisonnier au centre de rétention de Toulouse a été arrêté suite à un contrôle, tabassé par les flics qui au final ont porté plainte contre lui pour violences, procédé habituel. Le juge l’a condamné à un an de prison ferme. A sa sortie de prison, il a été placé en CRA avec une interdiction de territoire français (ITF). En CRA Les violences physiques et psychologiques des flics de la PAF sont quotidiennes, et les placements au mitard ou en prison fréquents. Témoignage.
 Juillet 2024.

« Ça fait 28 jours que je suis ici, y’a pas de laissez-passer pour l’Algérie en ce moment, pourquoi je reste ici ? L’Algérie ne répond pas depuis le 4 juin. Ils m’ont arrêté à Portet, je travaille dans une pizzeria. Je sors du carrefour, les gendarmes m’ont dit « contrôle, vous avez une OQTF » (obligation de quitter le territoire français) « on va t’envoyer à Seysses » (maison d’arrêt), j’ai eu peur je voulais me sauver, je suis parti en courant, ils m’ont attrapé, ils m’ont mis par terre, ils m’ont frappé, ils ont mis un genoux sur mon cou. J’ai donné un coup avec mon bras au policier pour me sauver, ils ont porté plainte contre moi pour blessures, le policier a eu 8 jours de maladie, il a fait exprès pour m’envoyer à Seysses.

Le juge m’a mis un an et j’ai fait 6 mois à Seysses. Y’a beaucoup de hogra dans la prison, y’a des problèmes dans les cellules. Ici aussi, les gens rentrent dans les chambres dans la nuit pour fouiller tes affaires.

Ici y’a des policiers nickels mais ya des groupes méchants avec nous. Ils ont frappé quelqu’un qui a pris du pain pour le manger dans sa chambre. On mange à 19h et jusqu’à minuit on n’a rien, on a faim. Le policier lui a dit « vous êtes des animaux ». Les policiers sont pas contents quand on rigole entre nous, quand on fait des jeux. Ils ont mis un copain au mitard pendant 8 jours. Il est fort et quand il est ressorti il avait perdu plusieurs kilos.

ça fait 6 mois que je n’ai pas parlé avec ma famille, c’est la honte pour la famille la prison, j’ai le coeur brisé. Je n’ai pas de visites depuis 7 mois.

Je prends 4 médicaments par jour ici et en prison pour dormir, le stress, l’angoisse. Dehors je prenais rien, pas d’alcool, pas de zetla, pas de médicaments.

J’ai traversé la mer pour venir ici, zerma l’Europe c’est bien pour travailler… Je suis ingénieur en urbanisme, j’ai un Master 2, je suis en train de perdre tout ce que j’ai appris. Je voulais m’inscrire à la fac de Paris VIII ou à Bordeaux. »

Mise à jour  : K. est passé devant le JLD (Juge des libertés et de la détention) le 08 juillet. ça faisait 30 jours qu’il était déjà enfermé et n’avait toujours pas de laissez-passer de l’Algérie qui permettrait son expulsion. Le représentant de la prefecture dit à l’audience du JLD que le Consul algérien est venu voir K. au CRA pour une reconnaissance mais K. n’a vu personne. Le juge ne tient pas compte de sa réponse. C’est sa parole contre celle de la prefecture car aucune preuve n’est donnée aux prisonniers quand les représentant.es des consulats viennent les voir. L’appel du JLD a eu lieu le 9 juillet et le juge a confirmé la prolongation de K. de 30 jours sachant qu’ils ne pourraient pas le déporter. On le rappelle, l’enfermement a un double objectif, expulser les personnes sans papiers mais aussi les punir, leur faire subir la violence de l’enfermement et les décourager ainsi à rester sur le territoire français.

Mise à jour août 2024 : K. a été libéré du CRA mais mis en assignation à résidence (AAR) à Toulouse alors qu’il ny réside pas, 45 jours renouvelables 2 fois et une signature au comissariat 2 fois par semaine. Là encore cette mesure de privation de liberté relève de l’acharnement puisqu’il n’est pas expulsable, tout comme l’attribution d’une Interdiction de territoire français (ITF) aux personnes ayant fait de la prison. C’est la double peine judiciaire.

« Je suis sorti de prison, je les ai trouvés en train de m’attendre pour me ramener ici »

Le CRA de Toulouse est plein comme d’habitude et en ce moment beaucoup de personnes sortant de prison sont enfermées au CRA pour subir la double peine, c’est à dire l’enfermement et l’expulsion en plus de la peine de prison. Pour en savoir plus sur la double peine et la collaboration entre l’administration pénitentiaire et le ministère de l’intérieur, cliquez ici

Les appels sur les cabines des différents secteurs du CRA de Toulouse ne sont plus possibles depuis plusieurs semaines. L’administration a décidé de mettre fin au contrat avec le prestataire de service et donne à présent des téléphones sans caméra aux prisonnier.es. On ne peut donc plus contacter les personnes sur les cabines, cela contribue à les isoler d’avantage à rendre plus difficile le soutien qu’on peut leur apporter ainsi que la diffusion de leurs témoignages.

Par ailleurs, une nouvelle organisation a été mise en place au Palais de justice de Toulouse pour les audiences « droit des étrangers » du juge des libertés et de la détention (JLD). Les prisonnier·ères ne restent plus dans la salle pendant le délibéré. Les personnes sont ramenées au CRA puis reviennent dans l’après-midi pour entendre la décision du juge. Les flics font faire aux personnes deux allers-retours dans la journée, menottées dans le dos. Cette nouvelle organisation enlève également une occasion pour les prisonnier·ères d’échanger un peu avec les personnes en soutiens qui se rendent aux audiences.

Tout cela va dans le sens de la nouvelle loi « Asile et immigration », énième loi raciste et l’une des plus répressives du code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), qui prévoit d’ici 2025/2026 la généralisation des visio conférences des audiences et également l’externalisation des salles d’audiences. Il est question de construire des petits tribunaux spécifiques aux personnes étrangères, tout près des CRA, loin des regards, rendant ainsi plus difficile la publicité des débats. Les CRA sont souvent accolés aux aéroports ou dans des zones isolées.

Témoignages recueillis ces dernières semaines

D. est au CRA de Toulouse depuis 40 jours :
« Je suis sorti de prison, je les ai trouvés en train de m’attendre pour me ramener ici, ça fait 7 ans que je suis en France, je n’ai jamais eu ça. Ils m’ont mis une OQTF (obligation de quitter le territoire français) et une IRTF (interdiction de retour sur le territoire français).
Les policiers font chier, y’a des gentils et des méchants, les méchants veulent montrer qu’ils sont méchants, ils provoquent, ils disent « retourne chez toi » et si tu réponds tu es dans la merde »

B. est au CRA de Toulouse depuis 60 jours :
« J’ai 19 ans, je suis venu en France à 11 ans avec mon père. Je suis sorti de Seysses, j’ai fait  5 mois pour une bagarre, il ya des vidéos qui prouvent que je suis en train de séparer un ami qui se bagarre avec un autre, moi j’ai rien fait.
J’ai fait 4 gardes à vue quand j’étais mineur, je suis pas un mec qui cherche les histoires. J’étais au Havre, ils m’ont envoyé à Toulouse en 2021. Je me suis retrouvé seul à Toulouse.
Si je sors mardi, je dois refaire les papiers à l’ASE pour retrouver un appart et un travail. J’étais pendant 4 ans en appartement autonome avec l’ASE, contrat jeune majeur. 7 mois de ma vie perdue avec la prison et ici, j’ai perdu beaucoup.
Avant de rentrer en prison, j’avais ma demande pour les papiers à la préfecture.
La bouffe est dégueulasse ici, la police provoque pour qu’on les frappe et ensuite ils nous emmènent en prison, ils disent « va apprendre le français avant de venir ici », « retourne dans ton pays ».

F. est au CRA de Toulouse depuis 40 jours :
« J’ai 24 ans, je suis en France depuis mes 9 ans, avec l’ASE. Ils m’ont pas donné les papiers après. J’étais deux fois à Fleury et 3 fois dans ce centre à Toulouse.
Après, 9 mois à Seysses, quand je suis sorti, ils m’ont ramené ici. ça fat 40 jours que je suis là. Ils font tout pour qu’on reste enfermé, la prison et les centres.
Les repas c’est dégueulasse et pas halal, il fait froid, ils mettent pas de chauffage ici et la police c’est la hogra « 

 

Cet acharnement contre les personnes étrangères ne doit pas rester caché, ne laissons pas les prisonnier·ères isolé·es, soutenons leurs luttes !
À bas le racisme d’État ! Ni CRA, ni prison, ni expulsions !

Communiqué des collectifs de lutte contre les CRA et les frontières

En tant que collectifs impliqués dans la lutte contre les centres de rétention administrative (CRA) et les frontières, nous affirmons notre solidarité avec le peuple palestinien et alertons sur la récupération et l’instrumentalisation de la situation actuelle par le gouvernement français. Pour rappel, les CRA sont un produit direct de la colonisation. En France, c’est dans le contexte de la répression des personnes originaires de ses ex-colonies (à commencer par l’Algérie) qu’ils ont été créés dans leur forme actuelle.

Fidèle à sa politique colonialiste et impérialiste l’État français exprime son soutien sans faille à l’occupant israélien en Palestine, légitimant ainsi les massacres et déshumanisant les Palestinien·nes, et réprime toute forme de soutien à la résistance palestinienne en France. Dans le même temps, ilaccentue sa politique de répression et de criminalisation de toutes les personnes qu’il considère comme « illégales » sur son territoire, notamment via la loi Darmanin qui est votée en ce moment-même à l’assemblée nationale, et par tous les discours et mesures racistes, répressives, sécuritaires et islamophobes qui l’accompagnent.

Ainsi le gouvernement français, avec la complicité des médias, attise encore une fois la haine et la suspicion envers les personnes sans papiers, les personnes racisées et les personnes musulmanes, toutes désignées comme des menaces potentielles. Dans sa fabrique de la figure raciste de « l’ennemi intérieur », il prétexte l’apologie du terrorisme pour justifier ses mesures de répression, d’enfermement et d’expulsion.

La situation actuelle en Palestine lui permet de renforcer encore ces pratiques habituelles, tout en utilisant son arsenal législatif et sécuritaire pour réprimer tout soutien au peuple palestinien. Le gouvernement français a ainsi empêché Mariam Abu Daqqa, figure féministe membre du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), de se rendre en Occitanie le 16 octobre pour son cycle de conférences entamé en France sous prétexte que ces rencontres étaient « susceptibles de susciter de graves troubles à l’ordre public ». Elle a ensuite a été violemment arrêtée avant d’être expulsée au Caire. Toujours dans le cadre de sa collaboration avec l’occupant israélien l’État français maintient enfermé depuis 40 ans George Ibrahim Abdallah, militant révolutionnaire de la résistance palestinienne alors même qu’il est libérable depuis 1999. Il est le plus ancien prisonnier politique d’Europe, et continue de lutter depuis sa cellule pour la libération du peuple palestinien et contre l’impérialisme.

Plus généralement, si beaucoup de manifestations en soutien à la Palestine ont été interdites et réprimées, ce sont les personnes considérées comme étrangères qui subissent le plus violemment cette criminalisation notamment sous prétexte « d’apologie du terrorisme ». La semaine du 20 octobre, 3 personnes ont été arrêtées car elles se prenaient en photo devant la tour Eiffel avec un drapeau palestinien. N’ayant pas de papiers français, elles ont été directement envoyées au CRA de Vincennes et l’une d’entre elles a été expulsée à peine quelques jours après. Le 14 novembre, un étudiant s’est vu retirer son droit de séjour pour une inscription contre les bombardements de Gaza sur des panneaux municipaux. Il a reçu obligation de quitter le territoire (OQTF) et une interdiction de retour sur le territoire français de 3 ans, il a été enfermé au CRA de Rennes en vue de son expulsion.

Plus largement, le durcissement des dispositifs législatifs et policiers qui visent l’immigration en France, et notamment la politique mortifère et raciste de fermeture des frontières sous prétexte de « lutte contre le terrorisme », a des conséquences concrètes et dramatiques pour les personnes illégalisées qui vivent ou arrivent en France. Ces mesures ne cessent de tuer, la plupart du temps passant ces morts sous silence, à la frontière, dans les CRA, au travail, dans la rue. Encore ces dernières semaines, deux personnes ont été tuées à la frontière franco-italienne, après avoir été traquées par la police pendant plusieurs heures dans les montagnes du Briançonnais et au moins 8 personnes sont mortes à la frontière franco-britannique.

Tout cela va être renforcé par la loi Darmanin sur l’immigration. Elle permettra à l’État d’utiliser encore plus délibérément les personnes dont il ne reconnaît pas les papiers comme une main d’œuvre jetable et expulsable à merci, tout en les réduisant à vivre dans la peur, sans droits, sans accès à la santé, sans possibilité de logement décent. Darmanin a également affirmé de nombreuses fois sa volonté d’enfermer toujours plus, et d’expulser toujours plus vite. Pour cela, en plus de la simplification des procédures d’expulsion que permet la loi Darmanin, l’État prévoit le doublement du nombre de places en CRA, et donc de nombreuses nouvelles constructions.

Il est nécessaire et urgent de combattre cette politique raciste, coloniale, et islamophobe aux conséquences mortelles.

Face au génocide en cours à Gaza mené par l’occupant israélien avec la complicité de l’État français et des entreprises françaises, nous apportons notre solidarité à la résistance palestinienne et soutenons le peuple palestinien pour la fin des bombardements sur Gaza, la fin du blocus de Gaza, la fin de la politique de colonisation, d’apartheid et de nettoyage ethnique qui dure depuis 75 ans. Vive la Palestine libre !

Face à l’impérialisme, au racisme et à l’islamophobie d’État, vive les luttes internationalistes, décoloniales et antiracistes !

Calais Anti CRA, Lyon Anti CRA, Marseille Anti CRA, Progetto 20K (Vintimille), Toulouse Anti CRA

17 octobre 1961 un massacre colonial d’Etat

Manif interdite par la préfecture de Toulouse

Le massacre d’État du 17 octobre 1961 doit être l’occasion de nous rappeler que la France est toujours un état colonial qui continue d’exercer une violence économique, politique et militaire en Afrique et dans les territoires ultra marins. Cette domination de la France sur ses anciennes colonies s’exerce aussi par la fermeture de ses frontières, et la militarisation des frontières de l’Europe. Ce contrôle représente un marché en plein essor pour l’industrie militaire et sécuritaire, qui construit les murs, les camps et les systèmes de surveillance de plus en plus sophistiqués, qui enferment et tuent les personnes exilées. La France avec l’Europe a mis en place des partenariats à coup de milliards d’euros avec des pays de transit pour externaliser ses frontières, organiser et déléguer la barbarie de l’enfermement, des violences et des refoulements en mer et dans le Sahara ; l’Europe s’en lave ainsi les mains !

Le nombre de personnes qui meurent en Méditerranée, dans la Manche, au large des îles Canaries, entre Mayotte et Les Comores ne cessent d’augmenter. La France et les autres états européens sont responsables de ces morts de masse ! Mais il y a des morts qui ne comptent pas. Il y a des vies qui ne valent pas d’autres vies.

En France, le CESEDA, le Code d’entrée et de séjour des étrangers, qui régit le droit des personnes étrangères, est un droit d’exception, raciste et sexiste, hérité du Code de l’indigénat, qui organisait le contrôle des « indigènes » en Algérie et dans les autres colonies. Le CESEDA, comme le code de l’indigénat, met en place la limitation de circulation, l’enfermement administratif et les déportations des personnes étrangères.

L’enfermement administratif en France dans des prisons pour étrangers et étrangères, les CRA, c’est près de 45 000 personnes par an dont plus de la moitié à Mayotte, territoire colonial ou la violence d’État se déchaine et où sont menés de véritables transferts forcés de population.

Tout cela est rendu possible par la déshumanisation et l’infériorisation des personnes non-blanches. Cette racialisation produite pendant les colonisations, et perpétuées depuis, justifie des traitements violents dans les lieux d’enfermement, à Calais ou à la frontière franco-italienne, où les exilés sont pourchassés comme des animaux. Elle permet de désigner l’ennemi intérieur et extérieur, construit comme étant violent, violeur, fraudeur, ne pouvant s’adapter à la société française ; elle autorise une exploitation sans limites des travailleurs sans papiers et une persécution dans l’espace public des personnes racisées.

C’est pourquoi, plus que jamais, nous avons besoin de nous mobiliser et de nous organiser contre ses politiques racistes meurtrières ici en France, en soutien aux personnes sans papiers mais aussi contre le colonialisme et l’impérialisme, ces luttes sont indissociables !

A bas le colonialisme et l’impérialisme ! A bas les frontières, solidarité avec tous les immigrés et les peuples en lutte pour leur indépendance ! Vive la Palestine libre !

La répression coloniale à Mayotte

Table ronde organisée à la Chapelle, Toulouse, le 14 mai 2023

Un podcast à retrouver sur Spectre.

Après le début de l’offensive coloniale appelée opération Wuambushu, à Mayotte, en avril 2023, les intervenant.e.s de cette table ronde détaillent les actions de l’État français contre les étranger.e.s dans le cadre de cette opération et abordent plus généralement la politique coloniale menée par la France dans le département de Mayotte.

Ce podcast propose de revenir sur cette journée d’action en donnant à entendre :
– Une introduction à l’histoire coloniale de Mayotte et des Comores et à l’impérialisme français par un militant de Révolution Permanente ;
– L’altérité entre Mayotte et les Comores par Djamila, une personne mahoraise étudiante à Toulouse ;
– Les politiques migratoires spécifiques à Mayotte, la gestion coloniale des populations par un militant du collectif Toulouse Anti CRA ;
– L’opération Wuambushu et les actions en justice menées par un groupe d’avocates parti à Mayotte en avril par une membre du Gisti ;
– Les violences institutionnelles dans l’accès à la santé à travers la lutte contre le VIH par un membre de l’association Grisélidis.

Offensive coloniale à Mayotte

L’opération « Wuambushu » à Mayotte prévue en avril après le ramadan a pour objectif la déportation de milliers de comorien.nes en 2 mois. Près d’un millier de gendarmes mobiles, de policiers et de CRS 8 vont débarquer en renfort pour détruire 10% des cases et vont expulser plus de 250 personnes par jour vers les autres îles de l’archipel des Comores.
Les structures de soins doivent se tenir prêtes à soigner en urgence, les écoles prêtent à voir disparaitre des enfants, et en parallèle, le conseil départemental de Mayotte a voté l’interdiction de l’accès à la Protection maternelle et infantile (PMI) aux personnes étrangères non couvertes par la sécurité sociale.

Domination coloniale et françafrique
Mayotte est restée illégalement territoire français à l’indépendance des îles des Comores en 1974. L’ONU considère comme nul et non avenu le referendum de 1976, condamne la présence de la France à Mayotte et demande son retrait. Au fil des ans, une vingtaine de résolutions de l’ONU ont suivi dans ce sens. En parallèle, l’ingérence de la France après l’indépendance des Comores, avec notamment l’intervention du mercenaire Bob Denard (assassinats de présidents, coups d’État…) va être à l’origine de la déstabilisation et de la paupérisation des Comores qui pousseront les comorien.nes au fil des ans à émigrer (1).

Le visa Balladur responsable de milliers de morts
Seulement 75 km séparent Mayotte de l’île de Ndzouani aux Comores.
Depuis 1995, la France a instauré un visa obligatoire pour les Comorien.nes qui veulent rejoindre Mayotte. C’est la fin de la libre circulation au sein de l’archipel, c’est la création d’une immigration dite « irrégulière ». Avant qu’il soit instauré, les familles étaient éparpillées dans l’archipel et le cabotage d’une île à l’autre était quotidien.
Depuis l’instauration de ce visa plus de 20 000 personnes sont décédées en tentant la traversée. Les personnes se rendent à Mayotte dans des embarcations de fortune, les kwassa. 15 à 20% des étrangers à Mayotte seraient en situation dite irrégulière, situation créée par la fermeture des frontières en 1995. Près de la moitié de la population de Mayotte ne possède pas la nationalité française, mais un tiers des étrangers sont nés à Mayotte et 95% des étrangers sont comoriens.

A Mayotte l’expulsion est toujours industrielle
En dehors de l’opération « Wuambushu » , l’État fixe à la préfecture des objectifs d’expulsion de 30 000 personnes par an, c’est à dire près de 10% de la population de Mayotte (280 000 habitants officiellement). Ces expulsions de masse s’apparentent à des transferts forcés de population qui constituent un crime contre l’humanité, selon le code pénal.
Mayotte, représente la moitié des expulsions et enfermements dans les CRA du territoire français. Et celles qui ne sont pas expulsées constituent une main d’œuvre exploitée.

Plus de 2000 enfants ont été enfermés au CRA de Mayotte en 2020 (plus de 3000 en 2019), c’est à dire plus de 15 fois plus que dans l’hexagone, sans compter les enfants enfermés en locaux de rétention administratif (LRA), dont les chiffres ne sont pas communiqués.

Il n’y a qu’une seule préfecture (Mamoudzou) qui traite l’ensemble des demandes de titre de séjour, et des demandes d’asile. Les délais de traitement sont très longs pour les demandes de titre, entre 18 mois et 2 ans.

Omniprésence de la police et des contrôles
A Mayotte, les agents interpellateurs de la police aux frontières (PAF) sont partout, les arrestations sont massives. La pression exercée par la police est telle que des mineurs n’osent plus aller à l’école, des personnes ne vont pas se faire soigner à cause des contrôles à proximité de l’hôpital, etc. Pour faire des vérifications d’identité, les flics s’assoient sur les lois, rentrent dans les maisons sans autorisation, sortent les personnes à moitié nues, etc.

Le CRA de Pamandzi
Il n’y a pas de statistiques détaillées qui proviendraient des associations à l’intérieur des CRA comme c’est le cas ailleurs en France. Pour Mayotte, on ne dispose que des chiffres transmis par la PAF.  L’enfermement au CRA à Mayotte représente à lui seul la moitié de l’enferment dans les CRA en France. Par exemple en 2019, il y a eu près de 27 000 enfermements à Mayotte sur 53 000 au total.
En 2021 : 26485 pour Mayotte uniquement. Cela signifie que 62,5 % des placements en rétention décidés par l’administration française en 2021 l’ont été pour Mayotte par la mise en place de l’opération Shikandra de lutte contre l’immigration clandestine depuis 2019.

Les procédures d’expulsions se font le jour même de l’interpellation L’immense majorité des personnes étrangères est expulsée dans la journée, la durée moyenne de rétention est de 17 heures, ne laissant ni le temps ni la possibilité d’exercer ses droits. D’ailleurs, parmi la petite minorité qui est vue par l’association qui traite les dossiers juridiques dans le CRA, (1600 personnes sur 14000 en 2020, 3500 sur 27000 en 2019) et qui ont donc le temps d’exercer leurs droits, les deux-tiers sont libérés par les juges administratifs et judiciaires, où par la préfecture elle-même.

Régime dérogatoire et pratiques illégales
Il y a 3 niveaux de discriminations pour Mayotte : le droit d’exception qui est régi par le CESEDA (code d’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) comme pour l’ensemble de la France, le régime dérogatoire qui est propre à Mayotte qui diminuent les droits des étranger·es et des Mahorais .e.s (régime dérogatoire article 73 de la constitution) et viennent se rajouter les pratiques illégales de l’administration

Pratiques illégales ordinaires de l’administration
La loi interdit l’enfermement administratif des mineurs non accompagnés et leur expulsion.
– Tous les jours, des mineurs non-accompagnés sont placés au CRA comme majeurs après que l’administration leur attribue une date fictive de naissance et considère les actes de naissance des comoriens comme faux ou falsifiés.
– Toutes les semaines, d’autres mineurs sont rattachés arbitrairement à un tiers lors des interpellations maritimes et terrestres, pour permettre leur rétention et leur expulsion.
– De plus en plus de femmes sortant de la maternité sont enfermées au CRA avec leur nourrisson. En 2020 un nourrisson a été enlevé à sa mère qui venait d’être arrêtée et donné à une passante qui l’a finalement déposé devant le CRA (rapport rétention Cimade).
– Régulièrement des mineurs français en possession d’une preuve de leur nationalité, sont placés en rétention pour les expulser illégalement avec leur parent étranger.
– La préfecture n’applique pas l’effet suspensif des référés liberté, pourtant inscrit dans la loi (qui bloquent normalement l’expulsion jusqu’à décision du juge)
– La préfecture ne respecte pas les injonctions au retour du juge des référés (quand il enjoint l’État à ramener sur le territoire des personnes expulsées illégalement) et préfère payer les amendes qui en découlent, ce qui rend les expulsions expéditives sans aucun recours effectif.
– Le greffe du CRA expulse des personnes malgré les mises en attente de la préfecture ou les décisions du TA. Un retard de 5 ans accumulé par la préfecture dans les dossiers qui met les personnes en situations irrégulières. Il arrive donc fréquemment que des personnes françaises ou ayant un titre de séjour ou des demandeurs d’asile se retrouvent au CRA

Droit dérogatoire
Le CESEDA, code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile est déjà un code d’exception. Le droit des étrangers pour Mayotte est dérogatoire de ce droit général des étrangers : il y a des spécificités pour Mayotte qui diminuent les droits des étrangers et donc des comoriens.
Ce régime dérogatoire est un héritage de la colonisation : la constitution de 1958.
– Il réduit  le droit du sol, le droit à la régularisation, le droit d’asile et le droit à l’obtention du DCEM, Document de Circulation pour Étranger Mineur.
– Il n’y a pas d’Aide Médicale de l’État (AME) à Mayotte ni  d’accès aux soins pour les sans-papiers.
– Concernant les LRA, le CESEDA stipule un certain nombre d’équipements mais pas pour Mayotte. Le CRA ne suffisant pas en capacité à l’enfermement, création de LRA. en 2020 et 2021, les arrêtés de création de LRA sont quotidiens ou quasi quotidiens, et transforment en LRA pour une journée un local, une salle. Les personnes enfermées en LRA sont privées d’accès à leur droit : accès impossible à une association, un conseil voire un téléphone. Beaucoup de parents d’enfants français ont été expulsés illégalement depuis des LRA.

Inégalités des droits
Le régime dérogatoire permet l’inégalité des mahorais français par rapport aux français de métropole. Les droits sociaux des mahorais sont très inférieurs à ceux des habitants de la métropole ou des autres colonies.
– Le SMIC et le RSA sont bien inférieurs (actuellement 7,91€ au lieu de 10,48€ en métropole et autres DOM) (actuellement de 282€ au lieu de 565€ en métropole, inférieur de 50%)
– Il n’y a pas de Complémentaire santé solidarité à Mayotte

Inégalités et pauvreté
Plus de 90% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, sur une île où les prix sont plus élevés : le coût de la vie est élevé car la plupart des produits sont importés. Il y a surtout des inégalités de revenus en fonction de la couleur de la peau :  en moyenne les revenus sont de 200€ mensuels pour les étrangers, 300€ pour les français originaires de Mayotte, 1400€ pour les français non originaires de Mayotte. C’est typiquement une structure sociale inégalitaire issue de l’histoire coloniale. La grande majorité de la population vit dans des logements précaires ou insalubres, il s’agit souvent d’abris de fortune, sans accès à l’eau, à l’énergie et sans assainissement.
Les étranger.es, les comorien.nes essentiellement, sont pointés comme la source de tous les problèmes par l’État français et les élites mahoraises.

La chasse aux étrangers s’organise
Des milliers d’habitations sont détruites chaque année laissant les personnes à la rue. Depuis 2016, des collectifs se sont organisés pour déloger et agresser leurs voisins qui sont des étrangers avec ou sans papiers et qui habitent un terrain qu’ils louent. Ces collectifs ont été escortés par les flics. Depuis l’État a pris le relai de ces meutes xénophobes en démantelant lui-même les quartiers pauvres. Les personnes construisent des bangas sur des terrains et ensuite la préfecture décide que tout un quartier est insalubre et vient le détruire sans respecter évidemment la Loi Elan qui veut qu’on reloge les personnes.

Pourquoi l’État français tient tant à conserver Mayotte ?
Il s’agit d’enjeux économiques et géostratégiques : Mayotte est sur la route du Cap par laquelle est acheminée le pétrole du moyen orient vers les pays occidentaux, le canal du Mozambique. Des découvertes d’importantes réserves de pétrole et de gaz dans le canal du Mozambique, c’est à dire entre le Mozambique et Madagascar, conserver Mayotte permet également à la France d’agrandir sa zone économique exclusive en mer (1)

(1) : L’œuvre négative du colonialisme français à Mayotte : Un îlot de pauvreté dans un océan de misère

Rassemblement devant le CRA de Toulouse ce 18 décembre en solidarité avec les personnes enfermées, contre les frontières et les prisons

Ce dimanche, une vingtaine de personnes se sont rassemblées devant le centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu, à côté de l’aéroport, à l’occasion de la mobilisation nationale pour les droits des personnes sans papier et contre les politiques migratoires répressives de l’État français.
On voulait faire entendre notre solidarité avec les personnes qui y sont enfermées et qui subissent le racisme et les violences d’État et des flics qui les gardent. Encore la semaine dernière, des prisonniers du CRA ont dénoncé une énième fois l’agression de l’un d’eux par les agents de la PAF.

Et pendant ce temps, le ministre de l’intérieur Darmanin prépare une nouvelle loi anti-migrant·es qui prévoit encore plus de contrôles, d’enfermements et d’expulsions.

On a crié des slogans et passé de la musique. On a pu entendre les prisonniers crier en réponse à l’intérieur. Dans au moins un des secteurs, les personnes sont sorties dans la cour pour crier en réponse. Par téléphone, d’autres expliquaient que les flics essayaient de les faire rentrer dans les bâtiments pour ne pas qu’ils puissent nous entendre, ou les empêchaient de sortir dans les cours de promenade. Pendant ce temps, une dizaine de keufs à moitié équipés se rassemblaient à l’entrée du CRA pour nous surveiller. On est finalement reparti.es sans se faire inquiéter, et content.es d’avoir pu échanger par dessus les barbelés avec les prisonnier.es.

Continuons à manifester notre solidarité, multiplions les actions devant les CRA et les prisons ! À bas l’État, les flics et les frontières !
Ni prison, ni expulsion !