« J’avais une carte de 10 ans. J’ai obtenu le statut de réfugié en 2012. Ils l’ont enlevée il y a un mois »

Nous relayons ici le récit de K., soudanais qui avait le statut de réfugié depuis 2012 et qui a été enfermé au centre de rétention (CRA) de Bordeaux en août dernier. Pendant qu’il effectuait une peine de prison, la préfecture a décidé de lui infliger la double peine en lui retirant son titre de séjour et donc son statut de réfugié afin de l’expulser vers le Soudan. A sa sortie, il a  été directement enfermé au CRA. Là, il s’est fait tabasser par les flics qui au final ont porté plainte contre lui, le procédé habituel qui sert à les couvrir, à obtenir des primes et à dissuader celleux qui oseraient résister à leurs provocations et leurs humiliations.

Contrairement à ce qu’a laissé entendre G. Darmanin en affirmant rétablir une forme de “double peine”, par une loi qui lèverait les réserves législatives, la double peine n’a jamais été supprimée. Bien au contraire, les liens entre les CRA et la prison se renforcent ces dernières années à cause de la collaboration croissante des préfectures et de l’administration pénitentiaire (AP) qui favorise la multiplication des passages entre ces lieux d’enfermement. Depuis 2017, le nombre de personnes enfermées dans les centres de rétention à leur sortie de prison a presque doublé. En 2019, sur l’ensemble du territoire, 14,5 % des personnes enfermées en CRA sortaient de prison et cette part montait à 25 % pour le CRA de Toulouse par exemple.

Sous prétexte de lutter contre le terrorisme, le ministère de l’intérieur rappelle régulièrement aux préfectures de renforcer les protocoles d’expulsion des « étrangers ayant commis des infractions graves ou représentant une menace grave pour l’ordre public ». Ainsi, pour les « catégories protégées » (parents d’un enfant français, etc), les préfectures utilisent cette notion particulièrement floue de « menace grave pour l’ordre public », même pour les petits délits, vols, conduite sans permis…

Le récit de K. :
« Ils m’ont vraiment violenté, j’ai jamais vu ça auparavant, je suis choqué. On est très très mal traités, pire que des animaux. Il y a des détenus qui retiennent leur colère mais moi au bout d’un moment je peux plus. Il ya une équipe de policiers qui provoquent tout le monde. Y’en a qui ne prennent pas leur repas pour pas les voir. Ils sont à bout les détenus, je vois sur leurs visages.

Ils m’ont frappé parce qu’ils provoquent. Il y a une équipe, c’est des fachos ou je sais pas quoi. Au petit déjeuner, la policière s’est mise volontairement sur mon passage et je lui ai dit « bougez, bouge », elle attendait ça. Ensuite je me suis installé avec mon plateau de repas, je voulais pas rentrer dans son délire, elle vient derrière moi elle me provoque encore et comme quoi je lui ai dit ferme ta gueule, j’ai jamais dit ça. Elle a mis sa main sur mon épaule et a elle a serré, je lui ai dit « arrêtez avec votre main et parlez avec votre bouche, ne me touchez pas, vous me faites mal ».
Son collègue intervient et m’attrape par le coup devant tout le monde et devant la caméra aussi. Il m’a dit « ferme ta gueule et prend ton petit déjeuner ». Ensuite il m’a pris par le bras avec son collègue ils ont commencé à m’étrangler dans le couloir, à me donner des coups, ils m’ont trainé, ils ont fermé la porte et m’ont dit « ferme ta gueule bâtard », des coups partout sauf le visage, Ils m’ont tapé sur les mollets, sur le torse, ça m’a coupé la respiration.
Je leur ai « vous voulez quoi ? Me menotter ? », j’ai donné mes mains, Il prend mon bras, il a failli me déboiter l’épaule, ils me tapent dans tous les sens, contre les murs, y’avait du sang partout. Ils ont serré les menottes. Au final ils m’ont ramené à l’accueil. Ils m’ont encore mis des coups devant les caméras, ils disaient « assieds-toi bâtard ».
Ils m’ont traité comme une bête. Liberté fraternité égalité ça nous concerne pas, ça ne s’applique pas à moi.

J’ai demandé qu’ils me desserrent les menottes. Ils ont serré encore plus fort. J’avais très mal. Celle qui m’a provoqué a fait croire à ses collègues qui sont dans le bureau que je lui ai fait un doigt d’honneur.

Après j’ai été auditionné par d’autres flics au 3ème étage*, ils m’ont posé des questions. Finalement ils m’ont pas présenté devant le juge, j’avais des bleus partout, mon poignée était déchiré. J’ai une plaie sur le cou. Les flics ont porté plainte contre moi c’est pour ça qu’ils m’ont auditionné, c’est ignoble.

La dame de la Cimade m’a dit « vous n’êtes pas le premier ». Y’a d’autres policiers, ça va, ils font juste leur travail pas comme les autres qui m’ont torturé. Les deux filles, elles provoquent, elles se mettent en face de nous quand on mange, elles nous regardent droit dans les yeux. On voit la haine sur leur visage.

J’ai subi la même chose en prison avec les matons, c’est eux qui m’ont mis cette étiquette de radicalisé. C’est pour ça qu’ils m’ont retiré mon titre de séjour.

Même le directeur de prison me l’a dit « je vais te pourrir la vie ». C’était à la maison d’arrêt de Rochefort avant mon transfert car ça s’est mal passé là-bas. Il m’a mis cette étiquette comme quoi j’ai la haine contre la France, je suis un terroriste. Ils veulent pourrir la vie des gens. Je suis pas contre les français. Je mets pas la faute sur toute la France, sur tout le peuple.

Même mon avocate m’a dit « la juge vous a très mal parlé vous trouvez pas ? Elle s’est mal comportée avec vous. Elle a attendu que vous vous énervez pour vous mettre en prison ». Je suis impulsif, je dis ce que je ressens, je peux pas garder les choses. Ils se sont basés sur rien pour dire que je suis radicalisé, c’est dans mon dossier.

J’avais une carte de 10 ans. J’ai obtenu l’asile en 2012, statut de réfugié. Ils l’ont enlevée il y a un mois.

Ma famille est dans un camp de réfugiés entre le Soudan et le Tchad à la frontière. J’ai réussi à venir ici. Je me suis échappé du soudan du nord du Darfour. Mon frère s’est fait tué devant mes yeux. J’ai pris aussi des coups de machette et c’est mon grand frère qui m’a sauvé. On était pas loin de la maison, tout le monde court dans tous les sens. On est allé en Lybie. Mon frère a été emprisonné là-bas et moi je suis parti avec une équipe, j’avais 13, 14 ans, j’ai suivi des gens. D’abord en Égypte après un an en Turquie, deux ans en Grèce et après l’Italie 6 mois et en France en 2010.

Depuis que je suis en France, je suis pas un fouteur de merde, j’ai tout fait pour réussir, j’ai fait de la prison, j’ai fait une erreur, c’est tout.

Ça sert à rien que je reste ici, on peut lutter mais on est ciblé, les arabes, les renois, les musulmans.

J’aimerais bien parler de ça, ils savent même ce que c’est l’islam. Le mot islam ça veut dire la paix. Ils savent rien ici. Un verset dit qu’on est tous égaux. Les gens qui ont du racisme dans leur cœur pour moi ils sont vraiment malades et ils pourrissent la vie de tout le monde.

Ils vont m’expulser, ils ont pris rdv avec mon consulat. Je veux pas les voir, c’est mes ennemis. Le consulat m’a reconnu, c’est un laisser-passer. Ils m’ont demandé le nom de mon père. J’ai dit ok, j’ai un minimum de fierté, je vais pas rester ici, je vais rentrer chez moi. L’avocate ne sais pas ce qu’il va se passer, la Cimade non plus. »

 

* Le centre de rétention administrative de Bordeaux est situé au sous-sol du commissariat. Il est confiné, très exigu avec pour seule source de lumière naturelle un puit de jour au cœur de la courette grillagée de 20m².

« Ils veulent nous laisser ici, c’est raciste, c’est tout. »

Le centre de rétention administrative (CRA) de Toulouse est comme toujours bien rempli. Les prisonnier.e.s témoignent depuis les différents secteurs du centre pour faire connaître les conditions d’enfermement et les acharnements racistes de l’État qu’iels subissent.
Des algérien.ne.s sont enfermé.e.s alors qu’il n’y pas d’expulsions vers l’Algérie qui ne délivre pas de laissez-passer depuis la fermeture de ses frontières en raison du Covid.

 

J : « Y’a pas d’avion pour les algériens et rien que dans ce secteur on est plusieurs, ils ont pris 28 jours et 60 jours, Y’a plein d’algériens dans le centre pour rien… Je suis marié et père d’une fille de 3 ans, elles sont françaises et je suis en France depuis 2016.  Ils veulent nous laisser ici, c’est raciste c’est tout. »

L : « On nous traite comme des chiens ici, les policiers ils font des gestes bizarres, on veut se couper les cheveux, c’est eux qui choisissent qui va se couper les cheveux. Tout est comme ça, le manger est dégueulasse, on mange du pain avec de la mayonnaise, on a faim.

Les gens ici sont loin de leurs enfants, y’a des pères de famille ici, pour les visites avec l’enfant il faut faire une demande, il faut demander à la Cimade. On dort pas de la nuit ici, on a des problèmes dans la tête, après ils viennent rajouter des problèmes, des propos racistes. On a parlé à la cheffe, on verra si ça va changer.
On demande qu’ils arrêtent de nous chauffer la tête, il faut pas fatiguer les gens ici.  Ils nous prennent la tête avec tout. Il faut qu’ils laissent les enfants rentrer.

Y’a des caméras ici vous pouvez demander à voir les caméras pour voir ce qui se passe. Je veux pas en rajouter, je dois régler ma situation. »

Plusieurs personnes d’un même secteur :
« Ici c’est pire que la prison. La liberté, c’est un truc énorme. Ils n’arrivent pas à expulser, mais avec la nouvelle loi maintenant on peut faire 90 jours, c’est pas bien ça. La plupart de nous, on vient de loin, Lyon, Marseille, on peut pas avoir de visites. »

« Nous, les musulmans, on mange végétarien. La dernière fois, ils n’ont pas voulu me donner mon argent pour manger dans la cellule. Mais même un truc sucré, dehors ça coûte 30ct, ici c’est 1€. »

« Ils sont racistes, la police ici ils ne respectent pas »

« Quand je suis venu ici, ils m’ont mis 6 jours au cachot, tu sors pas, enfermé 24h sur 24, tu sors juste pour aller aux toilettes deux fois. »

« Ici c’est dangereux ! Viens ici vérifier, ici c’est dangereux, ici il n’y a pas de liberté. Même le manger, ils donnent de la merde. Il y a des rats, il fait froid. Ils disent non pour la couverture. »

« Ici on est comme des animaux. 60 jours c’est long, on n’a pas de draps, pas de couverture. La dernière fois je voulais une couverture en plus, il m’a dit non. Pas de vêtements, pas d’argent, quand on va voir le juge. Moi j’étais en prison, à Rodez, c’était mieux pour rester. Il n’y a pas de cigarette. »

M : « Je n’ai pas mangé depuis 4 jours, c’est vraiment pas possible de manger, ici c’est pire que la prison. En prison ils te donnent la gamelle c’est mieux que le manger là. Il y a la machine, tu peux prendre du coca, des biscuits ou des chips mais au bout de 3 jours la machine y’a plus, les gens achètent.

Il y a des policiers qui nous cherchent pour tomber dans leur jeu, quand je suis revenue du parloir avec mon frère, la policière me parle mais je comprends pas, je lui dis je comprends pas, elle me dit, me prends pas pour une con. Elle me dit je rigole pas avec toi, je lui dis j’ai rien fait, j’ai fait ce que tu m’as dit. J’ai rien dit après pour qu’elle me laisse tranquille. L’autre fois un flic m’a dit plusieurs fois, toi tu vas partir à Lagos. Je sais pas pourquoi il me dit ça. »

S : « Ici c’est pire que la prison. La liberté, c’est un truc énorme. Ils n’arrivent pas à expulser, mais avec la nouvelle loi maintenant on peut faire 90 jours, c’est pas bien ça ». « Si tu peux, la plupart de nous, on vient de loin, Lyon, Marseille, on peut pas avoir de visites. »

E : « Je suis de Lille, je suis venu travailler dans les vendanges à Montauban. Ils m’ont mis 2 jours en garde à vue et après ici. J’étais venu dans le sud pour travailler un mois. ça fait 11 ans que je suis en France. J’ai vu une femme guinéenne qui a fait 90 jours ici…
ça fait 35 jours que je suis ici, un mois ici c’est comme 6 mois en prison. La bouffe est dégueulasse, le petit-déjeuner à 7h, si tu le rates, tu attends jusqu’à 11h30 et ensuite le diner à 19h, entre temps rien, que des saletés dans les distributeurs, c’est pas de la nourriture ça, on mange des bonbons nous ?

On dépense 10 euros par jour, y’a pas de chauffage. Tu peux pas dormir le soir, tu es toujours en stress y’a pas de droits ici. Y’en a qui crient le soir, les gens deviennent fous.

Y’en a qui ont des cartes de séjour, un a fait 12 ans de prison et ils le ramènent ici, ça suffit pas 12 ans de prison ? Sa vie est ici, il a sa famille, une promesse d’embauche… Avec les élections ça tombe sur nous les étrangers »

A :  « Tout le monde, il prend des cachets pour dormir. Et ça c’est injuste. Quand tu as des problèmes pour dormir, le médecin il donne des trucs, normal, comme ça.
Moi je lui dis, vous êtes généraliste. Dans mon cas il faut des spécialistes. Mais on est tellement enfermés, ils veulent pas. Un des médecins, il m’a dit « on n’est pas là pour ça ».

C : « Je suis arrivé en france mineur à 14 ans, j’étais scolarisé à Montauban, j’ai passé un CAP,  j’ai eu des papiers et le  31 août dernier, ma carte était finie, ils m’ont donné rdv le 14 et le jour où je vais à la préfecture pour le rdv, je suis arrêté à la gare de Montauban, ils m’ont menotté et m’ont emmené au comissariat 3 heures et ensuite ici au centre. Et je découvre que j’ai une OQTF.
Le juge m’a donné 28 jours une première fois puis encore 30 jours.

Mon ambassade a refusé de donner le laissez-passer, la consule ne comprend pas pourquoi je dois être expulsé.

Alors ils ont dit ils vont demander à la Centrafrique, au Sénégal ou à la Côte d’Ivoire de m’accepter. Je leur ai dit vous avez mes papiers guinéens, la photocopie du passeport, l’extrait de décès guinéen de mes parents je vais pas rentrer dans un pays qui n’est pas le mien….

J’ai travaillé à Toulouse, j’ai fait les travaux à l’université Paul Sabatier, j’ai tous les contrats de travail. Je leur ai dit laissez moi partir si vous voulez m’expulser, je vais aller dans un autre pays mais ne me laissez pas enfermé ici.

ça sert à rien que je combatte ici pour rien si dans 5 ans je me retrouve encore comme ça, c’est pas la loi ça.

A Toulouse c’est pas net pour nous les noirs, on donne des certificats, des attestations, des contrats pour rien, ils sont racistes contre les noirs ici. »

Journée de lutte contre les violences d’État

Journée d’action samedi 20 mars 2021 pour protester contre les violences policières, carcérales, judiciaires, pénitentiaires et islamophobes.

Dans le cadre des journées internationales contre les violences policières (15 mars), pour l’élimination des discriminations raciales (21 mars) et suite à l’appel national lancé par des familles de victimes et des blessés, le Comité Vérité et Justice 31, la Case de Santé, Grisélidis, le Jeko, Toulouse Anti Cra et Révolte Décoloniale appellent à se rassembler à Toulouse le samedi 20 mars 2021 afin de protester contre les violences policières, carcérales, judiciaires, pénitentiaires et islamophobes.

Rendez-vous à partir de 13h12 au métro Capitole.

À partir de 15h30, retrouvons-nous à la Case de Santé, place Arnaud Bernard, pour se rencontrer, discuter et envisager la suite de la mobilisation ensemble.

Vérité et justice pour toutes les victimes des violences d’État et du racisme structurel.