Au CRA de Toulouse : « Si tu veux pas partir, ils mettent un casque sur la tête et du scotch sur tout le corps et tout le monde te voit. »

09 février 2020

D. a grandi dans un orphelinat à Alep, il a quitté la Syrie à l’âge de 13 ans et a vécu et travaillé dans différents pays, notamment l’Égypte. Pour atteindre l’Europe il est passé par la Libye puis le Maroc, l’Espagne et enfin la France. Il a vécu à Toulouse, Nice et Marseille. Il travaillait sur des marchés à Toulouse. Il s’est fait arrêter à Bellefontaine. Il a été enfermé au CRA de Toulouse après sa levée d’écrou. Il a passé 4 mois à Seysses. Il évoque les violences de matons à l’intérieur de la prison.

« Oui, ici au CRA, il y a des violences, j’ai entendu des gens qui crient, les policiers ils nous insultent tous les jours, ils boivent de l’alcool, on voit leur table avec les bouteilles et ils mettent de la musique, ils prennent de la coke, je reconnais quand quelqu’un prend de la coke, ça se voit.

Oui, il y a des gens au mitard en ce moment mais je sais pas qui c’est.

On mange rien, c’est dégueulasse, c’est froid, il y a des plats périmés. Il y a 6 personnes au secteur D qui veulent pas manger, ils prennent un café le matin, c’est tout, ils mangent rien.

Je prends pas de médicaments pour dormir, ici, ils en donnent beaucoup mais après quand tu sors comment tu fais si tu n’as pas ces médicaments…

À côté du bureau de la Cimade, il y a une feuille pour les expulsions mais on on ne sait pas quand on est expulsé, ils préviennent pas, on peut pas prendre nos affaires… Si tu veux pas partir, ils mettent un casque sur la tête et du scotch sur tout le corps et tout le monde te voit. »

Au CRA de Toulouse, « les policiers nous insultent, ils nous poussent pour qu’on s’énerve »

01 février 2020

R. est enfermé depuis plus de 50 jours :

« C’est pire que tout, ici c’est des fous, c’est la hogra, les policiers nous insultent, ils nous poussent pour qu’on s’énerve, même devant les caméras, ils veulent qu’on s’énerve pour nous emmener à Seysses. Ils nous détestent nous les algériens. Ils font la fête entre eux, ils mettent de la musique dans les haut-parleurs, il y en a qui sont en couple, ça se voit, ils boivent de l’alcool.

Même en prison on peut avoir la nourriture dans la chambre, ici ils veulent pas. La bouffe est dégueulasse, pas halal, les gens maigrissent beaucoup. C’est très très sale, ça pue, ils font pas le ménage. Je me lave sans shampoing, ils en donnent pas. »

Il n’a pas voulu prendre les psychotropes que voulait donner le médecin.

R. est allé voir la Cimade pour se plaindre du comportement de la police mais il ne s’est rien passé. Il avait vécu 2 ans en Allemagne, il a essayé la France mais pour lui c’est pire. Il va essayer de partir en Espagne et pourquoi pas en Algérie.

Violences policières au Centre de Rétention Administrative (CRA) de Toulouse

31 janvier 2020

Une personne, qui depuis a été libérée du CRA, témoigne des violences policières qui s’y déroulent et raconte une tentative de suicide.

Les CRA sont des prisons pour les personnes qui n’ont pas les bons papiers et que l’État veut expulser. Cet enfermement peut durer jusqu’à 90 jours, le temps que se donne l’administration pour l’expulsion. Mais cela concerne aussi celles et ceux qui sont “difficilement éloignables” pour reprendre la novlangue institutionnelle. C’est le cas de J. qui est au CRA de Toulouse pour la 4ème fois, il ne peut pas être expulsé. Il est arrivé en Europe à l’âge de 8 ans, en France vers 14 ans et a vécu entre Toulouse et Perpignan.

Il fait partie de ces personnes sur lesquelles l’administration s’acharne, qui ne sont pas reconnus par leurs pays d’origine et à qui l’État français ne veut pas donner de papiers. Ils font ainsi de longs séjours entre CRA et prison, prison suite au non respect d’IRTF ou d’ITF [1].

J. a subi des violences policières. Le schéma est classique : provocations de la part du flic puis agressions physiques. “Je sais pourquoi ils font ça, ils veulent avoir des jours de congés, c’est comme ça.” Il n’est pas le premier à le dire. La gestion des situations violentes est l’occasion pour les flics d’avoir en contrepartie des temps de repos supplémentaires.

Le flic insulte J., qui lui demande pourquoi il l’agresse. En guise de réponse, il le pousse. J. lui fait remarquer qu’il y a la caméra et qu’il ira se plaindre. A ce moment, le flic le soulève du sol par le col et le cogne violemment à plusieurs reprises contre le mur : “je m’en bats les couilles de la caméra, tu la vois, là, la caméra ? Regarde-la bien, qu’est-ce que tu crois qu’il va se passer ?
Il a insulté ma mère qui est morte, c’est trop moche pour répéter ce qu’il a dit, je peux pas parler comme lui
Je suis resté les mains derrière le dos pour qu’ils voient à la caméra que j’ai rien fait, que je l’ai pas touché, que c’est lui qui m’a frappé. Et là, il m’a poussé dans les escaliers, je suis tombé, je suis blessé à la tête, je suis allé voir la Cimade pour porter plainte.

Comment les personnes enfermées et sans papiers peuvent-elles se défendre face aux violences policières et autres maltraitances à l’intérieur du CRA ? Un dépôt de plainte aboutirait-il à quelque chose, à une enquête IGPN et une condamnation des flics ? On peut rêver… Il y a aussi le risque de représailles si le plaignant est encore au CRA. J. a finalement choisi de ne pas porter plainte, il craint d’ailleurs d’être déferré vers la prison de Seysses. “Je dois rester tranquille, penser à mon avenir, ils me cherchent peut-être pour que je retourne en prison”. Il a bien raison de s’en inquiéter, il peut se retrouver en garde à vue suite à une embrouille et passer en comparution immédiate juste avant l’expiration de son délai de rétention. Il y a une recrudescence du nombre de personnes déférées du CRA vers la prison ces derniers mois à Toulouse. C’est une tendance qui se retrouve aussi sur tout le territoire national.

On assiste à une augmentation des violences policières au CRA de Toulouse, tandis que de nouvelles équipes sont arrivées pour agrandir les effectifs de la PAF. Comme quoi, encore une fois, les violences policières ne sont pas un « dysfonctionnement » dû au manque de personnel ou aux conditions de travail, comme on peut l’entendre souvent, mais relèvent bien d’un système où les ardeurs racistes et brutales sont de mises.

J. a également été témoin d’une tentative de suicide en décembre. Il s’agissait d’un jeune qui a depuis été expulsé. Il a vu depuis le couloir le camarade dans sa chambre qui essayait de se pendre aux barreaux de la fenêtre, il avait fabriqué une corde avec des lambeaux de draps découpés puis tressés. J. a appelé au secours. Le camarade a été mis à l’isolement 5 jours. Quand il est revenu du mitard, il a raconté à J. qu’il a eu des injections. “Après il avait peur de tout, il tremblait tout le temps, il avait même peur de l’eau”. Ainsi, le « mode thérapeutique » choisi pour une personne en situation de souffrance psychique et qui a besoin de soins est la mise à l’isolement sécuritaire prolongé, avec ce qui semble être des injections non consenties.

Au CRA, il existe des chambres d’isolement sanitaire, censées être meublées (table, chaise et TV) et des chambres d’isolement sécuritaire, dépourvues de mobilier hormis une paillasse fixée au sol et un combiné toilette/douche. Selon le règlement, les mises à l’isolement sécuritaire doivent être les plus courtes possibles, ne doivent pas dépasser 24h et ne peuvent pas servir de mesure disciplinaire. Or les personnes qui font des tentatives de suicide ou se mutilent sont isolées dans ces pièces, parfois attachées pour de longues durées. L’État n’en est plus à une violence près contre les étranger·es. Comme disait l’autre jour un prisonnier du CRA, “même leurs chiens sont mieux traités que nous

[1] Interdiction de Retour sur le Territoire Français – Interdiction de Territoire Français