Témoignages de personnes enfermées au centre de rétention de Toulouse Cornebarrieu

Nous relayons les témoignages de personnes enfermées au centre de rétention de Toulouse Cornebarrieu rencontrées lors de visites au parloir ces dernières semaines.
La situation pour les Algérien.nes est toujours la même, les préfectures n'obtiennent pas de laissez-passer de l'Algérie pour les expulser et les juges des libertés et de la détention maintiennent quand même les personnes en CRA.
Les conditions de vie sont, comme toujours, indignes et déshumanisantes : racisme, violences policières, mauvaise nourriture, les prisonniers ont faim, absence de soins médicaux, de nombreuses personnes malades ou souffrant de troubles psychiques sont maintenues enfermées.
L’objectif de l’État est d’enfermer systématiquement les sortants de prison et d’appliquer la double peine. Pour rappel, cela consiste à enfermer au CRA puis à déporter les personnes alors qu’elles ont purgé leur peine de prison.

Témoignage de L. H :
L. H a refusé un premier vol pour le Maroc et pour résister au second vol programmé, il a avalé des piles et des pièces de monnaies. Il a perdu connaissance et a été emmené à l’hôpital pour un lavage d’estomac. A la suite de son hospitalisation, il a été mis directement dans l’avion.
Nous avions parlé avec L. H. entre les 2 vols de déportation :
« Je suis arrivé en France à 11 ans… J’ai fait 5 ans de prison, ma carte séjour a périmé pendant la prison et le renouvellement n’a pas été autorisé. Ils m’ont mis une OQTF et j’ai été emmené à l’aéroport direct. Ça m’a choqué, je m’y attendais vraiment pas. J’ai grandit ici – je voulais ressortir pour retrouver ma famille qui est là, on m’envoie à l’aéroport pour aller au Maroc directement. Ça fait des années, j’ai personne au Maroc. Je suis en train de faire toutes les démarches, j’ai pris un avocat et tout. Je préfère crever que partir au Maroc, je vous jure, j’ai même eu des idées bizarres qui me sont passées par la tête. J’ai toute ma famille qui est ici, du jour au lendemain on veut m’envoyer au Maroc. J’ai déjà envoyé un dossier au juge, il l’a pas encore lu, entre temps on m’a déjà pris un billet d’avion. On m’éloigne de ma famille. Ma faute je l’ai payée, mais là c’est mon avenir, je suis au bord du suicide, la vérité, sincèrement, j’ai l’impression que j’existe même plus, j’ai l’impression qu’y a plus de loi. Je travaille depuis que j’ai 16 ans, j’ai tous les documents, depuis mes 18 ans j’ai mon premier CDI. On dirait c’est fait exprès, même si on tient le coup, à la fin ça passe, y’a plus de quoi tenir. J’ai ma femme qui est dehors elle a besoin de moi, elle est enceinte elle va bientôt accoucher. Je suis épuisé, on me ramène au CRA je suis encore plus épuisé. Ma femme elle prend 2 jours rien que pour venir me voir elle vient de Marseille pour me voir, ça coûte 300-400 euros rien que pour des allers retours. Ma mère pareil, elle habite actuellement à Montpellier, je suis loin de tout le monde c’est une galère. J’ai pas besoin de gâteaux, de bonbons, j’ai besoin de ma liberté j’ai besoin de retrouver ma famille au plus vite. J’attire pas l’attention j’ai l’impression. Il faut se faire du mal pour attirer l’attention vous voyez ce que je veux dire ? On me traite de la pire des manières. »

Témoignage de B. K : 
« Il y avait un Palestinien avec nous dans le secteur A. Il y a surtout des Algériens, quelques marocains et ce Palestinien, il est sorti, il est resté que 4 jours. Il a passé 2 ans à Seysses parce qu’il a fait une vidéo où il a parlé d’Israël. Il est resté 2 ans à Seysses dans le secteur des gens dangereux. Ils sont allés le chercher chez lui, ils ont fait une perquisition chez lui. 
À Toulouse c’est pire qu’à Marseille le centre, ici les flics la police ils sont méchants ils tapent les gens au cachot pour pas qu’on les voit. L’autre jour quelqu’un ne voulait pas manger, le flic lui a dit mange, il a dit non c’est une gamelle, le flic lui a dit « tu es un chien c’est pour toi ». Le gars, il a dit quelque chose pour se défendre, le flic l’a emmené au cachot pour le frapper. J’ai remarqué et j’ai fait attention, c’est dommage on a pas de téléphone pour prendre des photos, les plats qu’on mange pas ils les remettent le lendemain même s’ils sont périmés. Au secteur A, il y a que des Algériens et il y a pas de laissez-passer de l’Algérie, on est là pour rien. Dans ce secteur il y a pas la télé, il y a rien il y a pas de jeu, il y a rien, la bouffe est dégueulasse. Au centre de Nice, un algérien a été attaché et scotché pour être expulsé avec une escorte dans l’avion quand il est arrivé à l’aéroport en Algérie il était blessé et ses vêtements étaient déchirés. La police algérienne a demandé pourquoi il était comme ça, il a dit qu’il ne voulait pas être expulsé, la police a demandé à renvoyer le gars en France. »

Témoignage de M. K :
« Moi c’est la deuxième fois qu’ils m’ont envoyé au CRA, j’ai un garçon français de 4 ans. Je suis arrivé en 2002 en France, j’ai fait la maternelle, le collège, j’ai tout fait. Sauf que je suis rentré 14 ans en prison, tu vois le délire, c’est mon casier, il est sale. Et de là, l’année dernière je suis venu, je suis venu ici, j’ai fait trois mois pleins. J’ai rien à faire ici, je suis arrivé par visa par regroupement familial pour me faire une opération, j’avais un kyste à l’œil. Et voilà, j’ai fait mes papiers, mais j’ai grandi, je suis rentré dans la délinquance, en fait. Mon titre de séjour, il a périmé en 2024, j’étais en prison, j’ai pas pu le refaire. Je suis sorti, ils m’ont envoyé au centre, j’ai fait trois mois. Ils savent que je suis assigné à résidence chez ma mère, à Empalot. Ça fait 15-20 ans là-bas que c’est toujours la même adresse. Je suis sorti, j’ai signé mercredi, vendredi, mercredi, vendredi pendant un mois et demi. Jusqu’à que un soir, je me suis endormi au volant dans ma voiture, le moteur allumé. Et ils sont venus pour bruit sonore parce que j’ai un Golf R, il fait du bruit quand tu le laisses en mode parking. Et moi ça faisait deux jours que j’avais pas dormi, je m’étais endormi au volant, mais garé, devant chez moi. Ils sont venus, ils m’ont dit conduite sans permis, pas conduite sans permis, alcoolémie, pas alcoolémie. J’avais un petit peu de liquide sur moi. Et bref, ils m’ont pris en garde à vue, moi j’ai cru que j’allais sortir. Je me suis retrouvé avec 10 mois de prison, parce que je dormais dans ma voiture, le moteur allumé. Je suis sorti le 6 septembre. Et depuis le 6 septembre, je suis là au CRA. Lundi, ça fait un mois. Mais moi, je le sais qu’ils vont me garder 90 jours, de toute façon. C’est ma deuxième fois au CRA. Je suis Algérien, c’est pour ça que je t’ai dit moi c’est 3 mois c’est juste pour me faire mal aux fesses sans être impoli, ils savent très bien qu’ils peuvent rien faire de moi. Moi je suis né à l’ancienne chez ma grand-mère, chez elle. Je suis même pas né à l’hôpital ça veut dire le consulat d’Algérie ils me connaissent pas. Je suis jamais allé en vacances en Algérie. Je suis jamais allé nulle part, je suis jamais sorti de la France, tu vois ce que je veux dire ? Ça veut dire, y a personne qui me connaît de nulle part, y a que la France qui me connaît. Tu veux m’envoyer en Algérie ? Ok, je veux bien. Mais tu veux m’envoyer chez qui, s’il te plaît ? Franchement, tu veux que je te dise quoi, moi ? Je sais pas. C’est invivable, y a pas de frigo, y a rien. T’as le droit de faire rentrer 5 articles, avant on avait le droit de faire rentrer un sac entier, tu vois ? Et ils ont fait exprès de nous interdire les boissons parce qu’il y a des boissons, tu peux les acheter à la machine, mais la petite bouteille de coca, elle coûte 2,50 €. Tu vois ce que je veux dire ? C’est parce qu’il font un magnifique bénéfice, c’est pour ça ils ont interdit les bouteilles, […] La police je te mens pas, il y a des bons et des mauvais partout, comme dans le SAMU, comme dans les pompiers, comme dans tout, tu vois.” 

Témoignage de H. B :
« J’ai été arrêté à Sète alors que je venais en France pour récupérer des papiers pour faire ma demande de renouvellement de passeport en Espagne. Je sais déjà ce qu’ils vont faire moi – parce que je me renseigne sur internet, et avec mon vécu ! Avant que je parle ils vont me rajouter un mois de plus, c’est déjà décidé. Je peux pas accéder à mon Gmail pour envoyer les papiers en Espagne. J’ai rien, ni cigarettes, ni vêtements, tout est mouillé, il fait froid. C’est Alcatraz ici, ils disent retenu mais c’est de la détention. Au tribunal on se met debout, on parle dans le vide, ça a été programmé, ils croient qu’on est bêtes. Il y a beaucoup de jeunes, moi j’ai 41 ans. Ils m’ont relâché, je suis allé à la gare pour quitter la France, la PAF m’a contrôlé et il m’ont ramené, ils veulent nous expulser mais ils nous laissent même pas partir ! La nourriture sincèrement c’est de la merde, il y a des trucs qui ont atteint la date de péremption, c’est végétarien il y a pas de viande, parfois du poisson entre guillemets. C’est Alcatraz faut voir comment c’est franchement. Pour nous les Algériens c’est difficile de refaire le passeport à cause de ce président de merde là. J’ai un asile en Espagne »

Si les préfectures et l’administration pénitentiaire collaborent depuis longtemps pour expulser les sortants de prison, la loi de janvier 2024 et la circulaire Retailleau d’octobre 2024 généralisent la double peine, facilitée notamment par « la menace pour l’ordre public ». La circulaire Retailleau appelle les préfectures à retirer les titres de séjour des personnes qui représentent une « menace » et à distribuer des arrêtés d’expulsion et des OQTF. Il n’existe aucune définition de la « menace pour l’ordre public », c’est laissé à l’appréciation de l’administration qui l’utilise très largement, par exemple pour des délits mineurs, comme le vol ou la mendicité. « La menace grave pour l’ordre public » permet, elle, de supprimer toutes les protections contre l’expulsion hormis le fait d’être mineur. Ainsi, les personnes ayant des enfants ou étant en France depuis l’enfance peuvent être expulsées si la préfecture a décidé de façon totalement arbitraire que ces personnes représentent une menace pour la société française.