Témoignage au CRA de Toulouse pendant le Covid-19

01 avril 2020

« Je suis stressé, j’arrive pas à dormir, j’ai mal au dos, j’ai peur la police qu’elle ramène quelque chose ici. Le médecin n’est pas là, j’ai très mal au dos, la tête elle éclate, j’ai demandé doliprane pour la tête, y a pas.

C’est compliqué avec la police. C’est bizarre. Il n’y a rien du tout, ni masques, ni gants, ni gel pour laver les mains, rien du tout. Les gens viennent de dehors, c’est pas comme nous ici, c’est pas une bonne idée, c’est pas protégé. On a trois doses de savon, chacun, par semaine. On mange tous les secteurs ensemble, mais chacun a sa table. Mais on est deux par chambre, comme d’habitude. L’OFII il est plus là, la Cimade ça fait 15 jours qu’il est plus là. A midi l’infirmier vient et il donne les médicaments pour dormir, et après il se barre, après tu le vois plus. Demain j’aurai une chance de sortir ou pas ? Normalement ils ont pas de droits de me garder moi ici, parce que les frontières elles sont fermées, y a pas d’aéroports, y a pas d’avions, y a rien du tout. Les juges ils savent rien de ce qu’il se passe ici. Y a pas de tribunal, tout est en visio, même moi j’ai pas pu parler à l’audience. »

Témoignage collectif de la situation au CRA de Toulouse

05 mars 2020

Plusieurs personnes ont voulu témoigner collectivement de ce qu’elles subissent. On a d’abord eu Y qui sera déporté dimanche suite à un visa périmé. Il a besoin de vêtements pour arriver correctement habillé chez lui. « Ils m’ont contrôlé, mon visa est périmé, ils m’ont mis au CRA 8 jours. C’est la première fois qu’on me met des menottes, je comprends pas pourquoi ils les mettent dans le dos. Je suis enfermé pour un visa !« .

Puis B a pris la parole, il est enfermé depuis le 22 février. Il est sorti de Seysses et a été placé au CRA.

  • Il nous fait part d’un problème avec un policier en particulier qui pose problème : il touche les nouveaux arrivants au CRA, il s’agit d’agressions sexuelles selon les explications. « Il provoque pour nous envoyer en prison et on peut rien faire ». « Le policier fait ça devant tout le monde pour que tout le monde voit. » Ils vont essayer de relever son matricule.
  • La nourriture n’est pas halal, ils ne peuvent pas prendre de nourriture dans les chambres alors que le dîner est à 19h30, ils ont faim la nuit. Ils mangent des sandwichs à la mayonnaise. Ils sont nombreux à ne rien manger. Un des retenus a été opéré, il a un certificat médical de son opération, mais il ne mange rien non plus.
  • Il fait froid, il n’y a pas de chauffage, pas de shampoing.
  • Hier matin vers 8h, le visage d’un des camarades a gonflé « comme un ballon de foot », ils ne l’ont pas emmené à l’hôpital, ils ne sont venus qu’à 11h, ils lui ont donné du Dafalgan (paracétamol) et de l’Augmentin, un antibiotique pour ce qui semble être une grosse allergie (?) « Le médecin ne donne que du Doliprane et du Valium, il ne soigne pas, on a peur de mourir ici, on a peur qu’il nous arrive quelque chose. Voilà ce qu’on a à dire, on s’est mis d’accord pour vous dire ça »

Le CRA de Toulouse est pire que la prison : « On n’a rien à faire ici, on tourne en rond »

01 mars 2020

I. est venu en France par l’Italie et vit à Toulouse . C’est sa deuxième fois au Centre de Rétention Administrative, sa première fois date de fin 2018. Il est au CRA depuis plus de 20 jours. Il sort de la maison d’arrêt de Seysses pour une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) qui courait depuis sa sortie précédente du CRA. Comme le non respect de l’IRTF est un délit pénal, ils l’ont condamné pour 6 mois et incarcéré à Seysses. Il est sorti au bout de 4 mois et demi pour se retrouver ensuite au CRA de Cornebarrieu (Toulouse).

Il nous a parlé directement de psychologues : en prison il voulait en voir un mais ce n’était pas possible. Cependant, on lui a fait miroiter là-bas qu’il pourrait en voir un à sa sortie et surtout aller à l’hôpital. A sa sortie de Seysses, il n’est pas allé à l’hôpital mais s’est retrouvé directement au CRA, ce qui l’a surpris, il ne pensait pas que l’on pouvait passer d’une case à l’autre sans arrêt par l’extérieur.

Il est au CRA sans savoir s’il sera expulsé ou non. Il ne reviendra pas en France s’il est expulsé, il en a ras-le-bol. Il cogite beaucoup, il a besoin de somnifères pour dormir. Il parle beaucoup de cette situation de désœuvrement. Il nous a dit sans hésiter que le CRA est pire que la prison :« On n’a rien à faire ici, on tourne en rond. »

En ce qui concerne la nourriture, ce n’est pas halal, parfois il n’ y a pas grand-chose, à part le pain, le fromage et le beurre. Personne ne mange grand chose. Les gens ne mangent pas et les policiers s’en foutent. Ça en décourage certains de faire la grève de la faim.

Pour finir, il nous a parlé d’un flic précis, sans vouloir entrer dans les détails, qui semble sévir avec tout le monde à l’intérieur du secteur où il se trouve. Il voudra peut-être en parler plus tard ou alors après sa sortie.

Les soins au CRA de Toulouse : « c’est pas ici que ça se passe, c’est dehors »

22 février 2020

Z. a 28 ans, il est au CRA depuis le 30 janvier. Il est arrivé en France le 1er janvier 2020 en passant par l’Espagne.

Il avait tenté une première fois de venir en France en 2017, mais leur bateau qui quittait le Maroc pour l’Espagne a été arrêté, il a fait 58 jours au centre de rétention de Murcia en Espagne et a été déporté vers l’Algérie.

Il avait tenté de faire une grève de la faim en arrivant au centre mais a renoncé au bout d’un jour et demi, c’est une flic qui l’a poussé à arrêter. Il n’est pas soigné pour une dent de sagesse qui pousse de travers et qui provoque des douleurs violentes, au point de lui faire faire une chute dans la douche et de se blesser aux côtes. Z. n’a reçu que du doliprane. Il a demandé des soins mais le médecin du CRA lui a répondu « qu’on fait rien pour ça ici, c’est pas ici que ça se passe, c’est dehors. » Il a aussi demandé à voir un psy, on lui a dit qu’il n’y en avait pas.

Au CRA de Toulouse : « Si tu veux pas partir, ils mettent un casque sur la tête et du scotch sur tout le corps et tout le monde te voit. »

09 février 2020

D. a grandi dans un orphelinat à Alep, il a quitté la Syrie à l’âge de 13 ans et a vécu et travaillé dans différents pays, notamment l’Égypte. Pour atteindre l’Europe il est passé par la Libye puis le Maroc, l’Espagne et enfin la France. Il a vécu à Toulouse, Nice et Marseille. Il travaillait sur des marchés à Toulouse. Il s’est fait arrêter à Bellefontaine. Il a été enfermé au CRA de Toulouse après sa levée d’écrou. Il a passé 4 mois à Seysses. Il évoque les violences de matons à l’intérieur de la prison.

« Oui, ici au CRA, il y a des violences, j’ai entendu des gens qui crient, les policiers ils nous insultent tous les jours, ils boivent de l’alcool, on voit leur table avec les bouteilles et ils mettent de la musique, ils prennent de la coke, je reconnais quand quelqu’un prend de la coke, ça se voit.

Oui, il y a des gens au mitard en ce moment mais je sais pas qui c’est.

On mange rien, c’est dégueulasse, c’est froid, il y a des plats périmés. Il y a 6 personnes au secteur D qui veulent pas manger, ils prennent un café le matin, c’est tout, ils mangent rien.

Je prends pas de médicaments pour dormir, ici, ils en donnent beaucoup mais après quand tu sors comment tu fais si tu n’as pas ces médicaments…

À côté du bureau de la Cimade, il y a une feuille pour les expulsions mais on on ne sait pas quand on est expulsé, ils préviennent pas, on peut pas prendre nos affaires… Si tu veux pas partir, ils mettent un casque sur la tête et du scotch sur tout le corps et tout le monde te voit. »

Au CRA de Toulouse, « les policiers nous insultent, ils nous poussent pour qu’on s’énerve »

01 février 2020

R. est enfermé depuis plus de 50 jours :

« C’est pire que tout, ici c’est des fous, c’est la hogra, les policiers nous insultent, ils nous poussent pour qu’on s’énerve, même devant les caméras, ils veulent qu’on s’énerve pour nous emmener à Seysses. Ils nous détestent nous les algériens. Ils font la fête entre eux, ils mettent de la musique dans les haut-parleurs, il y en a qui sont en couple, ça se voit, ils boivent de l’alcool.

Même en prison on peut avoir la nourriture dans la chambre, ici ils veulent pas. La bouffe est dégueulasse, pas halal, les gens maigrissent beaucoup. C’est très très sale, ça pue, ils font pas le ménage. Je me lave sans shampoing, ils en donnent pas. »

Il n’a pas voulu prendre les psychotropes que voulait donner le médecin.

R. est allé voir la Cimade pour se plaindre du comportement de la police mais il ne s’est rien passé. Il avait vécu 2 ans en Allemagne, il a essayé la France mais pour lui c’est pire. Il va essayer de partir en Espagne et pourquoi pas en Algérie.

Violences policières au Centre de Rétention Administrative (CRA) de Toulouse

31 janvier 2020

Une personne, qui depuis a été libérée du CRA, témoigne des violences policières qui s’y déroulent et raconte une tentative de suicide.

Les CRA sont des prisons pour les personnes qui n’ont pas les bons papiers et que l’État veut expulser. Cet enfermement peut durer jusqu’à 90 jours, le temps que se donne l’administration pour l’expulsion. Mais cela concerne aussi celles et ceux qui sont “difficilement éloignables” pour reprendre la novlangue institutionnelle. C’est le cas de J. qui est au CRA de Toulouse pour la 4ème fois, il ne peut pas être expulsé. Il est arrivé en Europe à l’âge de 8 ans, en France vers 14 ans et a vécu entre Toulouse et Perpignan.

Il fait partie de ces personnes sur lesquelles l’administration s’acharne, qui ne sont pas reconnus par leurs pays d’origine et à qui l’État français ne veut pas donner de papiers. Ils font ainsi de longs séjours entre CRA et prison, prison suite au non respect d’IRTF ou d’ITF [1].

J. a subi des violences policières. Le schéma est classique : provocations de la part du flic puis agressions physiques. “Je sais pourquoi ils font ça, ils veulent avoir des jours de congés, c’est comme ça.” Il n’est pas le premier à le dire. La gestion des situations violentes est l’occasion pour les flics d’avoir en contrepartie des temps de repos supplémentaires.

Le flic insulte J., qui lui demande pourquoi il l’agresse. En guise de réponse, il le pousse. J. lui fait remarquer qu’il y a la caméra et qu’il ira se plaindre. A ce moment, le flic le soulève du sol par le col et le cogne violemment à plusieurs reprises contre le mur : “je m’en bats les couilles de la caméra, tu la vois, là, la caméra ? Regarde-la bien, qu’est-ce que tu crois qu’il va se passer ?
Il a insulté ma mère qui est morte, c’est trop moche pour répéter ce qu’il a dit, je peux pas parler comme lui
Je suis resté les mains derrière le dos pour qu’ils voient à la caméra que j’ai rien fait, que je l’ai pas touché, que c’est lui qui m’a frappé. Et là, il m’a poussé dans les escaliers, je suis tombé, je suis blessé à la tête, je suis allé voir la Cimade pour porter plainte.

Comment les personnes enfermées et sans papiers peuvent-elles se défendre face aux violences policières et autres maltraitances à l’intérieur du CRA ? Un dépôt de plainte aboutirait-il à quelque chose, à une enquête IGPN et une condamnation des flics ? On peut rêver… Il y a aussi le risque de représailles si le plaignant est encore au CRA. J. a finalement choisi de ne pas porter plainte, il craint d’ailleurs d’être déferré vers la prison de Seysses. “Je dois rester tranquille, penser à mon avenir, ils me cherchent peut-être pour que je retourne en prison”. Il a bien raison de s’en inquiéter, il peut se retrouver en garde à vue suite à une embrouille et passer en comparution immédiate juste avant l’expiration de son délai de rétention. Il y a une recrudescence du nombre de personnes déférées du CRA vers la prison ces derniers mois à Toulouse. C’est une tendance qui se retrouve aussi sur tout le territoire national.

On assiste à une augmentation des violences policières au CRA de Toulouse, tandis que de nouvelles équipes sont arrivées pour agrandir les effectifs de la PAF. Comme quoi, encore une fois, les violences policières ne sont pas un « dysfonctionnement » dû au manque de personnel ou aux conditions de travail, comme on peut l’entendre souvent, mais relèvent bien d’un système où les ardeurs racistes et brutales sont de mises.

J. a également été témoin d’une tentative de suicide en décembre. Il s’agissait d’un jeune qui a depuis été expulsé. Il a vu depuis le couloir le camarade dans sa chambre qui essayait de se pendre aux barreaux de la fenêtre, il avait fabriqué une corde avec des lambeaux de draps découpés puis tressés. J. a appelé au secours. Le camarade a été mis à l’isolement 5 jours. Quand il est revenu du mitard, il a raconté à J. qu’il a eu des injections. “Après il avait peur de tout, il tremblait tout le temps, il avait même peur de l’eau”. Ainsi, le « mode thérapeutique » choisi pour une personne en situation de souffrance psychique et qui a besoin de soins est la mise à l’isolement sécuritaire prolongé, avec ce qui semble être des injections non consenties.

Au CRA, il existe des chambres d’isolement sanitaire, censées être meublées (table, chaise et TV) et des chambres d’isolement sécuritaire, dépourvues de mobilier hormis une paillasse fixée au sol et un combiné toilette/douche. Selon le règlement, les mises à l’isolement sécuritaire doivent être les plus courtes possibles, ne doivent pas dépasser 24h et ne peuvent pas servir de mesure disciplinaire. Or les personnes qui font des tentatives de suicide ou se mutilent sont isolées dans ces pièces, parfois attachées pour de longues durées. L’État n’en est plus à une violence près contre les étranger·es. Comme disait l’autre jour un prisonnier du CRA, “même leurs chiens sont mieux traités que nous

[1] Interdiction de Retour sur le Territoire Français – Interdiction de Territoire Français