Des prisonniers du centre de rétention administrative (CRA) de Toulouse témoignent du racisme d’État, du processus de fabrication des « sans-papiers », de l’humiliation et des violences policières auxquels les personnes enfermées font face quotidiennement, et de leurs luttes.
« J’ai demandé la nationalité à 18 ans, mais ils ont refusé, ils disaient que j’avais un titre de séjour et que ça suffit. Pourtant c’est mon droit, j’ai étudié ici, j’ai travaillé ici. Depuis l’âge de 15 ans je travaille, j’ai travaillé gratuitement au moins un an. Mon pays c’est la France maintenant.
Je connaissais même pas les centres comme ça. J’ai refusé le test. Je ne veux pas être renvoyé, de toute façon je ne connais personne, je n’ai plus rien en Guinée. Ma famille est toute en Angleterre, ils y sont allés il y a quelques années. Je risque de me faire torturer, de me faire tuer si je retourne en Guinée ! On a des dettes, on n’a pas fini de payer le passeur.
On m’a pas prévenu. Je suis sorti de prison, et ils m’attendaient au greffe et ils m’ont emmené ici. J’ai même pas eu le temps de contester, de faire les démarches, j’ai pas pu prendre des affaires, rien. Il fait froid, j’ai pas de veste. Ce que j’ai envie de dire, c’est que j’ai pas été notifié.
Il fait froid dans les chambres, il n’y a pas de chauffage. On a une heure par jour pour sortir, 30 minutes le matin et 30 minutes le soir.
On a des fouilles chaque jour. Pour voir si on n’a pas à manger, tout ça. On n’a pas le droit de ramener à manger, genre des yaourts, ils fouillent les chambres aussi.
On n’a pas le droit d’avoir de téléphone avec une caméra, on n’a même pas de stylo, je suis obligé de noter sur un mur en attendant de mettre dans le téléphone. On n’a pas le droit à la bouffe, on n’a pas de chauffage, pas de briquet. On n’a le droit à rien.
Comme je parle bien français, j’aide les autres à lire les papiers, à comprendre. Il n’y a pas de traducteur, pas d’aide sinon. »
Violences policières et mise à l’isolement
« Ils ont des mauvais comportements avec les gens… Il y a tellement de choses à dire, je sais même pas comment commencer. Le lavage est mal fait, les poubelles sont pas ramassées, l’eau est froide, les flics se comportent pas bien, ils profitent que les gens parlent pas bien français. Si tu parles pas bien français, ils t’écoutent pas.
Moi j’étais SDF, mais je travaillais au black. J’ai eu une embrouille avec mon patron. J’allais travailler, j’avais pas mangé, comment tu veux que je travaille comme ça ? C’est comme de l’esclavage. C’est pour ça que je me suis embrouillé avec le patron, et après je suis parti. Je me suis fait arrêter en prenant le train à Narbonne, juste pour un petit joint qu’un gars m’avait filé.
J’ai passé 10 jours à l’isolement, normalement c’est 48h, c’est illégal. Tu peux rien dire. Ils m’ont mis à l’isolement parce que j’étais un peu agressif, parce qu’ils acceptent pas. Alors ils m’ont frappé et mis à terre, puis au cachot. Ils mettent pas les matricules, sauf le chef. Surtout le groupe du soir, ils sont trop agressifs.
Il n’y a rien à l’islolement, ni télévision ni rien, pas de téléphone, je pouvais sortir dans le couloir à côté de la porte pour fumer mais pas dans la cour.
Il y a un gars avec un traitement psy, ils sort dans les couloirs en criant, c’est pas de sa faute mais la pref le laisse pas sortir pour recevoir son traitement. La pref enferme n’importe qui. C’est la deuxième fois que je suis en CRA. Je me suis évadé la première fois.
Avant c’était 45 jours le CRA maintenant c’est 3 mois, tu sors d’ici avec une grande haine. 3 mois tu prends l’habitude de la prison… C’est comme la drogue, tu t’habitues, tu sors de là, tu peux aller où si tu connais personne ? Tu fais un dégât, obligé tu rentres en prison encore, ça devient une habitude, ils font grandir la haine à l’intérieur des gens. »
10 mois d’enfermement entre CRA et prison en circuit fermé*.
« Je suis ici au centre à Toulouse depuis 18 jours. Ça fait un an que je suis enfermé à cause des papiers, depuis janvier 2021. Ils m’ont attrapé à Perpignan quand j’étais au travail, les policiers sont venus, mon patron s’est sauvé. Ils m’ont emmené au CRA de Lyon, je suis resté 88 jours, ils m’ont dit de faire le test pour l’avion, j’ai pas voulu, le juge m’a donné 2 mois de prison. Après encore le CRA pendant 2 mois et demi, j’ai refusé le test encore, le juge m’a encore donné 2 mois de prison. Quand je suis sorti de la prison de Lyon, ils m’ont ramené ici au CRA de Toulouse, ça fait 18 jours.
J’habite en Espagne depuis 5 ans, j’ai ma famille là-bas, j’ai un enfant, je suis venu à Perpignan pour travailler et voilà. La France c’est pire, je veux partir d’ici. »
Tentative de suicide, cas de Covid, secteur D confiné, les audiences du JLD se déroulent en visio
« Le secteur est confiné, un type a le covid, ça fait une semaine. Les audiences sont en visio à cause du covid, tout le monde a fait des tests sauf un, il a refusé, ils l’ont mis au cachot 14 jours. Il avait l’avion le lendemain du test, il a refusé le test.
« Les avions sont suspendus pour 15 jours pour le Maroc à cause du nouveau covid et je sais pas pourquoi il y a des algériens encore ici. Les relations entre l’Algérie et la France ça marche pas. Il n’y a pas d’avion avec l’Algérie et on reste enfermé ici, Teboune les emmerde alors eux ils nous emmerdent ici.
Ils nous traitent comme des chiens ici, c’est la hogra.
Ils sont restés 132 ans en Algérie et ils continuent de nous pourrir la vie.
Il y a que des cris ici. Un policier qui m’a emmené là où il n’y a pas de caméra pour me donner un coup de poing, c’est quoi ça ? Ils nous prennent pour des animaux ou quoi ?
La bouffe ils ne la donnent pas à leurs chiens, on fait 2 repas par jour, on a faim.
Ils m’ont arrêté à Auxerre, sur le chantier, je travaillais et ils m’ont ramené à Toulouse, je connais personne ici. Je peux pas récupérer mon argent, je travaille, je paye des impôts, qu’est-ce qu’on fait là ?
Il y en a un qui a voulu se suicider avec un drap, on l’a trouvé dans le couloir. »
* L’enfermement des étranger·e·s entre prison et CRA est en train de s’intensifier. Pour rappel, une disposition a été votée dans le CESEDA (code d’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile), validée en août 2021 par le Conseil constitutionnel, qui permet de condamner à une peine de 3 ans de prison les étranger.e.s refusant les tests PCR pour résister à leur expulsion, au même titre que le refus d’embarquer dans l’avion.
Cellule d’isolement