Enfermement et soin sont incompatibles. Réponse à la lettre ouverte du médecin du CRA de Lyon Saint Exupéry.

Nous relayons cet article des camarades de Lyon Anti CRA. La maltraitance du corps médical est la même dans tous les centres de rétention de France, les prisonnier-es en témoignent régulièrement depuis des années.

TW : violence médicales, tentatives de suicide.

Il y a quelques semaines, le médecin du CRA de Lyon a démissionné en publiant une lettre ouverte (https://www.rue89lyon.fr/2022/12/20/demission-medecin-centre-retention-lyon-fabrique-violence/) expliquant qu’il ne pouvait plus exercer son métier à cause des « conditions dégradées » dans le centre ces derniers mois. Pourtant cela fait des années que des prisonnier-es du CRA de Lyon témoignent de violences de la part du corps médical. En dénonçant uniquement un manque de moyen et une dégradation de ses conditions de travail, il masque le véritable problème : soin et enfermement sont incompatibles.

Ce témoignage a été beaucoup diffusé par les associations et les médias. De nombreux autres récits – qui contredisent celui-ci – ont été publiés par le passé, sans retenir la même attention, parce que c’étaient ceux des prisonnier-es elleux-mêmes, dont la parole est systématiquement délégitimée ou ignorée par rapport à celle des institutions, dont le corps médical. Accorder plus d’importance à ce témoignage d’un médecin qu’à celle des premier-es concerné-es participe à l’invisibilisation des prisonnier-es, de leur parole et de leurs luttes.

Ce témoignage sert un discours qui légitime l’incarcération en affirmant que les problèmes dans les centres de rétention (et autres prisons) seraient dus uniquement à de mauvaises conditions d’enfermement ou à un manque de moyens et non à l’enfermement en lui-même. Dans les CRA, les médecins n’ont pas vocation à améliorer les conditions de vie des détenu-es, ils font partie du système de maintien de l’ordre. La dégradation des conditions de santé des prisonnier-es est un outil de l’État pour réprimer et contrôler les personnes étranger-es, et les médecins à l’intérieur des CRA en sont l’instrument (voir l’article : https://abaslescra.noblogs.org/le-juge-le-flic-et-le-medecin/).

Au CRA de Lyon, que ce soit dans l’ancien CRA ou dans le nouveau ouvert en 2022, les prisonnier-es ont toujours dénoncé de mauvais traitements par les médecins. Ces derniers n’ont jamais réagi pendant des années et ont participé activement aux violences qui y ont lieu quotidiennement.

Le 16 mars 2019, des détenu-es en grève de la faim écrivaient dans un communiqué (https://crametoncralyon.noblogs.org/nouvelle-greve-de-la-faim-au-centre-de-retention-de-lyon-et-appel-a-soutien-17-03-2019/) :

« ils nous donnent des médicaments donnés pour les gens vraiment fous sans ordonnance sans rien (comme Diazépam, Lyrica, Valium, Prazépam, Tercian, Zopiclone, Théralène, Subutex) et même les infirmières elles sont courant de tout. Les gens ils font la grève mais elles leur donnent des médicaments pour les intoxiquer même y en a des pères de famille ils se charclent ici il a des points de suture ils l’ont laissé comme ça au confinement sans qu’on le soigne y a quelqu’un aussi il a une maladie du foie il obligé qui soigne »

En avril 2019, Yanis, détenu au CRA, dénonçait aussi le recours systématique à des traitements lourds pour mieux contrôler les prsionnier-es (https://crametoncralyon.noblogs.org/temoignage-de-yanis-detenu-au-cra-de-st-exupery-avril-2019/) :

« Concernant les soins, il n’y a pas de soins ici, c’est … C’est de la merde. Ya que du Diazepam et tout. Yen a, jsais pas moi, concernant… moi j’ai consulté le médecin l’autre jour, elle m’a donné du Diazepam, moi j’ai, je suis un peu stressé, elle m’a dit « deux Diazepam ».
Et deux Diazepam je sais pas pourquoi elle m’a donné ce médicament là parce que c’est … C’est un anti-dépresseur ou quelque chose comme ça. Moi c’est pas une dépression c’est un petit stress passagère. Mais c’est…
Mais je savais pas pourquoi elle m’a donné ce médicament là, mais du coup ya une euh… une grande euh… Une grande euh… C’est la majorité qui prend ces médicaments là… C’est parce que c’est… C’est exprès qu’ils font ça ou je sais pas… […] Je sais pas pour calmer les gens peut-être, je sais pas… »

À l’automne 2020, un prisonnier tabassé par les flics racontait comment le médecin avait minimisé ses blessures pour couvrir ses agresseurs (https://crametoncralyon.noblogs.org/jai-peur-franchement-vous-me-faites-peur-je-pense-il-suffit-quon-vous-donne-quelques-droits-la-et-vous-allez-commencer-a-tuer-des-gens-vous-temoignage-de-x-tabass/) :

« Pour moi, c’est pas un médecin. C’est pas un médecin. Il m’a dit « ouais, je vois, t’as une cicatrice sur ton front, t’as des bleus sur la tête », mais  il y avait le policier à côté de lui, mais franchement, vous prenez les gens pour quoi ? Je lui ai dit, « toi t’es pas un médecin en fait, tu viens me voir au mitard, tu me dis montre tes bras, montre tes jambes, mais déjà, quand tu viens me voir, devrait pas y avoir la police à côté de toi là, et la vérité, je lui ai dit, t’es pas un médecin toi, t’es un policier, t’es plus qu’un policier ». C’est plus qu’un policier lui, je sais, je suis parti à l’infirmerie le lendemain, je suis allé voir l’infirmière pour porter plainte, tout ça, ils m’ont donné 0 jours d’ITT, j’ai montré à l’infirmière, regarde, hier j’étais pas bleu comme ça, j’étais pas gonflé comme ça ». Elle m’a dit, « ouais, c’est vrai, je vais parler avec le médecin ». Ils m’ont pas appelé. »

En novembre 2020, en pleine épidémie de covid (plusieurs dizaines de prisonnier-es testé-es positifs), les détenu-es dénonçaient l’absence totale de mesures sanitaires, face à quoi le médecin n’a rien fait :

« J’ai dit je suis malade je tousse, ça fait trois jours j’ai la gorge… les gens qui ont le coronavirus ils étaient avec moi, je suis malade. Ils me donnent pas de rendez-vous, non. Ils me parlent mal, même le médecin ici il parle mal, il me dit on n’a pas ça, on n’a pas ça. Si tu parles mal avec lui il va appeler la police. La police va t’amener à l’isolement. » (https://crametoncralyon.noblogs.org/greve-de-la-faim-au-cra-de-lyon-les-prisonniers-denoncent-leur-situation-alors-que-11-personnes-ont-ete-testees-positives-au-covid-19-temoignage/)

« J’ai demandé le médecin, ils veulent pas. le médecin il est venu me voir parce que comme j’ai un accident, une fracture au niveau du cou, ils m’ont bandé sur un tabouret fixe (?). c’est la même chose, la fracture elle est comme avant. j’ai demandé le médecin, il n’y a pas. j’ai demandé les secours, il n’y a rien. j’ai appelé la police, ils ont dit « tu peux pas te déplacer, tu es au centre de rétention ». j’ai appelé les pompiers et là… je sens qu’ils m’écoutent. après ils m’ont emmené au mitard. » (https://crametoncralyon.noblogs.org/voila-comment-on-traite-les-gens-on-est-isoles-cest-vrai-quil-y-a-des-cameras-mais-dans-les-chambres-il-y-en-a-pas-dans-les-chambres-il-y-a-que-des-agressions-temoignage-de-x/)

« Ceux qui ont envie de faire le test, il faut qu’ils aillent demander. C’est pas tout le monde qui le demande ; le médecin, il demande rien lui. Nous, on a demandé au médecin qu’est ce qui se passe, pourquoi ils font pas quelque chose pour nous sortir de cette situation. Ils disent que pour le moment, ils peuvent rien faire et qu’ils vont réfléchir s’il y a plus de cas. Mais là, les cas ils augmentent tout les jours. Ça veut dire que nous tout le monde va être contaminé. Parce qu’en plus, on est 4-5 personnes dans les chambres, c’est pas possible. » (https://crametoncralyon.noblogs.org/parce-que-nous-on-est-la-on-est-dans-la-realite-du-virus-le-virus-il-circule-on-est-la-dedans-et-personne-ne-nous-aide-personne-ne-fait-rien-pour-nous-aider-temoignage-de-d-enferme-au-cra-de/)

Ou encore ce témoignage d’un prisonnier dénonçant la réaction du médecin suite à la tentative de suicide d’un co-détenu :

« Le médecin il s’en bat les couilles ! je lui ai dit t’es payé pour ça, il m’a dit « tu me parles pas comme ça. moi suis pas payé pour ça, je suis pas payé pour la merde pour le covid et tout. il m’a dit j’ai mon salaire normal je me casse pas les couilles ». je l’appelle il me dit comme ça « tu me casses pas les couilles ». la dernière fois j’ai appelé la police, j’ai appelé le médecin, « ramène moi un médicament ». ils ont appelé, il était chez lui, il a dit quoi ? il a dit « lui il casse les couilles tous les jours, ramène-le à l’isolement ». ils m’ont ramené à l’isolement. » (https://crametoncralyon.noblogs.org/on-compte-sur-vous-pour-fermer-ce-centre-cest-catastrophe-on-est-trop-touches-temoignage-de-x-prisonnier-au-cra-de-lyon-14-11-20/)

En plus des risques sur la santé physique liés au covid, l’inaction et le mépris des médecins face à l’épidémie dans le CRA ont eu un impact très violent sur la santé mentale des personnes enfermées (stress, peur d’attraper le virus, isolement…).

Si à l’époque les nombreux cas de covid au CRA avaient attiré l’attention des médias et des associations pour quelques temps, ensuite les violences médicales ont continué, dans l’indifférence totale.

En juin 2021, des prisonnier-es en grève de la faim témoignaient (https://crametoncralyon.noblogs.org/ils-shootent-la-plupart-des-personnes-covid-maltraitance-et-violences-policieres-au-cra-de-lyon-temoignages-des-prisonnier%c2%b7es-3-7-06/) :

«  Bah le médecin vous savez, ils sont pas avec nous. Donc du coup, eux ils sont dans leur bureau, ils savent vraiment pas ce qui se passe, ils sont dans leur coin. sauf quand quelqu’un est malade, mal aux dents, n’importe quoi, c’est doliprane quoi. Après ils essaient de donner aussi des… je vais pas vous mentir hein, ils donnent aussi beaucoup des… ce qu’ils prescrivent aussi beaucoup c’est des… comment ils appellent ça déjà? des calmants, anxiolytiques, voilà. Ils shootent la plupart des personnes. »

«  ça se passe mal, ils nous traitent comme des animaux. Ils nous mettent la pression, ils nous narguent, ils nous disent : comme mon ami il a la dent cassée, il est dans sa chambre dans l’isolement [car il est positif au covid], il va mourir, il a parlé avec les flics ils ont dit : « prend un doliprane et allonge toi », il a parlé avec le médecin il a dit « prend un doliprane ». On est malmenés quoi ! on est pas des êtres humains, on est du bétail, on est du bétail voilà. Y’a un copain aussi là il est malade, il est trop malade, il est au mitard ça fait cinq jours.
– Pourquoi il est au mitard depuis 5 jours?
– Parce que il est tombé de son lit, il s’est cassé le bras et y’a eu du sang, ils ont dit : « t’as fait exprès », et ils l’ont mis au mitard. »

Le déménagement dans le nouveau CRA neuf en janvier 2022 n’a amélioré en rien la santé des prisonnier-es, comme avait témoigné l’un d’eux en mai dernier (https://crametoncralyon.noblogs.org/temoignage-de-x-on-dit-le-pays-des-droits-de-lhomme-quand-on-se-donne-cette-etiquette-il-y-a-un-degre-de-respecter-les-humains/) :

« Au niveau médical, j’ai eu un début de, je sais pas, parce que je l’avais jamais eu dehors, un début de problème cardiaque. Je faisais déjà de la tension, a plus de 17° de tension, déjà ce n’était pas très bon, pendant plus de 2 semaines. […] Dejà même si c’est dehors, pour un être humain, faire de la tension à plus de 17° pendant 2 semaines, c’est un risque de danger, ça peut causer un problème cardiaque. Et pour celà, au moins on doit avoir un suivi médical, un peu ordonné. Et là, sans toutefois me faire des examens, on me propose de me mettre sous traitement. Et quand je demande pour voir le traitement, c’est des somnifères qu’on me donne ! Et quand tu refuses ça devient un problème ! (inaudible). Tu dois au moins me faire des examens,  me mettre sous traitement, avec un suivi médical bien ordonné qu’on peut défendre. Mais pas me dire directement on va te mettre sous traitement et quand tu regarde ce que tu m’as donné c’est ce que tu donnes, le même traitement, à tout le monde qui est au centre. On retrouve particulièrement les mêmes problèmes, parce que quand tu regardes les comprimés qu’on donne à d’autre gars, tu reviens avec quelque chose qu’il a eu, c’est pratiquement les mêmes comprimés qui sont donnés chaque fois. »

En mai 2021, notre collectif avait déjà alerté de nombreuses structures et associations  (https://crametoncralyon.noblogs.org/il-est-impossible-de-soigner-dans-les-lieux-denfermement/) sur ces pratiques médicales abusives, tout en rappelant l’incompatibilité entre soin et enfermement :

« Au lieu de les accompagner et de leur apporter les soins nécessaires, par définition incompatibles avec l’enfermement, les unités médicales au sein des CRA minimisent les souffrances psychiques et physiques exprimées, et participent ainsi à renforcer la vulnérabilité des personnes concernées. Déjà soumises à la violence administrative et policière inhérente à l’enfermement, les prisonnièr-es sont donc également confronté-es à une violence médicale plus difficile à dénoncer. »

La lettre ouverte du médecin démissionnaire du CRA de Lyon n’apprend donc rien de nouveau sur les mauvais traitements subis par les prisonnier-es. En revanche, elle passe sous silence l’hypocrisie du corps médical qui s’est rendu complice et acteur de ces violences pendant des années.
Cette lettre est dégueulasse. Elle légitime en de nombreux points le discours étatique, par exemple en reprenant l’idée raciste et classiste que les prisonnier-es du CRA seraient des personnes dangereuses et violentes, et donc qu’iels seraient en partie responsables de leurs mauvaises conditions de détention.

En se focalisant davantage sur les supposées violences des détenu-es que sur celles structurelles de la détention, cela le conduit à remettre en question la relative « libre circulation » au sein du CRA et à déplorer le fait qu’il n’y ait pas de surveillants, comme en prison, pour « pacifier » la détention. En prenant pour exemple les prisons, il invisibilise et nie là encore la réalité vécue par de nombreuses personnes enfermées dans ces prisons, où, en plus de la violence des matons, les conditions médicales sont tout aussi violentes, comme le documente depuis des années le journal anticarcéral l’Envolée (https://lenvolee.net/).

L’enfermement en soi, ainsi que la menace de déportation, ont des conséquences désastreuses sur la santé des personnes, car ces institutions traumatisent, usent de violences physiques et psychologiques, torturent, sont la cause de tentatives de suicide.  Pour nous il ne peut pas y avoir de « relations normalisées » dans une institution raciste dont la raison d’être sont l’enfermement et l’expulsion, pas plus « qu’attendre sereinement son expulsion » n’est possible ou souhaitable. Les prisonnier-es ne cessent de résister et iels ont raison.

Sous couvert de critiquer le système carcéral, ce genre de discours ne fait que le renforcer, en prétendant qu’il pourrait y avoir une « bonne » manière d’enfermer.

Répétons-le encore une fois : soin et enfermement sont incompatibles. Les CRA et les prisons tuent.

Pour un droit à la santé pour toustes,
Abolition des CRA et de toutes les prisons !

Le collectif Lyon Anticra

L’État enferme toujours plus les étranger·e·s entre CRA et prison

Entre les peines de prison pour refus de test PCR et le renforcement de la double peine, les étranger·e·s font des allers et retours entre prison et CRA en circuit quasi fermé en vue de leur expulsion, même quand celle-ci n’est pas possible. Pendant ce temps, les CRA tuent.

Avec la fermeture des frontières, certains pays donnent le laisser-passer pour l’expulsion de leurs ressortissant·e·s, à condition que les personnes aient un test PCR négatif récent. Dans les CRA, les personnes qui refusent les tests pour résister à leur expulsion sont poursuivies au pénal et sont condamnées à plusieurs mois de prison avec souvent une interdiction de territoire (ITF), alors que le code de la santé publique exige le « consentement libre et éclairé » de la personne pour la réalisation d’un test et que le refus de test ne fait pas partie des motifs qui relèvent du délit de « soustraction à une mesure d’éloignement ». Ainsi, les juges jouent le jeu de la machine à expulser de l’État, jusqu’à s’asseoir sur les lois, ce qui n’est pas nouveau quand il s’agit du droit des étranger·e·s.

Le lien entre les CRA et la prison se renforce pour les étranger·e·s. Le CRA de Toulouse a un des plus fort taux de sortant·e·s de prison (25,1%) . Sur l’ensemble du territoire et sur plus de de 53 000 personnes enfermées en 2019, 14,5 % sortaient de prison. Le nombre a doublé en deux ans (1). L’administration enferme même si elle ne peut pas expulser pour punir et soumettre les personnes sans papiers. Depuis la prison, les étranger·e·s ne peuvent pratiquement pas se défendre, contester une « mesure d’éloignement » ou renouveler un titre de séjour.

Par ailleurs, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, le ministère de l’intérieur dans une instruction du 12 avril 2021 rappelle aux préfectures de renforcer les protocoles d’expulsion des « étrangers ayant commis des infractions graves ou représentant une menace grave pour l’ordre public ». La double peine se durcit, l’objectif est de retirer les titres de séjour à celleux qui sont en situation régulière et d’expulser les personnes incarcérées dès la sortie de prison sans passer par le centre de rétention administrative, évitant ainsi une possible libération par le Juge des libertés et de la détention.

« En prison ma carte de séjour s’est arrêtée le 15 février et ils m’ont mis une OQTF [Obligation de quitter le territoire], j’ai fait un recours, rejeté. Mes parents sont ici, mon grand-père a combattu pour la France, j’ai sa carte de combattant vous vous imaginez ? Je suis là depuis l’âge de 2 ans, j’ai fait toute ma scolarité en France, ils peuvent pas me renvoyer comme ça, je connais personne là-bas. Ok, j’ai fait une dégradation, j’ai pris 8 mois ferme, ok j’ai un casier judiciaire mais j’ai agressé personne, j’ai pas commis l’irréparable… »

« Le copain a côté de moi, il a fait 3 mois de prison parce qu’il a refusé le test PCR, c’est la 4ème fois qu’il est enfermé au CRA et en prison. Il a des enfants, ils veulent le renvoyer, je comprends pas, ils sont acharnés… »

« J’ai fait 3 mois pour un vol. Après il m’ont mis 17 jours au centre de rétention, j’ai refusé le test, ils m’ont condamné à 3 mois de prison. Après ils m’ont ramené ici au centre à Toulouse, j’ai passé une nuit, j’ai refusé le test ils m’ont ramené 2 mois en prison. J’ai fini les 2 mois, ils m’ont ramené au CRA de Perpignan et grâce à une faute de procédure, j’ai été libéré. Je suis resté dehors 1 mois et 20 jours, j’ai été arrêté ils ont vu que j’ai une obligation de quitter le territoire, ils m’ont ramené au centre de Toulouse et demain j’ai l’avion. Je galère depuis le 3 juillet en centre, prison, centre, prison. »

Un prisonnier retrouvé mort au CRA de Bordeaux

Le 22 avril des prisonniers du CRA de Bordeaux en grève de la faim alertaient sur le décès de leur co-détenu qu’ils soupconnaient de s’être suicidé, sans que l’information n’ait été diffusée par les institutions pendant un mois.(2)

Depuis 2017, 6 décès ont eu lieu dans les CRA, ils ne sont évidemment pas dû au hasard mais bien à l’enfermement, notamment avec la distribution de psychotropes par les médecins pour shooter les prisonnier·e·s. (3)

Quelques jours plus tard K. témoignait toujours depuis le CRA de Bordeaux:

« Les journalistes ont appelé parce qu’il y a eu mort et y’a eu un rassemblement devant le centre… Il avait du stress, de la haine, de la rage au fond de lui, le mec est allé dormir et le lendemain il s’est pas réveillé.

C’est un truc de fou ici, on voit des accidents tous les jours… Avant-hier un géorgien, il est suivi en psychiatrie il prend des traitements pour se soulager, ils ont pas voulu lui donner son traitement malgré qu’il a l’ordonnance de son médecin, il a fait une crise, il a crié dans le couloir, il a agressé personne et là la police l’a frappé, ils lui ont bousillé son visage, ils lui ont laissé des bleus sur son visage et lui après avec la rage et la haine au fond de lui – on est  en 2021 on parle que des droits de l’homme –  le mec il a cousu ses lèvres, voilà plus de droit d’expression. Il a pris un bout de verre ou de métal et il s’est tranché la gorge, il ouvre son ventre et il reste comme ça dans le couloir pendant une demi-heure, il saigne… Après les pompiers viennent, ils l’emmènent à l’hôpital et ils le ramènent ici comme si de rien n’était. Et hier ils l’ont pris je sais pas où dans la nuit à 3 ou 4 heures du matin. » [le prisonnier a été transféré au CRA de Hendaye]

En garde à vue, j’ai voulu appeler un avocat, sauf que c’est des racistes, ils ont refusé, ils m’ont passé un avocat au téléphone qui m’a pas bien expliqué mes droits. Ils m’ont renvoyé 2 fois dans mon pays, en 2017 et 2019, à chaque fois je revenais par la mer et cette fois-là je suis revenue par la Turquie. Ça m’a pris un an, j’ai traversé 9 pays, vous imaginez ? J’ai marché un an à pied, j’ai fait la Turquie, la Grèce, l’Albanie, Monténegro, Bosnie, Croatie, Slovenie, l’Autriche, l’Italie… Normalement quand on fait ce chemin là on rentre dans les livres de records alors que là quand on arrive, ils veulent nous battre en fait. En 2017 quand j’ai été arreté la loi enfermait les gens 45 jours maximum maintenant c’est 3 mois, c’est pas supportable, c’est une condamnation, c’est une peine de prison. »

Solidarité avec les prisonnier·e·s qui subissent la violence et le racisme d’État et luttent à l’intérieur de ces taules ! A bas les frontières !

(1) Rapport rétention Cimade 2019

(2) https://toulouseanticra.noblogs.org/un-prisonnier-retrouve-mort-au-cra-de-bordeaux/

(3) https://abaslescra.noblogs.org/au-cra-linfirmerie-cest-une-boucherie-un-autre-mort-a-vincennes-ni-oubli-ni-pardon/

Un prisonnier retrouvé mort au CRA de Bordeaux

Au CRA de Bordeaux qui est situé au sous-sol du commissariat (1), un prisonnier est retrouvé mort dans sa chambre il y a environ un mois. Aucune information ne semble avoir été diffusée sous prétexte que la famille ne souhaite pas que son nom soit révélé.

Des prisonniers sont en grève de la faim depuis 3 jours, voici le témoignage qu’ils souhaitent diffuser:

« Dans la nuit on rigolait ensemble, le mec il est parti pour dormir et le matin on est parti pour le réveiller pour manger, pour le petit déjeuner et lui il s’est pas réveillé. Oui la police est venue avec les pompiers.

Les policiers ont dit on peut pas dire aux journalistes parce que sa famille veut pas donner le nom.

Oui ils savent pourquoi il est mort, ils veulent pas nous dire. Nous on pense parce qu’il voulait pas aller au Maroc, y’a des gens qui veulent le tuer là bas, il avait beaucoup de stress, de médicaments de psychiatrie et tout ça, c’est pour ça qu’il est mort. Oui il a pris des médicaments pour mourir. Pas manger, pas dormir, il était pas bien, beaucoup de stress, pourquoi ils le laissent là ?

Il voulait pas aller au Maroc et les gens de l’État voulaient l’envoyer là-bas.

Il a pris beaucoup de cachets, il s’est suicidé je pense. Il a fait une overdose. Non il a pas dit forcément qu’il voulait se suicider. Il a dit j’espère demain Inch’Allah vous tous libérables les gars. Nous on croyait qu’il parlait pour nous, en fait il parlait pour lui, il savait qu’il allait mourir, il nous a dit ça avant de mourir.

Ici ils ont rien dit, ils s’en foutent, même pas c’est passé au journal, normalement ça passe à la télé et au journal, c’est vrai ou pas ça ?

Nous on fait la grève de la faim depuis 3 jours parce qu’on en a marre, c’est trop dur ici, c’est raciste, si on a besoin de voir un médecin à 8h, ou minuit, on peut pas jusqu’à 11h, y’a pas de médecin, si quelque chose se passe, on a rien.

On demande de passer ici parce que quelqu’un est mort. C’est même pas un centre de rétention ici. C’est trop dur, on dort pas, on mange pas bien, on prend pas bien les médicaments, il y a tous les jours quelque chose qui se passe ici.

Les policiers ils s’en foutent si on mange on mange pas, ça fait 35 jours je dors pas parce que j’ai pas l’injection pour dormir ici, l’injection de Subutex, ils le donnent pas. Le médecin refuse, il donne des cachets que je connais pas, on est mal ! »

(1) « Le centre de rétention administrative est situé au sous-sol du commissariat. Il est confiné, très exigu et les personnes qui y sont enfermées développent très rapidement des troubles psychiques dus aux conditions particulièrement anxiogènes de leur enfermement. Au-delà d’un certain nombre, les personnes se retrouvent très à l’étroit : la cour est très petite… La lumière naturelle est rare : la seule source étant un puits de jour au cœur de la courette grillagée (20m²). L’ensemble du CRA est éclairé aux néons qui restent parfois allumés la nuit…» – (Rapport rétention Cimade 2019)

Mise à jour 24 août 2021

L’autopsie avait conclu dans un premier temps à « un décès en lien avec une défaillance cardio -respiratoire secondaire à une asphyxie »
Quatre mois plus tard, le parquet, qui a classé l’affaire sans suite, a expliqué que le défunt aurait succombé à une «surdose d’anxiolytiques et de somnifères absorbés volontairement».

https://www.liberation.fr/societe/a-bordeaux-les-dessous-indignes-du-centre-de-retention-20210823_7IXMK53W25HYDCUFG5RP25FTHU/